L’année 1973 fur très riche en événements. La situation générale ne cesse de se dégrader. Le mouvement national MND connaissait un élargissement rapide. Ses sympathisants occupaient tout le terrain national en largeur et en profondeur. Son organe central Sayhat Elmadhloum, sans discontinuer, était attendu partout dans le pays. Ses informations et les questions traitées par ses articles faisaient l’objet de nombreux échanges et de passionnants commentaires. Situation qui engendre à chaque fois de nouvelles vagues de sympathisants notamment parmi les masses de jeunes, des femmes et de travailleurs et qui suscitaient des fois de nouveaux sujets de polémique.
Dans le pays prévalait une situation de tension politique généralisée.
Dans cette atmosphère, j'ai effectué un périple au nord du pays. La distribution de notre courrier fut l’objet de ma mission. Il se rapporte à la proclamation de notre parti, le Parti des Kadihines de Mauritanie(PKM).
A Atar, je descends chez les Bellali, chez notre maman à tous, Elmarhouma Meymina Mint Abdel Vetah, la mère de notre camarade, Elghassem Ould Bellali, l’actuel maire de Nouadhibou, l’éternel ami des pauvres. Je lui ai confié mon courrier ultraconfidentiel. Elle le garda dans un lieu dont elle seule connaissait l’emplacement.
Le soir, les camarades, représentants locaux et régionaux m’ont convié à une réunion de sympathisants. Prenant la parole en cette occasion, j’ai expliqué l’objet de ma mission, axant mes propos sur les sympathisants supposés non encore bien imprégnés du substrat de notre discours. J’ai brossé la genèse de la situation générale dans notre pays en mettant l’accent sur l’entière responsabilité du régime de l’époque dans ses causes et dans la dégradation continue des conditions de vie des citoyens. En suite j’ai étalé au grand jour le programme et les objectifs salvateurs de notre mouvement, mené désormais officiellement par notre parti, le PKM.
Des interventions pertinentes
Le premier intervenant me surprit aussi bien par ses propos que par leur contenu. Il s’agissait d’un jeune manifestement d’apparence encore étranger à notre milieu caractérisé par sa modestie et sa précarité : il frappait par sa propreté physique et celle de son habillement. Son visage portait au milieu une marque noire, signe d'une piété religieuse certaine.
« Pour être franc avec vous », débuta-il son intervention, « je n’ai jamais aimé les kadihines. Depuis quelques temps, mon opinion à leur égard ne cessait de changer depuis que je les observais de près. Leur comportement exemplaire avec les pauvres gens ne m’échappait plus. Les informations et les explications fournies ce soir par votre camarade balayèrent pour toujours mes dernières réserves vis-à-vis de jeunes qui consacrent entièrement leur vie à servir les autres, les plus pauvres notamment. Désormais j’adhère entièrement à leur discours et je me démarque définitivement de celui des autorités ».
Il fut suivi par un vieux, teint noir, aux habits délabrés, au visage triste, venant apparemment d’un milieu misérable. Loin d’être affecté par sa situation il s’exprimera avec un moral de fer et une volonté forgée dans le marbre. « Moi, qui vous parle aujourd’hui, je viens en fait de l’au-delà : je viens du monde des affamés, le monde des oubliés vivant à la marge d’’une société qui se soucie peu de leur sort », martèle-t-il.
« Je végétais dans les ténèbres avant de découvrir les kadihines. Ils se mirent aussitôt à m’apprendre à lire et à écrire. Ils ouvrirent mes yeux sur la réalité de mon pays et la situation de mon peuple. Je vous conseille de leur tendre la main si vous voulez vraiment arriver à bon port », conclut-il.
Il fut suivi à la tribune par quelqu’un qui se présenta immédiatement comme le chef des forgerons. Il s’adressa ainsi aux participants : « nous sommes un pan important de la société. Malgré que celle-ci ne peut se passer de nous et de nos services, elle nous voue toujours mépris et stigmatisation. On compte parmi nous de grands érudits et de nombreux hommes de lettres et du savoir. Pour la première fois dans l’histoire nous trouvons, dans les personnes des kadihines des gens qui nous reconnaissent notre identité entière comme des personnes humaines comme toutes les autres. Si on se respecte tous au sein de notre peuple et on reconnait à chacun de nous l’utilité de son rôle, on réussira rapidement à vaincre la pauvreté, ainsi que le sous-développement de notre pays et celui de nos mentalités », indique-t-il.
Puis vient le tour d’une femme, une dame au visage couvert au trois quarts par son voile noir sombre. A très haute voix elle cria sa colère : «nous autres femmes on nous a trompées pendant longtemps. L’arbitraire de la société nous confinait dans un rôle exclusif de procréation et d’entretien du foyer et des enfants tout en veillant sur le plaisir et le quotidien de leurs pères.
Avec l’avènement des kadihines, nous sommes en bonne voie pour notre entière émancipation. Maintenant il s’agit de bien comprendre leur noble mission à notre égard et de les épauler dans sa réalisation rapide et intégrale. Nous constituons plus de la moitié de la société. Celle-ci en conséquence ne pourra jamais réussir son décollage sans nous. Un oiseau ne volera jamais à l’aide d’une seule aile. Pas d’avenir à ce pays, ni à son peuple sans l’émancipation et la participation entière de la femme », conclut la bonne dame après avoir dévoilé presque tout son visage.
Le débat a continué jusqu’à tard dans la nuit. L’échange bien que des fois très passionnant était amical et plutôt bon enfant.
A la fin j’ai accompagné le camarade Mahmoud Ould Messaoud chez lui non loin du lieu de la rencontre. Il comptait parmi les importants dirigeants locaux et régionaux du mouvement. Ils dirigeaient ensemble le Comité d’Action Révolutionnaire du Nord(CARN), chargé de l’encadrement de l’activité révolutionnaire dans les quatre régions du nord : Nouadhibou, Tiris Zemour, Adrar et Inchiri.
La maman de Mahmoud, Elmarhouma Oumou Elbarka, nous prépara un repas particulièrement délicieux. « Chez moi » me disait Mahmoud, «est moins exposé par rapport à celui des Bellali qui est en permanence surveillé par la police à la poursuite du camarade Elghassem ».
J’ai aussi rendu visite au camarade Mohamed Mahmoud Ould Lekhal (dit Meyloud) et sa sympathique maman, connue pour son sens de l’hospitalité, Vatimetou Mint Hemmedi, paix à son âme. A Atar, notre mouvement s’enracine rapidement dans tous les milieux depuis qu’il bénéficie d’un large soutien au sein de la famille du célèbre notable Hemmedi Ould Mahmoud paix à son âme. L’honneur revient au camarde Mohamed Mahmoud Lekhal d’avoir financé tout dernièrement l’impression et la publication de Soutouroune Hamra (littéralement : les lignes rouges), un recueil de poèmes révolutionnaires, réuni et publié en Mars 1974 comme supplément à Sayhat El Madhloum.La récente parution de Soutouroune Hamra a été réalisée sous la supervision de notre compagnon de lutte, l’éminent journaliste, Mohamed Abdellahi Bellil. Il est actuellement disponible à la librairie « Joussour Abdel Aziz ». Le précieux document et les photos l’illustrant proviennent de la grande librairie de notre cher camarade Ahmed Mahmoud Ould Ahmedou dit Jemal Ould Kaber. Sa librairie porte le nom symbolique de : « mémoire de la Mauritanie et du Sahara ».
Je profite de l’occasion pour lui présenter mes remerciements. Le travail des Tâches Spéciales m’avait conduit par la suite à Nouadhibou. Là, accompagné par Sedena Yahya, un autre camarade de grande valeur, on a procédé à l’installation d’un centre de presse souterrain à Nouadhibou. J’étais l’hôte de feu Abderrahmane Youssef Ndour. Avec beaucoup de regret, il nous a quittés pour de bon tout récemment, paix à son âme.