En Mauritanie, l'Internet est coupée chaque fois qu'un concours est organisé. Empêcher les candidats, grands et petits, de tricher révèle notre rapport coutumier avec la fraude et l’incapacité des autorités à trouver une parade contre ce mal qui ronge non seulement notre système éducatif mais aussi toute notre société. La triche serait-elle dans notre ADN ?
Elle est, en tout cas, tolérée chez nous, voire banalisée par quasiment tout le monde et nos enfants ont vite fait de se l'approprier, de la maison familiale à l'école. Elle se pratique à tous les niveaux : surveillance, corrections, bulletins, relevés de notes… Les parents l’encouragent, les enseignants et le personnel d'encadrement ferment les yeux. Comment nos enfants ainsi formatés pourraient-ils ne pas traîner cette tare au-delà de leur cursus scolaire ? Et les voilà donc, une fois devenus fonctionnaires, à détourner et piller les ressources de leur pays, à grands renforts de favoritisme et clientélisme, y convoquant même, au besoin, la tribu et la race.
Phénomène prégnant en tous nos concours, on voit, les jours d’examens, les parents envahir les alentours des centres afin de « soutenir et encourager » leur progéniture, avec l’objectif inavoué de profiter de ses sorties pour quelque « besoins » (boire, faire pipi …) à l’aider à tricher. Tout est bon pour glisser les petits papiers. Et avec l’explosion du Net, la fraude a franchi des paliers. En Mauritanie, on est en train de battre les acteurs du film « Les sous- doués » de Claude Zidi sorti en 1980. En quoi nos enfants seraient-ils différents des autres ?
Des parents d'élèves ne se gênent plus de demander aux enseignants de gonfler les notes de leurs enfants. Résultats des courses, très peu ou carrément plus de redoublements en nos établissements scolaires. Dans les classes, nos enfants apprennent très tôt à s’épauler pendant les interrogations et les concours, en s’échangeant des petites notes, en se prêtant les cahiers au gré des besoins. Aucun ne dénonce la triche de son voisin ; bien au contraire, il sait qu’il en profitera lui aussi, s’il en a à son tour le besoin : éternel retour d’ascenseur... Des pratiques que les surveillants ne sanctionnent pas pour éviter les foudres des parents d’élèves. Plus de risque, donc, de la honte à récolter une mauvaise note ou à se mal classer lors des examens.
Avant les années 80, les élèves rivalisaient en bonnes notes et classement. C’est aujourd’hui le cadet de leur souci, avec la certitude de passer en classe supérieure en fin d’année : quelles que soient les notes réelles, ce ne seront pas les officielles. On a poussé la pratique jusqu’à chercher à influencer les correcteurs, les membres des commissions d’anonymat du bac et ceux de la Commission Nationale des Concours (CNC). Ceux-ci fournissent de gros efforts mais ne s’en retrouvent pas moins confrontés à la détermination des « papas ou mamans tricheurs ». On pousse jusqu’à changer les notes des relevés pour permettre à son enfant de s’inscrire dans une filière que son résultat au bac ne pouvait lui permettre. C’est dire que la triche a atteint des proportions industrielles et inquiétantes, elle est devenue l’œuvre des parents.
Face à cette gangrène, les autorités n’ont pour solution que de couper Internet des heures, voire des jours durant, ce qui n’a pourtant pas empêché les élèves et étudiants de continuer à frauder. Le mal est-il si profond ? Où sommes-nous, tout simplement, un pays de tricheurs ?