Visitations présidentielles : Autres temps, mêmes moeurs

8 April, 2021 - 01:50

On ne répétera jamais assez, les déplacements du président de la République à l’intérieur du pays déroutent les observateurs. Celle récemment effectuée par le marabout-président fut plus qu’imposante, à se demander pourquoi un tel déploiement logistique. Simplement pour lancer un fonds de promotion pour l’élevage ? Si le montant de cette contribution fut annoncé à cette occasion, on ignore le coût de la visite aux contribuables mauritaniens. Mais à voir le cortège de voitures dont certaines ont certainement coûté plus quarante millions d’ouguiyas, sans compter le gas-oil et les frais de mission, les griots, la restauration, les peshmergas…Qui paie cette note très salée alors qu’on se plaint des conséquences du COVID sur les ressources de l’État ? Sont-elles traçables, ces sommes ainsi dilapidées ? Il le faudrait, surtout en cette période où des comptes sont exigés de l’ex-président de la République, inculpé avec douze de ses anciens collaborateurs. Ghazwani annonça très tôt qu’il allait livrait bataille à la corruption et à la dilapidation des ressources de l’État. Que dire alors des déplacements superflus de responsables dont la présence est loin d’être utile sur place, sinon pour « m’as-tu vu » ? En prenant le pouvoir, notre nouveau Président avait manifesté, lors de ses premiers déplacements à l’intérieur du pays, sa gêne devant les cortèges laudateurs mais il paraît bien avoir cédé, depuis, à la tentation, sinon à l’habitude, de ses prédécesseurs. En se déplaçant, c’est toute la République qui se déplace avec lui et, donc, tout l’appareil administratif qui se retrouve paralysé. Il est on ne plus banal d’entendre un responsable dire qu’on ne peut rien faire avant la fin de la visite du Président. Comme si tout devait s’arrêter en de tels carnavals.

 

En attendant la Perestroïka…

La dernière visite du président de la République a de nouveau prouvé combien nos présidents et leur cour se soucient peu des gens à qui ils rendent visite. Un grillage séparait le Président, ses accompagnants et ses laudateurs des populations locales venues l’écouter et l’applaudir. Accourus depuis Nouakchott, abandonnant leur poste, les « cadres et élus locaux »ont rivalisé avec leurs amis et souteneurs en cortèges et défilés de voitures plus luxueuses les unes que les autres, de chameaux et de chevaux alors que les populations qu’ils ne cessent de solliciter pendant leurs campagnes électorales ou d’implantation se plaignent de la dégradation de leurs toujours plus précaires conditions de vie. Le luxe insolent de ces exhibitions devient intolérable. Ôtées du fonds de huit milliards destinés à la promotion de l’élevage, les sommes dépensées lors de cette visite manqueront en quelque nécessité autrement plus vitale. On aurait pu se passer des cortèges, injecter leur coût dans ledit secteur et même en distribuer une petite part aux populations, à la veille du mois béni de Ramadan.

Une question, pendant qu’on y est : que rapporte l’élevage au budget de l’État ? Avec nos rapaces incrustés au plus près de leur source, ne risque-t-on pas voir les huit milliards prendre le chemin des autres milliards injectés chaque année dans le secteur de l’agriculture ? Injectez, injectez, il en manquera toujours à l’heure des comptes ! Ne dit-on pas que les bons comptes font les bons amis ? Feu Habib ould Mahfoudh n’avait-il pas raison de dire que déplacer à Nouakchott toutes les populations d’une région à visiter coûterait moins cher à l’État que d’y déplacer le président de la République et son cortège ?

Lors de cette visite à Timbédra, on a également vu les leaders des tendances politiques locales rivaliser en mobilisation des leurs pour montrer au président de la République leur « poids local ». Lesquels défilés ont fait les choux gras de la presse, en particulier celle en ligne : « grande mobilisation de tel », « défilé réussi de tel autre », « présence remarquée de X » et « contribution de Y à la réussite de la visite du président de la République » pouvait-on lire sur différents sites. Des pratiques héritées d’Ould Taya et ancrées sous Ould Abdel Aziz. Avec Ould Ghazwani, le Rubicon est à nouveau en passe d’être franchi. Propos et agissements à relents tribalistes et régionaliste sont repris du poil de la bête comme le reflètent amplement les discours des acteurs politiques. Initié sous la férule d’Ould Abel Aziz, avec sa volonté manifeste de réécrire la résistance contre la colonisation française en Mauritanie –  attribution du nom d’Oum Tounsi à l’aéroport de Nouakchott, par exemple – le mouvement semble irréversible.

 Le président de la République s’est-il déplacé pour voir et entendre ces « sornettes » ? Nous espérions que non. Une visite pour donner le coup d’envoi d’une simple foire de l’élevage, fut-elle la première en Mauritanie, devrait se limiter à un accueil des populations locales, profitant de la rencontre entre le sommet et la base pour exposer leurs problèmes, et ne concerner que les cadres du département ministériel maître d’œuvre. Pas plus ! La rationalisation des ressources de   l’État passe par la fermeté du président de la République à ne pas donner même l’impression de prendre les mêmes et de recommencer. En favorisant la constitution d’une Commission d’enquête parlementaire (CEP) de l’Assemblée nationale pour pister les ressources dilapidées du pays sous le règne de son prédécesseur, Ghazwani avait suscité un grand espoir chez ses concitoyens fort marris devant le déploiement de luxe insolent qu’exhibent des cadres et élus du pays. Mais les scandales qui ont recommencé à éclore, l’absence de sanctions à l’encontre de leurs auteurs et le maintien à des postes stratégiques de personnes connues pour leur « rapacité » ont plus que douché – carrément noyé… – les attentes des Mauritaniens. Les recommandations de la CEP, le début des enquêtes de la police économique et celle, aujourd’hui, de la justice avaient sonné comme une espèce de perestroïka du président-marabout, mais, de l’avis de certains observateurs, Ghazwani n’est hélas pas Gorbatchev. L’homme de Kiffa n’est pas pressé de changer le « système » enfanté par Ould Taya, ancré par Ould Abdel Aziz et qu’il poursuit aujourd’hui lui-même. Pouvait-il en être autrement ? De par son parcours, de son entourage et même de son tempérament, Ghazwani ne paraît pas prédisposé à  révolutionner la gestion des affaires publiques dans le cercle qui l’entoure. Et pour cause : il est le fruit de ce système. Scie-t-on pas la branche sur laquelle on est assis ?

                                 Dalay Lam