Le Calame : Vous venez d’organiser un débrayage de quelques jours. Comment appréciez-vous son déroulement et son impact ?
Hadou ould Ahmed Salem : Avant de répondre à votre question, permettez-moi de présenter d’abord la Coordination de l’Enseignement Fondamental (CEF) à laquelle nous appartenons. Fondée le 01 octobre 2019, la CEF est constituée de cinq syndicats et d’un regroupement de directeurs d’école. Elle couvre l’étendue du territoire national. Son objectif est de lutter et de militer pour la résolution des doléances des instituteurs. Elle a déjà organisé six grèves, plusieurs sit-in et publié cinquante communiqués. Nous avons également à notre actif plusieurs dîners pédagogiques, des plates-formes (W.S) nationales et régionales, des pages Facebook, YouTube et autres chaînes Télégram. La CEF entretient également une plateforme nationale de l’enseignement à distance. Elle a participé à la campagne de sensibilisation dans le domaine de l’éducation pour la santé et encadré les personnes cibles dans les domaines religieux et pédagogique.
En voici les membres : Syndicat national des enseignants de Mauritanie (SNEM) ; Syndicat des enseignants de Mauritanie (SEM) ; Syndicat des Attachés Administratifs de l’Enseignement Fondamental (SAAEF) ; Syndicat Mauritanien du Mouvement de l’Enseignement Fondamental (SMMEF) ; Syndicat professionnel de l’Enseignement Fondamental (SPEF) ; Regroupement des Directeurs d’Ecoles de l’enseignement public de Mauritanie (RDEM).
Pour en revenir à votre question, je m’en vais vous dire que ce fut une grève générale sur toute l’étendue du territoire qui a paralysé toutes les activités pédagogiques, contrairement à ce qu’on a voulu accréditer. Nous ne rejetons pas l’évaluation en tant que telle, mais la manière dont le ministre l’a proposée (cf. le décret N° 040-2019).Je pense que cette déclaration n’est pas à sa place, elle est trop tardive. Il faudrait évaluer tout le système éducatif, ainsi que tout le système, de haut en bas de la hiérarchie de l’État. Notre système éducatif est en totale détérioration, victime d’un désintéressement de la part des équipes dirigeantes qui se sont succédé à la tête du département. Je pense qu’avant de penser à évaluer les enseignants, il serait plus indiqué de les mettre dans les conditions de vie favorables à l’exercice de leur métier, restaurer leur image tant ternie, augmenter leurs salaires, renflouer leurs indemnités, faire de sorte qu’ils les reçoivent à temps, réhabiliter les écoles, disponibiliser tout le matériel didactique et assurer des formations continues.
L’évaluation doit s’effectuer en classe devant les apprenants, par le superviseur ou l’inspecteur. Franchement, je n’ai aucune crainte pour mes collègues mais dans le fait de ne pas mettre l’enseignant dans de bonnes conditions et lui offrir tous les supports possibles.
- Depuis quelques années, les enseignants organisent des grèves sans réussir à paralyser le secteur et faire plier le département. De quoi vous plaignez-vous exactement ?
- Les enseignants se plaignent d’être lésés. Ils dépensent toute leur énergie sans quasiment aucune contrepartie. Lésés par les maigres salaires, lésés par le retard des indemnités, lésés par le manque de considération du département et de la société même. Ils se plaignent du manque de formations continues et de recyclages qui pourraient résoudre ce bras de fer de l’évaluation. Ils se plaignent parce qu’ils sont marginalisés par les autres acteurs de la société, ils se plaignent de l’insécurité dans les écoles, ils se plaignent, ils se plaignent… et la liste est hélas très longue.
- En réaction à votre sortie, le ministère s’est dit disposé, semble-t-il, à ouvrir un dialogue franc avec les syndicats. Comment avez-vous réagi à cette proposition ?
- Le sit-in du 10 février 2021 organisé devant la présidence par la CEF a fait évoluer la vision générale du ministre vis-à-vis du travail syndical, de son efficacité et de son influence. On a ouvert la porte à des rencontres et des réunions… mais pas un dialogue, car qui dit dialogue dit plan d’action ou feuille de route déterminée et signée par les parties prenantes.
- Réagissant à votre dernière sortie, le conseiller en communication du ministère a déclaré que le département a débloqué plus de 14 milliards d’ouguiyas pour améliorer les conditions de travail et de vie des enseignants. Cette décision ne vous satisfait-elle pas ? La manne n’est-elle pas arrivée dans vos assiettes ?
- Cette somme est spécifiquement destinée aux salaires des fonctionnaires de l’enseignement fondamental et secondaire et non à l’amélioration des conditions de travail et d’existence des enseignants. La preuve est qu’il n’y a pas eu d’amélioration des conditions morales et matérielles, surtout celles d’existence et de travail.
- Dans son discours à la Nation, lors de la Fête de l’Indépendance, le président de la République a annoncé une augmentation et une généralisation des primes et indemnités des enseignants. Que voulez-vous de plus ?
- Nous louons considérablement les augmentations décidées par le président de la République et nous demandons à ce que ces augmentations se généralisent à tout le département. Le Président doit accorder une augmentation sensible, réfléchir au rôle et à la place de l’enseignant et le comparer aux autres fonctionnaires plus payés et moins rentables…Il doit s’inspirer de la chancelière allemande, madame Angela Merkel, et du Premier ministre malaisien.
- Que pensez-vous de la réforme de l’enseignement décidé par le département ? Etes-vous satisfait de la composition de la commission mise en place à cet effet ? Les syndicats y sont-ils représentés ?
- C’est une réforme prometteuse si les autorités supérieures du pays interviennent afin de sauver la situation et assurer la poursuite de l’éducation de nos enfants dans de meilleures conditions. Cependant nous sommes déçus du fait que le département ait exclu des syndicats actifs et refusé leur participation à l’atelier sur la réforme. Nous sommes déçus, encore, de n’être pas membres du Conseil Supérieur de l’Éducation (CSE). Cette marginalisation des enseignants pourrait pousser la CEF à ne pas participer aux états généraux de l’enseignement prévus prochainement.
- Lors de la campagne présidentielle de 2019, le président Ghazwani s’est engagé à mettre en place une « école républicaine ». Comment avez-vous réagi à cette initiative ? Qu’en attendez-vous ?
- C’est là aussi une initiative louable à valoriser. Cette valorisation ne peut se faire que par des financements nationaux et non pas extérieurs. Et que tous les responsables et hautes autorités de l’État envoient obligatoirement leurs enfants dans les écoles publiques, en s’abstenant de politiser l’idée de l’école républicaine. Cette école républicaine est la seule qui peut rassembler et unir toutes les composantes de notre pays, garantissant un avenir meilleur aux futures générations.
Propos recueillis par Dalay Lam