Le Calame : Vous venez d’être porté à la tête de la section Mauritanie de l’Union de la presse francophone de Mauritanie. Votre première réaction ?
Bakary Guèye : Effectivement et comme vous le savez bien, j’ai été coopté par le bureau de l’UPF basé à Paris. Ce choix porté sur ma modeste personne me réconforte énormément en tant que professionnel et amoureux de la langue de Molière. C’est en effet aujourd’hui un privilège de parler et d’écrire en français en Mauritanie. Je me sens honoré par ma désignation à la tête de la section mauritanienne de l’UPF et considère que ce n’est que justice, au vu de mon cursus scolaire et universitaire, ainsi qu’au rôle que j’ai joué dans l’éclosion et l’affirmation d’une presse mauritanienne libre et indépendante.
J’ai eu le privilège de côtoyer les pionniers de cette presse dès le début de l’hiver 1992, en intégrant le comité de rédaction du journal mythique « Mauritanie Demain » qui était le seul à l’époque. J’ai côtoyé feu Habib ould Mahfoud et signé un article dans le premier numéro de son journal « Al Bayane », un numéro que je garde toujours très jalousement. La carrière journalistique du jeune professeur de français que j’étais et demeure avait pris l’envol. Près de trente ans plus tard, le chemin parcouru est très riche. Je ne pourrais pas citer ici tous les journaux ou sites web auxquels j’ai collaboré ou appartenu, parfois au poste de rédacteur en chef. C’est aussi valable au niveau international, avec, entre autres, ma collaboration avec des media français, américains, canadiens, roumains, japonais…
Pur produit d’un système éducatif qui n’avait rien à envier au système français, j’ai naturellement épousé la langue française, cette belle langue que je n’abandonnerai sous aucun prétexte. Et, grâce à ma position actuelle au sein de l’UPF, je ne ménagerai aucun effort pour promouvoir et défendre un journalisme professionnel et d’éthique. Il convient de noter que cette désignation pour gérer la section a été largement saluée par mes confrères de toutes générations et c’est là un motif supplémentaire de satisfaction. Avec maintenant deux priorités : organiser les adhésions et convoquer une Assemblée Générale pour désigner officiellement le président et les nouveaux membres du Conseil Exécutif.
- En attendant d’établir l’état des lieux, comment voyez-vous la situation actuelle de cette presse en Mauritanie et ses défis ?
- C’est un secret de polichinelle. Aujourd’hui, rien ne va. Les institutions de presse sont à genoux – la presse privée, je veux dire – et les journalistes abandonnés à eux-mêmes. Miné, le secteur est dans un état de décrépitude avancé, on ne sait pas qui est journaliste et qui ne l’est pas. La presse écrite a été supplantée par la presse électronique, conglomérat de sites aussi farfelus et aussi peu crédibles les uns que les autres. Elle fait face à un manque cruel de journalistes et de personnel qualifiés, les règles les plus élémentaires de la profession sont foulées au pied. Et le comble, c’est que les autorités sont plus enclines à traiter avec cette presse de pacotille qu’avec les rares organes jugés plus ou moins sérieux.
La libéralisation de l’espace audiovisuel, avec l’apparition de radios et de télévisions privés, parut un grand pas en avant. Mais ces nouveau-nés n’ont pas été accompagnés et soutenus comme il se doit par l’État qui a très vite pris peur de leur capacité de nuire à ses intérêts. Car, si ces media bénéficient d’une audience beaucoup plus large, comparativement à la presse écrite et électronique : les citoyens ordinaires y ont accès, on y parle toutes les langues locales, on n’a pas besoin d’avoir été à l’école pour profiter de leurs programmes… – leur liberté de ton, la variété des sujets traités – aucun sujet n’était tabou – mais aussi des débats politiques les ont tout de suite de suite distingués… mettant la puce à l’oreille d’un pouvoir politique qui ne supporte pas trop la contradiction. Et de leur mettre au plus vite des bâtons dans les roues. De ce fait, ces media sont quasiment aujourd’hui sous embargo et n’ont pas les moyens de leur politique.
Pour vous donner une idée de la précarité où se trouve la presse mauritanienne, les journalistes travaillent sans contrat et ne disposent d’aucune garantie, ce qui bien entendu est en contradiction flagrante avec la loi. La plupart travaillent sans salaire et s’il existe, il est réduit à portion congrue, généralement payée de manière très irrégulière ou pas payé du tout.
Du côté de la presse publique, la situation n’est guère meilleure, bien qu’elle dispose de tous les moyens nécessaires, contrairement aux médias privés. La question qui taraude tout le monde est la suivante : comment la presse mauritanienne, véritable écurie d’Augias, peut-elle s’organiser, quand on sait comment elle est constituée ?
La nouvelle volonté politique affichée par le président Ghazwani fait cependant naître beaucoup d’espoirs. Une commission de réforme a été mise en place. Elle vient de rendre son rapport au président de la République. Ce texte a été discuté en conseil des ministres. Nous verrons bien ce que ça va donner.
- Votre élection intervient au lendemain de la célébration de la Journée internationale de la Francophonie. Quels en furent les grands actes ?
- Comme tous les ans, cette journée a été célébrée en Mauritanie au cours d’une cérémonie officielle présidée par le ministre de la Culture, de l’Artisanat et des Relations avec le Parlement, en présence de l’ambassadeur de France en Mauritanie et du président de l’Association Mauritanienne pour la Francophonie (AMF). Mais ce n’est en fait que le début, toute une semaine durant, d’une cascade de manifestations (conférences-débats, tables rondes…). Au niveau officiel, on s’arrête à la cérémonie d’ouverture. Les media officiels se sont limités à l’annonce de l’événement. C’est au niveau de l’AMF et de l’IMF qu’on organise lesdites manifestations. Mais cette année, Covid oblige, les activités furent réduites.
- La place du français continue toujours à alimenter le débat en Mauritanie. Aussi bien à l’école, dans l’administration et même au niveau des radios et chaînes de télé, publiques et privées. Quel rôle entend jouer l’UPF pour contribuer à apaiser cette « tension » ?
- Pour répondre à votre question, un come back s’impose. Soulignons d’emblée qu’en ce pays qui donna du fil à retordre aux colons, la langue française est plus que partout ailleurs l’objet de toutes les récriminations, aussi bien de la part de l’élite que d’une population parfois savamment montée contre elle.
Ce rejet trouve ses racines dans la lointaine histoire coloniale, avec l’imposition de cette langue dans un pays profondément musulman et peuplé d’habitants d’origines diverses. Du côté de la composante négro-africaine de la population, on s’en est accommodé. Du côté de la composante arabo-berbère, on continue en revanche à résister au français, perçue comme une manifestation intolérable de l’impérialisme linguistique. Pour cette frange de la population qui, soit dit en passant, compte beaucoup de francophones, seule la langue arabe devrait avoir droit de cité, car c’est la langue par excellence du Coran et de l’islam. Cette position est défendue avec acharnement par la presse arabophone dont la plupart des ténors n’ont pas eu la chance d’apprendre le français.
La diversité de ce positionnement des composantes de la population face au français ne lui rend guère service et constitue l’une des manifestations les plus éloquentes de la fracture communautaire qui fait l’objet d’une récupération politicienne permanente, depuis l’indépendance en 1960, poussant les gouvernements successifs, à mener une guerre secrète contre le français, une guerre qui finira par se révéler au grand jour.
Depuis les premières années de l’indépendance, nos dirigeants se sont employés à modifier le système éducatif à la française en y introduisant une dose d’arabe. Cette tendance a conduit à une arabisation progressive traduite en une école à deux systèmes : français pour les mauritaniens d’origine négro-africaine et arabe pour la composante arabo-berbère. La réforme du système éducatif en 1999 était censée booster la place de la langue de Molière mais produisit l’effet contraire. Cette réforme est toujours en vigueur mais l’enseignement du français dans les écoles mauritaniennes est si exécrable qu’on aura du mal à assurer la relève. Dans les prochaines années, il va falloir se résoudre à importer des francophones étrangers. Face à ce recul inquiétant du français en Mauritanie, les instances de la Francophonie ont devoir de jouer aux pompiers.
Au final et pour répondre à votre question, le problème dépasse notre strict cadre UPF mais on entend bien, au niveau de notre bureau, profiter à fond des opportunités offertes par l’Union pour, entre autres, contribuer au développement de la formation et à la promotion de jeunes journalistes au sein des media francophones ; défendre et développer la liberté de la presse et des journalistes ; et promouvoir la culture et les media francophones. Je vous remercie.
Propos recueillis par Dalay Lam