En pleine gestation de dialogue, les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale ont décliné une feuille de route en plusieurs points à présenter au pouvoir. La coordination de ces organisations lui propose un délai de réflexion de quinze jours et avance un chronogramme étalé sur cinq à semaines pour traiter lesdits points, une échéance qui paraît cependant trop courte pour les régler tous, notent divers observateurs. Cela dit, une fois la balle dans le camp du gouvernement – ou, plutôt, du président de la République : il est le seul à trancher –va-t-il accepter cette pression sur ses épaules, lui qui a privilégié jusqu’ici des concertations à sa façon et au Palais ?
On relève également comme une espèce d’incongruité dans ces préliminaires. Une ou deux feuilles de route ? Lors première réunion chez le président Messaoud ould Boulkheïr, où des partis non représentés à l’Assemblée nationale avaient participé aux discussions, deux des invités avaient été chargés de synthétiser les débats ; autrement dit, établir un projet de feuille de route. Puis les partis représentés à l’Assemblée nationale se réunissaient de leur côté pour élaborer la leur. De quoi interroger le président d’APP qui avait lancé la première initiative. Et la question a été posée lors de la seconde rencontre à son domicile. Faut-il rédiger une autre feuille et, le cas échéant, la fusionner à celle de l’Assemblée nationale ou la présenter séparée ? Toujours le même vieux dilemme entre le formel et l’informel…
En tous les cas, le dialogue – ou la concertation : c’est selon – apparaît désormais comme une demande politique forte réclamée par tous ses acteurs. Sous fond de querelle de leadership au sein de l’opposition. Ce n’est pas non plus nouveau, on en a toujours connu sous nos cieux, c’est d’ailleurs pourquoi une grande partie de l’opposition a toujours refusé de prendre part aux dialogues précédents. Pour ne pas se faire instrumentaliser ni se faire mener en bateau, murmurent certains. D’autant plus que, si les thèmes retenus dans la feuille de route par les partis politiques représentés à l’Assemblée nationale sont globalement jugés pertinents et porteurs d’espoir, on y a trouvé à redire.
« Parvenir à un consensus autour des questions nationales fondamentales, accomplir les réformes nécessaires pour instaurer un véritable État de droit, de justice et d'égalité, conduisant à la normalisation de la vie politique nationale en vue de régler tous les problèmes », voilà certes de quoi satisfaire tout le monde. Mais d’autres questions, notamment celles relatives à l’unité nationale –autrement dit : de la cohabitation – demeurent assez évasives. En effet, si la feuille de route de l’Assemblée nationale évoque clairement et sans détour le règlement de la question de l’esclavage et de ses séquelles, le passif humanitaire et l’officialisation des langues nationales (pulaar, soninké et wolof) semblent oubliées. Les rédacteurs dudit document l’auraient noyée dans « l’instauration d’un État de droit, de justice et d'égalité, conduisant à la normalisation de la vie politique nationale » ?
La feuille de route doit être plus explicite…si l’on veut vraiment régler définitivement les questions considérées jusqu’ici comme « tabous » ou « qui fâchent ». Il n’est un secret pour personne que la méfiance est de mise depuis les années 80 entre les diverses composantes du pays. Les dialogues précédents n’ont pas pu ou voulu y avancer des solutions consensuelles. Et pourtant, elles existent ; il suffit d’en avoir la volonté et le courage politique, comme en d’autres pays. Les expériences marocaine et sud-africaine pourraient à cet égard nous inspirer...Espérons donc que les participants au futur dialogue auront l’audace d’aider la Mauritanie à tourner conjointement les deux pages de l’esclavage et du passif humanitaire. Et, surtout, que les recommandations qui seront formulées et remises au président de la République seront mises en œuvre et appliquées, conformément à la volonté des débateurs.
DL