Lors de la première session 2021 de l’Assemblée nationale, les divergences entre la majorité présidentielle et l’opposition ont conduit à reporter la mise en place de la Haute Cour de Justice pour juger éventuellement l’ex-président Ould Abdel Aziz et certains de ses collaborateurs. Le rapport de la Commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale avait épinglé plusieurs hauts responsables devant être entendus par la HCJ ou la justice ordinaire. Depuis la fin des enquêtes diligentées par la police chargée des délits économiques et financiers, les Mauritaniens attendent l’installation de ce tribunal exceptionnel ; l’ex-Président ayant refusé jusque là de répondre aux questions des enquêteurs de la CEP et de la police économique, arguant que seule la HCJ est habilitée à l’entendre, parce que ce qui lui est reproché, et qu’il ne reconnait pas, concerne, selon lui, le seul exercice de sa fonction présidentielle.
Les Mauritaniens sont restés sur leur faim. Le gouvernement d’Ould Ghazwani a-t-il réellement la volonté de faire juger l’ex-Président et de recouvrer ainsi les milliards détournés, dissuader tous ceux qui s’autorisent à puiser dans les caisses de l’État ou à abuser de sa confiance ; bref, de mettre fin à l’impunité ? Leur scepticisme s’est vu renforcé au terme de ladite session de l’Assemblée nationale. Les différends groupes parlementaires n’ont pas réussi à s’entendre sur la répartition des postes au sein de la Cour. L’Union Pour la République, qui en a obtenu déjà six, et ses soutiens n’ont pas cédé à la demande de l’opposition s’appuyant, elle, sur le consensus qui prévalait depuis la mise en place de la CEP. Outre la place revenue de facto à Tawassoul, principal parti de l’opposition, celle-ci en réclame deux autres : l’une pour le groupe RFD-UFP et l’autre pour celui APP-Sawab-AJD/MR. Leur argument : disposer d’une HCJ inclusive et représentative de l’Assemblée nationale. Une requête rejetée par l’UPR et de ses soutiens UDP-Karama-AND qui réclament, eux, une place. Au constat du blocage alors que la session devait être clôturée fin-Janvier, la mise en place de la HCJ est renvoyée à la prochaine session, sinon aux calendes… grecques. Laissant évidemment libre cours à toutes les supputations. Et effets pervers : la fondation de la CEP avait amélioré l’image du Parlement aux yeux des Mauritaniens qui avaient tous salué l’inédit consensus de la mise en place d’une telle commission, son travail méticuleux et professionnel, ses recommandations pertinentes et bon nombre d’entre eux avaient fini par se convaincre que quelque chose était en train de bouger ;mais, las, un pas en avant, deux pas en arrière, le « changement dans le stabilité » semble bel et bien avoir repris du galon…
Bonnet blanc…
Le gouvernement aura-t-il fini par décider de se débarrasser d’une HCJ trop embarrassante et, donc, du dossier de la corruption pour le confier à la justice ordinaire ?Des semaines durant, pour ne pas dire des mois, les rumeurs circulèrent, mettant en doute la détermination du pouvoir à juger l’ex-Président, en dépit des engagements mainte fois réaffirmés de celui-là à ne pas interférer dans le fonctionnement de la justice. Le ministre de celle-ci avait dû recadrer le débat, en proclamant que le dossier irait jusqu’au bout sans intervention de l’Exécutif. Quoiqu’il en advienne, le maintien à leur poste de nombreux responsables cités dans le dossier, alors qu’un des hauts cadres du pouvoir affirmait que tous les impliqués seraient congédiés jusqu’à leur éventuel blanchiment par la justice, les lenteurs cumulées et le report, aujourd’hui, de la mise en place de la HCJ accréditent bel et bien la thèse du« scénario de mauvais goût ». Pour les plus sceptiques, Ghazwani et Ould Abdel Aziz, c’est carrément« bonnet blanc et blanc bonnet » ; pis, « ils continuent à entretenir de bonnes relations et se jouent même des Mauritaniens », prétend un bloggeur. Pour d’autres, le pouvoir de Ghazwani n’a plus de choix, il doit juger son « non-ami » ou subir les conséquences d’une éventuelle dérobade. Et comme pour aiguiser le couperet, les fuites sur les communications téléphoniques entre divers responsables du pouvoir et l’augmentation subite des prix de produits vitaux sont venues troubler davantage l’esprit des Mauritaniens. Après avoir suscité un espoir lors de sa campagne, puis de son élection, le président Ghazwani doit aujourd’hui comprendre que l’attente des Mauritaniens d’un changement significatif, à défaut d’une rupture, devient chaque jour plus exigeante. Cette réforme doit s’étendre de son entourage immédiat, celui du palais de la République, au plus bas échelon de l’administration. On ne peut pas faire du neuf avec du vieux.
DL