Le Calame : Depuis quelques semaines, on assiste à une flambée des contaminations au COVID et de la mortalité y afférant. Au vu des chiffres, peut-on dire que la Mauritanie est entrée dans ce qu’on appelle la 2ème vague ? Était-elle inévitable ?
- Docteur Abdou Salam Guèye : Merci beaucoup pour cette intéressante question. En épidémiologie, la notion de première ou deuxième vague n’est pas clairement définie. Ce sont souvent des sentiments personnels et des analyses que les journalistes développent dans la presse. Ce que je sais, c’est qu’au regard des près de deux cents cas de contamination et des quelques morts recensés chaque jour, la situation actuelle mérite une grande attention des populations, du gouvernement et de nous autres instances internationales en charge d’appuyer le pays. La présente évolution du COVID en Mauritanie est une sérieuse préoccupation qui nécessite des interventions particulières.
- Que pensez-vous de la réaction du gouvernement mauritanien qui a réactivité son plan de riposte et décidé de fermer les écoles et universités ?
- Je pense que c’est une continuité de ses mesures et efforts engagés aussitôt la pandémie annoncée puis arrivée dans le pays. Fermer les écoles, inciter les populations à porter des masques et à respecter les mesures-barrières et d’hygiène sont de très bonnes mesures. Il a été prouvé que les pays les ayant appliquées très tôt ont réussi à gérer et contrôler efficacement la pandémie. Je le répète donc, il s’agit là de bonnes mesures pour endiguer la propagation du virus.
- Qu'envisage de faire OMS pour aider la Mauritanie à gérer cette recrudescence ?
- Les mesures annoncées entrent dans le cadre de ce que le gouvernement appelle une stratégie de « vivre avec le COVID ». Il y des piliers indispensables mis en place à cette fin : engagement communautaire et communications des risques, prévention et contrôle des infections, diagnostic (notamment au niveau des laboratoires), prise en charge des cas, logistique, administration et lutte contre les impacts sociaux économiques. C’est la base même de la lutte partout dans le Monde.
Dans la situation actuelle, le président mauritanien a opté pour les priorités des priorités. Il en a retenu cinq : en un, la détection au sein du personnel de santé et la prise en charge des éventuels cas positifs. Cette priorité présente trois avantages. Soldats de première ligne face à la pandémie, le personnel de santé doit tout d’abord être protégé pour jouer pleinement et sereinement son rôle et nous éviter ainsi de perdre la guerre contre cet ennemi pernicieux. S’il est lui-même atteint par le virus, le personnel de santé accueillant toutes sortes de malades dans les structures de prise en charge risque fort de les contaminer, surtout les plus faibles, particulièrement vulnérables au COVID. En testant le personnel de santé, on pourra ensuite se faire une idée plus précise de la transmission de la maladie, non seulement au sein des structures de santé mais également au sein de la population, et l’on prendra les dispositions nécessaires à temps.
La seconde priorité est de détecter les cas au sein de la population suivant un algorithme apte à cibler les personnes susceptibles d’être infectées et positives. Plus on effectue de tests au sein de la population, plus on réduit les risques de propagation du virus. Il faut donc effectuer le maximum de tests, à condition, bien évidemment, de disposer de moyens adéquats. On peut ici faire appel à l’OMS en fonction des besoins.
La troisième priorité est ce que j’appelle « la prévention chez les positifs ». L’idéal est de la vulgariser au sein de toute la population, en faisant de sorte que tous portent des masques, respectent les mesures-barrières ; et de bien détecter les personnes positives, sachant que les contaminés de la seconde génération du virus l’ont hérité de ceux infectés par la première. Pour arrêter la spirale de la contamination, il faut donc offrir cinquante masques par personne positive et assez de gel hydro-alcoolique pour casser la chaîne de transmission dans l’entourage même de cette personne. L’OMS a livré à cet effet cinq cent mille masques pour Nouakchott seulement et nous disposons d’un autre stock à distribuer en cas de besoin.
La quatrième priorité consiste à prendre en charge les personnes positives exemptes de symptômes, un facteur supplémentaire de risques. Ces patients peuvent être pris en charge à domicile et l’État y travaille. Pour cette catégorie, nous avons identifié une technologie appelée « oxymètre de pouls » qui permet de mesurer la quantité d’oxygène dans le sang et de surveiller l’état des patients sujets à des troubles respiratoires ou souffrant d’affections de l’appareil respiratoire. On en a déjà déployé une cinquantaine sur le terrain.
Cinquième priorité enfin, la prise en charge des personnes testées positives qui présentent une symptomatologie laissant craindre qu’à défaut d’un tel suivi, elles pourraient voir se dégrader leur état global de santé, voire en mourir. En ce qui concerne les cas les plus graves, nous avons mis à la disposition du ministère de la Santé huit cliniciens espagnols qui travaillent en parfaite symbiose avec leurs collègues mauritaniens. C’est vous dire donc que nous avons fourni des efforts substantiels pour accompagner les services du ministère de la santé à tous les niveaux de priorité mais, répétons-le, la réponse est celle du gouvernement, nous ne faisons que l’accompagner.
- De quels tests doit-on user en fonction de ces différentes priorités ?
- En Mauritanie, trois tests sont utilisés. D’abord le PCR, test de référence qu’il est recommandé de vulgariser le plus vite et autant que possible. Ensuite, le texte à diagnostic rapide à anticorps qui détecte le virus « a posteriori » : ce n’est pas le virus que le test détecte mais les traces de celui-là. Le troisième test, c’est le test à diagnostic rapide à antigènes. Il détecte une partie du virus très tôt au début de la maladie. L’OMS a commandé cent mille tests. La plupart sont des tests diagnostic rapide à antigènes, plus recommandés et que le gouvernement a adoptés. D’un coût de moins d’un demi-million de dollars US, le stock est en cours d’acheminement vers la Mauritanie.
- Depuis quelque temps, la question du vaccin préoccupe les gouvernements des pays nantis. Certains s’apprêtent à lancer des campagnes de vaccination d’une partie de leurs citoyens. En avez-vous discuté avec les autorités mauritaniennes ? Si oui, la Mauritanie envisage-t- elle d'acquérir elle aussi ce fameux vaccin dont la conservation paraît une véritable quadrature du cercle ? Que pourrait lui apporter l’OMS ?
- Compte tenue de l’ampleur de la pandémie COVID et de sa nouveauté, une véritable course contre la montre a été engagée pour trouver rapidement des vaccins. Des spécialistes se sont engagés à en trouver dans un délai de dix-huit mois, si des moyens appropriés leur étaient mis à disposition. Aujourd’hui, c’est en moins de douze mois qu’ils ont tenu le pari d’en mettre un sur le marché. Une véritable prouesse ! Actuellement, il y a deux cent dix candidats-vaccins, quarante-huit sont à l’essai humain et dix en phase 3 dont la réussite permet d’utiliser le vaccin comme moyen de lutte. Un manufacturier a déclaré que plusieurs vaccins sont efficaces à 95% et deux d’entre eux sont en considération d’utilisation. L’un est d’ailleurs déjà diffusé en Grande-Bretagne depuis mardi dernier.
Telle est l’actuelle situation des vaccins. La Mauritanie suit avec intérêt, en collaboration avec l’OMS dont elle est membre, l’évolution de leur production. Dans ce cadre, nous avons sollicité un expert mauritanien en vaccination de l’OMS qui fut un de ses représentants avant de prendre sa retraite. Ce fut une chance pour nous de le reprendre et de le mettre à la disposition du ministre de la Santé. Il y travaille depuis maintenant quatre mois.
Une chose que la Mauritanie a accomplie et que j’apprécie, c’est qu’elle aura été le premier pays à exprimer, avant tous les autres, sa disposition à accompagner les organisations en charge du vaccin (GAVI, OMS, CPI...). Elle fait aussi partie des soixante-douze pays qui ont accepté de travailler avec lesdites organisations. Et quand ces organisations, à l’instar de COVAX, ont demandé des données nationales, la Mauritanie a répondu positivement avec vingt-quatre autres pays. Plus récemment dans le cadre du plan de vaccination que nous avons demandé et dont le deadline était fixé au 6 Décembre, la Mauritanie a honoré son engagement. C’est donc vous dire que le gouvernement mauritanien fait tout ce qu’il faut pour obtenir un vaccin.
- Quels enseignements le bureau de l’OMS a-t-il tirés de la première vague COVID ?
- Il est toujours bon de dresser un bilan ou constat d’une épreuve qui a ébranlé tous les systèmes de santé. En Mauritanie, nous avons tenté de nous y employer de façon professionnelle, en relation étroite avec le département de la Santé. Des équipes ont été dépêchées dans les quinze wilayas du pays. Au terme de ces missions, des recommandations précises ont été consignées dans un document remis audit ministère. D’habitude, de telles recommandations ne sont pas destinées au public mais, parce que les informations recueillies lors du passage de ces équipes peuvent être complétées par ses services décentralisés, si le ministère le juge utile, il appartient à celui-ci de les rendre publiques et d’en faire bon usage.
- Quels rapports entretenez-vous avec les organisations de la Société civile (OSC) qui ont un rôle à jouer dans la sensibilisation et la communication ?
- Les OSC sont des acteurs avec qui nous pouvons collaborer en tant qu’organisation des États-membres. Leur rôle est d’aider mais aussi de s’aider eux-mêmes en tant que citoyens. Je vous citais tantôt neuf piliers sur qui repose l’appui du Système des Nations Unies au gouvernement. Certains de ces piliers ont plus besoin de la Société civile que d’autres. Si vous prenez, par exemple, l’engagement communautaire et la communication des risques – deux piliers sous la responsabilité de l’UNICEF – ils nécessitent son action. Le pilier « préventions et contrôle des infections » qui relève lui aussi de l’UNICEF touche également beaucoup la Société civile au niveau de la communauté mais moins à celui des structures de santé.
Au niveau de l’OMS, nous assumons le pilier « diagnostics au niveau des laboratoires, la prise en charge des cas et la surveillance ». Tantôt cela implique la Société civile, tantôt non. Et pour tout ce qui demande l’engagement de la communauté, nous avons travaillé avec le ministère de la Jeunesse et des sports, parce que, plus épargnée par la pandémie, la jeunesse est un potentiel qu’on pouvait facilement exploiter. On a constaté que quand vous formez et encadrez les jeunes à bon escient, vous obtenez des résultats probants. C’est ainsi que nous avons pris en charge mille deux cent vingt-deux jeunes pendant plusieurs mois et les avons envoyés sur le terrain, contre une petite rémunération, pour la prévention au sein de leur communauté respective. Ces jeunes ont été sélectionnés par les services du ministère de la Jeunesse et des sports en considération de leur expérience sur le terrain au sein des associations de jeunes. Enfin et d’une manière plus générale, nous procédons à des appels d’offres pour appuyer la Société civile et le meilleur gagne.
À en croire diverses informations ou rumeurs relayées dans la presse, un différend serait apparu entre votre organisation et les contractuels qu’elle avait cooptés pour appuyer les structures de santé à l’intérieur du pays. De quoi s’agit-il ?
- Je crois que le terme approprié serait plutôt « rumeurs ». À ma connaissance, il n’y a eu aucun problème entre l’OMS et les contractuels en question. Au début de la pandémie, nous avions signé des contrats de trois mois avec une centaine de personnes, en l’occurrence des étudiants en médecine. Nous les avons renouvelés pour près de 99 % de cet effectif. Et au bout de six mois, nous avons arrêté plus de 80% des contrats. Sont concernés les étudiants qui devaient rejoindre leur faculté respective. Nous ne pouvions pas gêner les départements de l’Enseignement supérieur et de la Santé avec lesquels nous travaillons. Je signale que nous avons permis à certains de ces étudiants de soutenir leur thèse pendant qu’ils travaillaient avec nous. Nous les avons retenus et libéré ceux qui devraient passer leurs examens. Nos portes leur sont restées toujours ouvertes, une fois qu’ils ont fini de passer leur examen. C’est vous dire donc que nous avons été très souples avec ces étudiants. D’ailleurs, une cérémonie de remise d’attestations était prévue à leur intention mais, avec la recrudescence du COVID et les mesures prises par les autorités, nous l’avons reportée. L’OMS voulait mettre à profit cette cérémonie pour remercier ces jeunes et rendre hommage à leur collaboration franche et au travail qu’ils ont abattu pendant cette période à hauts risques.
- On vient de célébrer la journée mondiale de lutte contre le VIH/SIDA, une autre pandémie mondiale. Selon des informations concordantes, les personnes vivant avec le VIH SIDA ont beaucoup pâti du COVID qui a plus mobilisé l’attention et les ressources. Que pensez-vous du cas de la Mauritanie ?
- À ce que je sache, il n’y a pas eu d’études d’impact en Mauritanie pour évaluer les incidences de la COVID sur les malades du SIDA. Ce qui est sûr, par contre, c’est que tous les patients, malades chroniques ou autres, ont eu à souffrir des conséquences de la crise sanitaire en cours. Il est arrivé un moment où les chaînes d’approvisionnement en médicaments ont été perturbées ; avec le confinement, la priorité allait beaucoup plus vers les malades COVID que ceux souffrant d’autres maladies chroniques. L’ONU SIDA a dû fournir beaucoup d’efforts avec certaines bonnes volontés qui se mobilisaient pour ravitailler à domicile les malades confinés. Des chaînes de solidarité se sont formées pendant cette crise sanitaire. Ces aspects ont dû être soulevés lors de ladite Journée mondiale.
-Propos recueillis par Dalay Lam