Nous fêtions l’Indépendance, à l’instar de tous les petits élèves du pays. Les préparatifs débutaient une semaine plus tôt. Chaque instituteur choisissait des élèves de sa classe au regard de la beauté de la voix et de la discipline. Puis l’un des maîtres les entraînait aux exercices à présenter le jour de la Fête. Feu Mohamed Lemine Diallo, alias Djigo, se chargeait de conduire les mouvements d’ensemble des quelques dizaines d’enfants sélectionnés des écoles 1 et 2 d’Aleg. Particulièrement aimable et courtois, Djigo était un sportif polyvalent, surtout grand volleyeur, comme d’ailleurs beaucoup de nos grands frères, tels feu Mohamed Mahmoud ould M’Reizig ou Bah ould Ndergui. Deux à trois jours avant la célébration de l’Indépendance, le directeur passait dans les classes, exhortant tous les élèves non seulement à venir à la cérémonie mais aussi à assister, la veille, à la retraite aux flambeaux qu’on appelait « Dembe flambe », avec en sus, pour certains, « Ma yi perdi ». A l’époque, des cités comme Aleg ne comptaient qu’un petit escadron de la Garde, à peine une dizaine de personnes, et quelques gendarmes formant tout aussi sommaire brigade. Mais, réuni, ce beau monde suffisait à assurer une solennelle levée des couleurs à laquelle assistaient les autorités administratives, les chefs de services régionaux, les notables et nombre d’habitants plus lambda de la ville. La retraite aux flambeaux commençait au crépuscule. Les grands garçons y participaient avec en main une sorte de « bougie » fabriquée localement : fixé sur un bout de de bois, juste une petite bande de tissu trempée dans du pétrole et allumée. Les « retraités » sillonnaient les principales rues de la ville avant de s’arrêter devant la tribune officielle et de s’éparpiller, jusqu’au lendemain pour la cérémonie. Convoqués très tôt le jour J, chaque élève distingué par son maître avait troqué sa culotte 007 Thunderbal, une sorte de maillot de bain très usité à l’époque, pour une chemise blanche et un pantalon « Thiaya » noir, taillé par un des rares couturiers de la ville. Quasiment tous les habitants étaient présents. Les cultivateurs n’allaient pas à leurs champs. Les vendeurs de « diéré » (marché en pulaar) quittaient leurs étals pour assister aux festivités. Après les manifestations officielles : défilé des élèves, levée des couleurs et prise d’armes ; puis discours du gouverneur, clôturé de fortes acclamations rythmées par les tamtams que les responsables du PPM avaient mobilisés ; les organisateurs lançaient les jeux des enfants : course en sacs, rallye des ânes, découverte de menues pièces de monnaie enfouies dans de la farine, ou de quelque cadeau caché suspendu à un fil qu’on coupait avec des ciseaux, pour recevoir, au gré de la chance, une friandise ou… une bouse de vache. Le soir, certains allaient « En Haut » vers la résidence et les bureaux de la gouvernance pour participer, via le RAC (Réseau Administratif de Communication), aux jeux de la Radio nationale animés par le célèbre feu Mohameden ould Sidi Brahim dont l’anecdotique « Quelque chose de poli, ô gens d’Aleg » est devenu adage populaire. Le lendemain, la vie reprenait son cours normal. Les élèves à leur classe respective, le « par quatre » à l’encontre des mauvais élèves qui ne récitaient pas leurs leçons ou avaient eu la malchance de croiser un de leurs enseignants la nuit, quelque part hors de chez eux. C’était le temps où il fallait vérifier, chaque soir avant la fermeture, autour de 19h, des petites boutiques, la lampe-tempête, sa mèche, la propreté de son verre, et la présence de pétrole dans son petit réservoir. Au milieu des années 70, le « lestric » (électricité) était un très grand luxe auquel n’avait droit que le gouverneur. Quand la mèche de la lampe finissait ou tombait au fond du réservoir et que nos parents n’avaient pas de quoi – c’était l’ordinaire… – en acheter quelques nouveaux centimètres, un bout de tissu bien « roulé » faisait provisoirement l’affaire. Autour de l’école, des vendeuses étalaient leurs marchandises qu’elles proposaient à la vente pendant la récréation, surtout le très prisé « m’bourou sauce » (pain à la sauce) : de très petits morceaux de pain que la vendeuse « sauçait » avec le bout d’une cuillère et dont raffolaient quasiment tous les élèves. Il y avait aussi des beignets, des cacahuètes, du pain au miel et autres petites choses souvent à l’origine de terribles bagarres d’élèves pendant la récréation. (À suivre.)
Sneiba El Kory