La voici l’Indépendance. On prend les mêmes et l’on recommence. Exactement le même rituel. Trois semaines avant le Grand événement, c’est l’histoire, la géographie et la culture. Ce n’est qu’ici, sous nos cieux qu’on peut refaire l’histoire. La réécrire. La refaçonner. Déplacer les lieux. Les adjoindre. Les mettre côte à côte pour refaire une bataille. Renommer ses héros. En faire des anges ou des satans. Selon les circonstances. Selon les auditoires. Rebâtir la culture. Ce n’est plus « tout ce qui nous reste, quand on a tout oublié ». C’est « tout ce qu’on a oublié, quand il ne nous reste plus rien ». Comme maintenant. Chaque anniversaire a son histoire. Ses héros. Ses mythes. Ses historiens. Ses contre-vérités. Parfois des inventions symboliques. Toutes nouvelles. Au lieu de la très charmante retraite des flambeaux qui parcouraient les rues et ruelles des villes et villages nationaux. Au lieu des jolies parades militaires, agrémentées des sons nostalgiques d’une fanfare et d’une chorale de chants scolaires, à transpercer le cœur de tous les citoyens, unis autour d’un idéal de construction nationale. Au lieu de plusieurs centaines d’écoliers, déployés en mouvements d’ensemble devant les tribunes officielles. Les nouvelles célébrations de l’indépendance nationale ont pris, depuis quelques années, l’allure de très longues écharpes aux couleurs nationales qui tapissent les bâtiments officiels. Comme quoi le malheur des uns fait le bonheur… des vendeurs de ces petits drapeaux et de ces tissus cousus en jaune et vert. Mais n’allez pas piocher plus loin dans les tréfonds des véritables motivations des acheteurs de tissus. Ce n’est pas sûr, par les temps qui courent. Les adages populaires sont pleins de choses relatives à moins que rien, ficelé dans du tissu. Les drapeaux et les couleurs nationales ne valent que s’ils sont portés dans les cœurs. Que s’ils unissent les esprits, raffermissent les rapports et les adoucissent. Comme chaque année, des personnalités sont décorées. D’autres officiellement invitées. Pour l’Indépendance. Des civils. Des militaires. Des femmes. Des hommes. Parfois même des morts déjà morts depuis longtemps. Mais, c’est la fête des anciens. Ceux qui auraient, selon nos historiens, « combattu vaillamment les colons ». Qui les auraient chassés, avec quelques petits fusils traditionnels de fabrication locale. Je vous le disais qu’on refaisait l’histoire, en allant avec le temps. Pour ce cinquante quatrième anniversaire, il faut réaménager les faits, les adapter au contexte de la Mauritanie nouvelle. Ainsi, Mohamed Ould Mseïka s’ajoute à la liste des résistants. A la fin des années 70, mon instituteur ne savait pas encore que cet homme était résistant. Aussi ne citait-il que les autres, en prenant toujours soin de prononcer, à haute voix, les noms de Fodé Diaguili et de Mamadou Lamine. Prétendument (excusez la prudence) résistants négro-africains. Y a qu’en Mauritanie qu’on dose l’histoire, qu’on la relit, qu’on la repense. C’est ça l’Indépendance, c’est ça la Démocratie, c’est ça l’Equité. Des résistants beïdanes. Des résistants harratines. Des résistants négro-africains (un ou deux pour chaque groupe). Des imams beïdanes. Des imams harratines. Des imams négro-africains. Des mourabitounes beïdanes. Des mourabitounes harratines. Des mourabitounes négro-africains. Des arbitres beïdanes. Des arbitres harratines. Des arbitres négro-africains. Ainsi de suite… L’Indépendance, c’est ça. Il faut que partout où l’on aille, où l’on saute, où l’on vole, où l’on atterrisse, que l’on voit tout le monde ! Pas que des gens ici, dans les strapontins moelleux. Des autres là-bas, les sacs sur les têtes, ou encore d’autres là-bas, à boire du café dans les « tanganas » - petites boutiques populaires à rideaux où l’on vend du café chaud/chaud – les indépendances africaines ? Ça commence dans la tête. Ou, plutôt, c’est par la tête que ça commence. Regardez la mise en garde de Hollande aux présidents africains réunis au sommet de la Francophonie à Dakar : c’est de l’indépendance, ça ? Regardez-les convoqués, en août dernier par Obama à Washington : c’est de l’indépendance, ça ? Regardez-les se soigner, s’habiller : c’est quelle indépendance, ça ?
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».