L’interminable feuilleton de l’enquête préliminaire sur « la corruption » pendant la décennie de règne de Mohamed ould Abdel Aziz, général putschiste récidiviste, devenu président de la République en Juillet 2009, à la faveur d’un scrutin impitoyablement verrouillé en sa faveur, tire à sa fin. Un finish marqué par une reprise de la « guerre médiatique » entre les avocats de l’ex-président de la République et le collectif qui s’est engagé aux côtés de l’État dans la perspective hautement probable d’une procédure judiciaire, après plus de deux mois d’une enquête préliminaire inédite, par son étalement dans le temps.
Solidement accroché à la thèse d’un vulgaire règlement de comptes politiques, les avocats français de l’ancien chef d’État ont décidé de mener la bataille sur ce terrain et celui des media avec des armes peu ordinaires. Ils ont en effet écrit au président Mohamed ould Cheikh El Ghazwani, pour dénoncer toutes les « tares et violations » de la procédure d’enquête préliminaire, en utilisant des termes qui le désignent comme le commanditaire de ce qu’ils imaginent comme une véritable parodie. Thèse battue en brèche par les conseils de l’État, qui tournent en dérision une interprétation dangereuse des dispositions constitutionnelles, en vue de couvrir des crimes économiques et soustraire leur client à la loi.
Côté défense
L’armada d’avocats français de Mohamed ould Abdel Aziz issus des barreaux de Brest, Paris et Marseille « attire l’attention » du locataire du Palais de la République « sur les conséquences du traitement dont fait actuellement l’objet » celui-ci. S’adressant « au Gardien du pacte social fondamental de la Nation », ces avocats relèvent « que la plupart des conseils choisis par l’État semblent avoir fait par le passé, démonstration de partialité et nous ne pouvons que supposer que leurs interventions servent uniquement à tenter de protéger les exactions dont notre client est actuellement victime. Sur le fond, il est particulièrement consternant de constater que ces soixante avocats, pourtant a priori munis des outils juridiques de réflexion optimum, compte-tenu de leur nombre, ne parviennent à interpréter de manière stricte et intelligente la Constitution mauritanienne ».
Et de rappeler que la formule : « le président de la République n’est responsable que […] » implique par définition qu’il n’y a pas d’autres responsabilités prévues et possibles devant quelque juridiction que ce soit. Le parallélisme avec la Constitution française de 1958 dont est inspirée directement la Constitution mauritanienne, notamment en son article 93, est d’ailleurs particulièrement éclairant sur ce point et devrait vous convaincre définitivement de l’erreur d’analyse commise par vos conseils. […] Le président de la République n’était responsable que des actes commis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. L’ensemble de la doctrine juridique française et internationale concluait alors et à juste titre que le Président bénéficiait d’un privilège de juridiction car il ne pouvait être mis en cause que devant la Haute Cour de Justice (HCJ) en cas de Haute Trahison. Ce texte correspondait mot pour mot au texte actuellement en vigueur en Mauritanie ».
Côté attaquant
Répondant à l’arrogance aux prétentions et affirmations gratuites des avocats français de Mohamed ould Abdel Aziz, le collectif des avocats de l’État n’a pas fait dans la dentelle. Dans un communiqué rendu public lundi, maître Brahim Ebetty et ses compagnons démontent « une correspondance insolite adressée à son Excellence le président de la République. D’une rédaction déplorable, cette lettre confirme la volonté délibérée de ses auteurs de s’affranchir des règles élémentaires, légales et déontologiques qui gouvernent l’exercice du ministère d’avocats par des étrangers en Mauritanie : refus d’élire domicile auprès du cabinet d’un confrère mauritanien, absence délibérée de visite au procureur de la République et au bâtonnier de l’Ordre des avocats… Persistant dans leur ligne de conduite méprisante et condescendante, ils s’en prennent ouvertement à toutes les autorités et institutions publiques (président de la République, Parlement, ministre de l’Intérieur, procureur de la République… Ainsi qu’à tous leurs confrères qui ne partagent leurs opinions subjectives. Se considérant en pays conquis, Rajjou et Brigant n’hésitent pas à donner des leçons à tous et à chacun, interpellant les uns et les autres, sommant tout le monde d’agir suivant leurs propres vues et interprétations déformées des faits et du Droit applicable aussi bien en Mauritanie qu’en France qu’ils citent avec surabondance. Sans oublier les accusations « d’antisémitisme » et de « néo- colonialisme » qu’ils tentent d’imputer aux adversaires de leurs clients ».
Le communiqué des avocats de l’État raille « une lettre ouverte politicienne » donnant une idée de la légèreté avec laquelle y sont traitées les questions juridiques liées au statut de l’ancien chef de l’État face aux graves soupçons de corruption qui pèsent sur lui ». Au sujet de l’article 93 de la Constitution mauritanienne du 20 Juillet 1991, ancien article 68 de la Constitution française, le collectif soutient qu’en défendant une immunité absolue de leur client, les conseils français de Mohamed ould Abdel Aziz « confondent l’inviolabilité, inhérente à la qualité de président de la République et dont ne bénéficie qu’un chef d’État en exercice pendant la durée de son mandat, et l’immunité fonctionnelle de l’article 93 qui ne protège un ancien chef d’État que pour les actes accomplis dans le cadre de la fonction présidentielle. Strictement cantonnée à ces actes, elle n’empêche pas les autorités de poursuites retenant, à la charge d’un ex-chef d’État, des infractions détachables de la fonction présidentielle, ni de prendre à son encontre toute mesure de contrainte autorisée par la loi. […] Il faut faire la part entre les actes accomplis dans le cadre de la fonction présidentielle et donc couverts par l’immunité fonctionnelle ; et les actes qui en sont détachables pour lesquels l’ex-Président peut être poursuivi, comme n’importe quel citoyen. Or cet exercice passe souvent, comme le montre la jurisprudence en divers pays, dont la France, par un examen du fond du litige par le juge saisi. C’est lui qui peut dire, au cas par cas et, en cas de doute, au terme de la qualification des faits qu’il aura opérée, si les actes, objets de poursuites pénales sont des actes de fonction, c'est-à-dire des actes ayant un rapport direct avec la conduite des affaires de l’État, ou seulement des actes accomplis à l’occasion de l’exercice de la fonction présidentielle mais qui ont plus à voir avec les affaires privées ».
Le communiqué de maître Brahim Ebetty et ses compagnons enchaîne sur un exemple concret de prévarication sans rapport avec la mission d’un président de la République : « lorsqu’un président de la République se fait réaliser, par une société d’État une adduction d’eau et une piscine dans son ranch privé ; qu’il mène, lui-même ou par personnes interposées, des activités commerciales parallèles à celles de président de la République et qu’il commet des délits dans ce cadre ; ou, encore, lorsqu’il ouvre des comptes bancaires à l’étranger et qu’il ne les déclare, en violation de la réglementation des changes ; ou qu’il utilise une fondation privée comme moyen de blanchiment : en nous limiter à ces exemples, l’immunité fonctionnelle de l’article 93 de la Constitution n’a pas vocation à jouer, pour la bonne et simple raison que ces actes n’ont pas de rapport direct avec la conduite des affaires de l’État ». Par ailleurs, la déclaration réaffirme avec force la compétence de la justice ordinaire pour connaître des infractions commises par un ex-chef d’État « point sur lequel les affirmations des avocats d’Aziz feront, de leurs auteurs, la risée des constitutionnalistes en France ». Et ailleurs…
Seck Amadou