Janvier 1951:Nouakchott, victorieuse de la sécheresse, a été vaincue par le seul ennemi qu'elle n'attendait pas :l'eau. Sur ce fond de rag poussiéreux où jadis,je fis baraquer mes chameaux, par ces allées où il y a deux mois, je me promenais à l'ombre des mimosas en fleur et des palmiers, aujourd'hui, je glisse en pirogue le long des ruines. Nouakchott, fruit de tant d'efforts, n'est plus que décombres à demi-fondus. Au début de novembre, d'inquiétantes nouvelles y parvinrent. L'inondation du Sénégal s'élargissait. L'eau filtrait par des voies souterraines, apparaissait brusquement dans des fonds de vallées, avançait de sebkha en sebkha. Le 10,elle noyait la piste, entre les kms 55 et 65 dans le sud. Le lendemain soir, elle avait progressé de 12 kms dans l'Aftout en direction de Nouakchott. Le 27,elle atteignait le PK 9. Le Résident mit aussitôt en place son plan de défense. Des talus qui ont sauvé l'enceinte et le vieux poste, furent élevés en toute hâte. Par des digues de 2 mètres de large, on espéra protéger le Ksar et les habitations française et l'on se crut à l'abri. Mais l'eau poursuit sa marche sournoise. Contournant les obstacles, insinuant secrètement par-dessous. Elle formait soudain en surface des mares qui devenaient des étangs, puis un lac. Le Résident, sur son navire en détresse établissait d'éphémères barrages,aveuglait les voies d'eau, secouait l'indolence résignée des Maures. Peine perdue. Le 14 décembre, la catastrophe s'abattit sur Nouakchott. Dès l'aube, dans le vent de sable et le froid humide du petit matin, le Ksar et le poste furent évacués. Un campement de sinistrés avait été prévu à 15 kms au Nord. Quelques jours plus tard,il put être ramené au flanc de la dune près d'un terrain d'aviation. Une case, des tentes remplacèrent la jolie résidence. Le navire avait fait naufrage, mais grâce à l'énergie et la prévoyance de son chef, l'équipage était sain et sauf avec tous ses biens matériels. L'inondation continue sa marche lente et mystérieuse. A 12 kms au Nord Ouest, devenue torrent, elle a coupé la route de Coppolani et par les brèches, s'épanche vers les grandes sebkhas du Nord sans qu'on puisse savoir où elle s'arrêtera. Les vieillards Maures se souviennent que, dans leur enfance, elle atteignit les dunes d'Oumountounssi. Un mois après le naufrage, le vieux poste reflète toujours ses grosses tours moyenâgeuses dans l'eau immobile. Les maisons qui,de loin,semblent épargnées montrent, à l'approche, leurs bases affouillées leurs lézardes, leurs terrasses crevées. Le Ksar achève de se dissoudre. Les beaux prosopis et les parkinsonias ont basculé sur le lac dont le fond de vase molle ne retient plus leurs racines. Mais il y a des terres qui suscitent le courage de ceux qui président à leur destinée. Nouakchott est sans doute de celles-là. Et dans la pirogue qui file sans bruit entre les arbres chavires et les maisons mortes, le Résident et sa femme me parlent avec confiance de la jeune Nouakchott qu'ils vont reconstruire quand même, et qui sera plus belle et plus grande que la disparue.
Odette du Puigaudeau
Extrait du Journal Paris-Dakar 26 Janvier 1951