Décentralisation, gouvernance locale et coopération décentralisée en Mauritanie : De la confusion au désordre territorial

7 October, 2020 - 10:30

Le processus de décentralisation imposé de l’extérieur (Banque mondiale et FMI) en 1986 et qui a abouti à la fondation des communes en Mauritanie constitue un échec patent. Idée au demeurant louable en soi mais la manière dont le processus fut conduit ne pouvait pas réussir. Nous comprenons bien que la décentralisation, c’est d’abord une volonté politique mais son succès dépend en grande partie du degré d’implication des populations locales. Or, en chacune de ses deux étapes :communalisation en 1986 et régionalisation qui ne dit pas son nom en 2019 ; les populations n’ont jamais été ni associées ni impliquées, directement ou indirectement. Résultat : de 1986 au 2020, il n’y a pas une seule commune en Mauritanie où la pauvreté aitreculé. Avec aujourd’hui, cette question fondamentale : quel mode de gouvernance territoriale voulons-nous ?

Les collectivités locales vivent dans une confusion complète,faute de définition précise de leurs prérogatives par rapport à la tutelle. S’y ajoute le désordre territorial causé par la fondation des régions élevéesen collectivités territoriales depuis 2019. Nouakchott constitue un exemple parfait où il est impossible d’opérerune claire distinction entre le local et le territorial, du fait de l’amateurisme des géniteurs de cette régionalisation. Entre le conseil régional de Nouakchott et les communes qui composent l’agglomération,l’incompréhension des prérogatives respectives est totale.

La décentralisation, c’est l’affaire de tout le monde car l’avenir du pays en dépend. C’est la Mauritanie dans son ensemble qui doit la réclamer et participer à ce mode de gestion participative et intégrée. Il est inconcevable qu’on extraie du minerai de faire auNord de la Mauritanie alors que les populations de ces régions continuent de sombrer dans la misère,en marge de ce processus. La régionalisationinaugurée en 2019doit permettre aux régions du Nord de se développer, grâce à un mécanisme localisé de redistribution des richesses extraites surplace.

Repartir et répartir sur de bonnes bases, en vue d’une exploitation plus judicieuse et d’une gestion intégrée de nos ressources, passent par une décentralisation sincère et beaucoup plus approfondie, avec des communes fonctionnelles entant collectivités locales et des régions dynamiques entant que collectivités territoriales. La décentralisation en Mauritanie est confrontéeau défi de la gouvernance des collectivités territoriales décentralisées. Ce n'est pas sans poser des conflits de compétence entrela tutelle, les services déconcentrés de l'État, ses collectivités locales et territoriales. Quels sont alors les enjeux de la décentralisation, la gouvernance locale et les problématiques engendréespar ces questions ?

S'il est un mode de gouvernance qui participe à l'enracinement de la démocratie, c'est bien la décentralisation car elle permet de rapprocher la décision entre le sommet (l’État central) et la base (populations locales), d'une part; entre l’État et les collectivités territoriales, de l'autre.Aujourd'hui, force est de constater que la décentralisation initiée en Mauritanie en 1986 est en panne, à cause des problèmes de clarification de compétences, de compréhension de cette notion et de la non-implication des populations locales.

La décentralisation consiste en un transfert de compétencesdel’État aux collectivités territoriales décentralisées mais, s'il n'est pas bien mené, ce transfert peut se révéler source de conflits entre différents organes de la gouvernance locale.L’accent devrait être mis sur la problématique du partage des ressources de l'Étatet les dynamiques de rapprochement de la décision entre la tutelle et la base. Bien menées,la décentralisation et la coopération décentralisée participent au développement local et améliorent les conditions de vie des populations.D'où l'intérêt de réfléchir sur les enjeux de ces modes de gouvernance modernes que nous offre la démocratie.

La gestion des collectivités locales décentralisées démarre endressantun état des savoirs théoriques et pratiques sur la décentralisation et la coopération décentralisée en Mauritanie ; à partird’un réseau constitué essentiellement d'universitaires, d'élus locaux et de techniciens œuvrant dans le domaine de la décentralisation, la coopération décentralisée et la gouvernance locale.Ce réseau fonctionnera comme un observatoire de bonnes pratiques de la décentralisation, de la coopération décentralisée et de la gouvernance locale. Cette gestion se poursuit dans des échanges facilités autour des expériences réussies en ces domaines. Àcet égard,l’exemple du Maroc pourrait se révéler une véritable source d’inspiration pour la Mauritanie.

Trois axes de travail

Trois axes de travail apparaissent. En un, « Déconcentration et décentralisation », visant à éclairer la déconcentration,relativeaux services de l’État, et la décentralisation,touchantles collectivités locales et territoriales. De quoi parle-t-on ? Comment faire en sorte que les services déconcentrés de l’État travaillent en bonne intelligence avec les collectivités locales et territoriales, pour le bien des populations ? Comment éviter les conflits de compétence entre différentes entités administratives ?Comment réguler les politiques publiques entre l’État et les collectivités territoriales ?

En deux, la posture de l’élu local ou territorial face à la tutelle. Dans l’actuel contexte de la déconcentration, cette posture n'est pas bien perceptible.Le manque d'autonomie financière des élus locaux et territoriaux les empêchede prendre eux-mêmes totalement leur place dans le processus de la décentralisation. Quel partenariat entre élu local et service déconcentré de l’État ?

Le troisième axe unit la coopération décentralisée et le développement local.La coopération décentralisée peut mettre les acteurs sociaux, la société civile et la diaspora mauritanienne au service du développement local. Encore faut-il que chaque composante trouve sa place dans le processus de la décentralisation et de la gouvernance locale. Le développement local permet aux populations de participer à la démocratie locale et la coopération décentralisée est un axe majeur permettant aux collectivités locales des pays développés et des diasporas de travailler sur des projets de base, dans des domaines aussi divers que la santé, l’urbanisme, l'éducation ou l’agriculture.

Il y a donc du pain sur la planche devant l’état des lieux et la situation peu reluisante de la décentralisation en Mauritanie. J’ose espérer qu’avec la nouvelle équipe installée au ministère de l’Intérieur, la territorialisation des politiques publiques en Mauritanie deviendra une réalité.J’invite aussi les universitaires, la presse, les partis politiques, les élus, la société civile… à se pencher, à travers des débats, sur cette question centrale pour le devenir de notre pays.

 

Sall Oumar

 

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