Le Calame : Vous êtes la présidente du Conseil régional de Nouakchott, hier Communauté urbaine. Qu’est-ce qui a changé avec la décentralisation ?
Fatimétou mint Abdel Malick : Merci tout d’abord de m’offrir l’opportunité de m’exprimer dans vos colonnes. Pour répondre à votre question, je dirais que la région est le deuxième palier dans le processus de décentralisation. La communauté urbaine était un espace de concertation et coordination, entre les différentes communes de Nouakchott : elle ne gérait donc aucun territoire, c’était aux communes de s’y employer. La région est, quant à elle, un territoire. La loi organique fondant les conseils régionaux leur a conféré huit domaines d’intervention. Cela va du développement à la culture, en passant par le social… Elle met l’accent sur le développement proprement dit.
Je signale ici que nous venons de sortir, il y a quelques heures, d’une audience avec le président de la République. Ce fut l’occasion pour lui de réaffirmer, à tous les présidents de conseils régionaux, sa forte volonté d’appuyer la décentralisation. Il est conscient et convaincu que le développement ne se fera pas sans une décentralisation effective. Dans cette optique, il a promis d’accompagner les régions, en même temps que le transfert de compétences des départements qui se consacreront désormais aux grandes stratégies nationales. Bien évidemment, chacun jouera un rôle spécifiquement dévolu. La décentralisation est une option extrêmement importante pour un pays. Quand on regarde ce qui se passe chez nos voisins, sans aller jusqu’en France où c’est l’État régalien qui règne ou en Allemagne où l’on observe une véritable décentralisation, on constate que nous sommes très en retard. En 2003, quand j’étais maire de Tevragh Zeïna, des maliens sont venus, je m’en rappelle, s’inspirer de notre expérience en matière de décentralisation. Vous pouvez constater aujourd’hui leurs avancées en ce domaine, tandis que nous en sommes quasiment restés, nous, à du surplace. Espérons que la forte volonté exprimée par le président de la République, devant les présidents des conseils régionaux, va amener à changer véritablement les choses, qu’il y aura une véritable symbiose entre les régions et les communes qui opèrent sur la même cible. Région forte signifie commune forte et vice versa, même si les compétences des unes et des autres sont délimitées et donc balisées.
Je voudrais souligner que le développement à la base ne peut pas se faire sans l’implication des élus locaux : les relations de proximité qui nous lient aux populations, à la connaissance du terrain, à leurs défis, nous placent dans une constante réflexion pour innover et apporter des solutions à leurs problèmes. C’est d’ailleurs notre raison d’être. Ceci dit, je reste confiante que le développement auquel nous aspirons et pour lequel nous nous battons tous les jours se fera, même si nous avons déjà passé deux ans sans quasiment rien faire. Plus choyée, la région de Nouakchott a tout de même fait valoir son carnet d’adresses, participé à des appels d’offres, gagné certains marchés ; elle a également élaboré des projets de développement… C’est un exemple et un message fort à l’endroit des détracteurs de la décentralisation estimant que la région est une structure de plus, une surcharge pour l’État, alors qu’il n’en est rien : les régions sont en mesure de drainer des ressources pour des projets de développement du pays, ce ne sont pas que des structures et surcharges supplémentaires. Si je donne l’exemple du Sénégal, ses départements, comparables à nos régions, contribuent au budget d’investissement consolidé (BIC) à hauteur de 10 à 12%. Dans le cadre de la coopération décentralisée, les régions peuvent donc drainer énormément de ressources et financements directement affectables au développement local. On doit cesser de voir en elles une surcharge pour l’État.
À propos de Tevragh-Zeïna, j’ai accompli trois mandats durant lesquelles je me suis efforcée de satisfaire les doléances de mes électeurs, de réaliser ce qu’il était possible de faire – parfois même en allant au-delà. Ici, je suis ici à un autre niveau, l’approche est nécessairement différente. Mais j’ai la même vocation, celle d’être au service des démunis partout où je vais, c’est intrinsèque à moi-même, un peu comme une vision… avec maintenant une dimension régionale. À Tevragh Zeïna, j’avais déjà cette vision – je dirais plutôt option – parce que je rencontrais aussi des populations qui n’habitaient pas nécessairement à Tevragh Zeïna, mon bureau et mes services étaient ouverts à tout le monde sans distinction ; et comme vous le savez, les gens vont là où ils peuvent trouver une oreille attentive.
- Les déchets demeurent un véritable défi pour Nouakchott, pour ne pas dire casse-tête. Leur gestion incombait à la CUN. Cela fait quelques temps que l’État l’a confiée à une société détenue en majorité par le Patronat. Que pensez-vous de cette question qui a troublé vos sommeils à Tevragh Zeïna ?
- Pour les déchets, je tiens à souligner que nous n’en avons pas les compétences. La gestion des déchets était certes dévolue à la Communauté urbaine mais celle-ci n’existe plus et celle-là en revient de facto aux communes. L’État a pris la décision de la confier à une autre structure ? Il est souverain. Pour ma part, je suis d’avis que si l’on veut bien maîtriser cette question, relever le défi, il faut nécessairement impliquer les communes, parce qu’à leur niveau, il peut y avoir une compétition, une émulation entre elles dans ce combat. C’est un service de proximité, les populations préfèrent s’adresser à leurs élus plutôt qu’à tout autre. Toujours est-il que la gestion des déchets ne relève pas de la région et le seul lien que nous entretenons avec ce problème, c’est le centre d’enfouissement technique de Toujounine que nous avons hérité de la communauté urbaine de Nouakchott. L’article 93 de la loi organique fondant les régions et conférant une spécificité à Nouakchott énonçait en effet que les ressources de la CUN revenaient directement à la région de Nouakchott. Nous gérons donc ce centre en tant que patrimoine. Certains disent que ledit centre n’est pas sur le territoire de la région : ils oublient qu’on peut disposer de patrimoine ailleurs que chez soi.
- À chaque fois qu’il pleut à Nouakchott, c’est la désolation : mares, étangs et lacs partout, maisons inondées… Que pensez-vous de cette situation depuis si longtemps récurrente ?
- Laissez-moi vous dire tout de suite que c’est extrêmement dérangeant et gênant. C’est, à mon avis, les conséquences d’une totale absence de politique ou de vision à long terme. Chaque fois qu’il pleut, on se hâte d’intervenir avec de gros moyens, mais ça n’aboutit jamais, ça ne change jamais, avec toujours le même résultat, les mêmes désagréments pour les citoyens. Improvisation et l’amateurisme indignes d’une capitale ! Mais une réflexion sérieuse vient d’être amorcée. Avec les engagements du président de la République, on arrivera, incha Allah, à juguler cette épineuse question et l’on aura alors franchi un important pas pour Nouakchott.
Au niveau de la région, nous nous attelons à une campagne de lutte pour la destruction des moustiques, leurs larves et autres parasites des eaux stagnantes de la capitale. Nos partenaires ont mis à notre disposition un produit à dissoudre dans les mares. Mais, quand on a dressé la cartographie des inondations, on s’est vite rendu compte que ce sont plusieurs hectares sous les eaux et qu’on doit même recourir, par endroits, à des zodiacs, on ne peut pas y intervenir en simples bottes. Vous rendez-vous compte ? Mais nous sommes là-dessus et j’espère que cela ira. Tout ça pour vous dire que c’est devenu récurrent et certes pas normal, surtout avec les risques que font peser aujourd’hui sur le Monde les changements climatiques. Qu’à Dieu ne plaise, imaginez une pluie de 100 mm à Nouakchott, comme certaines localités de l’intérieur les ont subies ; ce sera la catastrophe, la « Grande » catastrophe, nous devons donc anticiper pareils risques.
- Que vous inspire la décision de la commune de Tevragh Zeïna de réglementer, depuis le mois de Juillet dernier, le stationnement des véhicules en sa circonscription, notamment au centre-ville ?
- Le stationnement des voitures au centre-ville en particulier constitue un autre casse-tête, mais pour autant, je ne prélèverai, moi, des redevances que sur des espaces que j’ai aménagés, avec un minimum d’infrastructures et de services (eau, surveillance, hangars…) pour compenser certaines taxes que les citoyens devraient payer, et ce n’est pas cas maintenant. Je ne les prendrais pas sur des espaces publics aménagés par d’autres et à d’autres fins. Je l’ai déjà dit et je pense qu’il y a quelque chose à revoir à ce niveau.
- A qui appartiennent les jardins maraîchers ?
- Grande question ! Les jardins maraîchers, il y a un peu de tout. Ceux qui détiennent des titres fonciers, ceux qui n’en ont pas mais qui exploitent la terre... À une certaine époque, l’État voulut les faire déguerpir, en leur offrant, en contrepartie, des terrains au PK 17. Mais l’initiative n’a pas abouti : quand on veut installer des gens dans une zone, de surcroit destinée au maraîchage, il faut y construire un minimum d’infrastructures – réseau d’eau, voire d’électricité, etc. – afin de les fixer et de leur permettre de produire, ce qui, hélas, n’a pas été fait en cette occurrence.
Au niveau de la région, nous avons compris – c’est la COVID qui nous l’a appris – qu’un pays ou une ville incapable d’assurer son autosuffisance alimentaire est vouée à disparaître. Aussi sommes-nous en train de mettre en place un projet avec la coopération espagnole comportant une composante dénommée « Agriculture Urbaine ». Ce projet vise à former les hommes et les femmes au maraîchage, en tirer des revenus et opportunités d’emplois et fournir à la capitale des produits frais...
- Comme ce qui se pratique dans les jardins de Toujounine ?
- Mieux que ça ! Là-bas, il s’agit de grandes superficies. On s’est rendu compte que les quantités d’eau générées par les usines ne suffisaient pas à satisfaire les besoins des maraîchers. Pour ce projet, l’alimentation en eau sera assurée de manière correcte et suffisante. Nous y tenons pour contribuer à l’autosuffisance en légumes des populations de Nouakchott.
Propos recueillis par Dalay Lam