Le Calame : Vous venez, avec quelques amis, de vous retirer d’IRA. Quelles sont les raisons de cette défection ?
Moustapha Nezih Bilal : Nous avons évoqué clairement les raisons de ce retrait dans un communiqué rendu public juste après notre départ de l’organisation. Entre autres facteurs, la centralisation des décisions de l’organisation, réduite à la seule personne de son président, la forte régionalisation au point que les trois députés élus au Parlement dans le cadre de l’alliance IRA/Sawab sont tous du Trarza et que les trois-quarts des candidatures aux dernières élections étaient issus de la même wilaya, comme en sont issus tous les dirigeants du parti RAG, le président Birame et l’ex-ministre Oumar ould Yali tout récemment entré dans l’organisation et devenu, mine de rien, le président de l’aile politique, sans le mériter plus que plusieurs autres qui ont sacrifié leur force et leurs biens et disposent de larges bases populaires à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Autres raisons, les délégations qui représentent IRA à l’étranger sont exclusivement composées du cercle du président et de son sérail immédiat ; les décisions unilatérales, au point qu’aucune discussion n’est engagée pour déterminer qui doit se présenter ou occuper tel ou tel poste et sur quelle base.
Quelle est la goutte qui a fait déverser le vase ?
- Le traitement de certaines affaires souvent caractérisée par le régionalisme. Par exemple, l’arrestation de la militante Marième Cheikh qui suscita un élan général de tous les dirigeants et militants lambda pour sa libération. Des manifestations furent organisées et des confrontations tenues avec la police, alors que, dans l’affaire de Mohamed ould Khattry, rien ne fut entrepris par le président Birame qui a réagi tardivement, se limitant à un communiqué dix jours après l’arrestation de celui-là et la saisie d’un avocat par notre ami et homme d’affaires Moussa ould M’Khaitiratt. Cette affaire fut la goutte qui a fait déverser le vase, sous la pression des masses, essentiellement les ressortissants du Sud.
- Vous étiez personnellement l’un des défenseurs les plus irréductibles du président Birame et voilà que vous êtes parmi ceux qui le quittent. Que s’est-il passé ?
- J’étais effectivement l’un de ses plus grands défenseurs et ne le regrette pas. Issu d’une famille de poètes, je l’ai défendu avec ma poésie et mes poèmes mais aussi comme interface en communication et porte-parole officiel. Je l’ai défendu avec force sur toutes les tribunes et à toutes les occasions. Je ne regrette pas cela, cela m’honore et je l’assume.
- Y aurait-il, comme il se dit, des mains invisibles derrière votre retrait ? Avez-vous rencontré des responsables du pouvoir depuis ?
- Non, pas du tout ! C’est nous-mêmes qui avons décidé et organisé notre retrait de l’organisation, après avoir évalué la situation et pensé à l’avenir. Après le retrait, nous avons laissé les portes ouvertes à toutes les organisations et partis. Nous sommes disposés à rencontrer et discuter avec tout le monde.
- Après votre départ, d’autres se sont retirés. Selon vous, s’agit-il d’une crise interne, d’un découragement ou, tout simplement comme le pensent certains, une tentative de faire de la cause un fonds de commerce, à l’instar d’autres ?
- Honnêtement, je ne sais pas. Nous sommes sortis essentiellement pour les raisons que j’ai évoquées tantôt. Parler de crise interne n’est pas encore d’à-propos. IRA a beaucoup d’adhérents et des bureaux qui couvrent l’ensemble du pays. Des retraits qui ne sont pas de premier plan comme le nôtre n’influencent pas trop son fonctionnement. C’est plus une propagande et une certaine confusion.
- Savez-vous quelque chose des sources de financement de l’organisation à laquelle vous apparteniez ? Le cas échéant, comment ces ressources sont-elles gérées ?
- Je ne suis pas personnellement au courant de sources permanentes de revenus. Ce sont essentiellement des efforts personnels de militants, principalement du président Birame, de la députée Koumba Dadda Kane et de quelques bienfaiteurs d’IRA ou de ses amis.
- Saviez-vous que le président Birame Dah Abeid avait des rapports avec l’homme d’affaires Mohamed ould Bouamatou ?
- Non. Je ne le savais pas. Au point d’avoir dit en diverses interviews à la télévision que tous les hommes d’affaires refusaient de nous soutenir, y compris Ould Bouamatou. J’ai été personnellement surpris lorsque j’ai appris la relation entre lui et Birame et les montants donnés en soutien. Cela dit, je considère ordinaire l’aide des hommes d’affaires aux hommes politiques. Mais je trouve qu’il fallait m’informer de cela, en tant que dirigeant de première ligne et responsable de la communication de la campagne, et même m’impliquer dans la gestion de ces fonds, dans une part qui devait être réservée à l’administration de la communication.
- Le président Birame et Ould Bouamatou sont maintenant à couteaux tirés. Un commentaire ?
- Lorsqu’ils étaient amis, je n’ai pas été au courant ni associé. Maintenant qu’ils ne le sont plus, je préfère rester, comme avant, en dehors de leur relation.
- Certains pensent qu’il est impossible de joindre la politique et les droits humains en un seul combat. Qu’en pensez-vous ?
- Dans une société comme la nôtre, rassembler entre les droits humains et la politique risque de susciter une certaine confusion. Alors mieux vaut, selon moi, ne pas le faire, dans la mesure du possible.
- Maintenant que vous avez quitté IRA, quelle relation entretenez-vous avec le président Birame Dah Abeid ? Ou est-ce la rupture totale ?
- Notre relation était très bonne jusqu’à l’annonce de notre retrait d’IRA. Après cela, nous n’avons plus eu aucun contact. Je souhaite et espère cependant que notre relation restera toujours bonne, empreinte d’amitié et de respect.
Propos recueillis par Sneiba El Kory