LE WAQF […] LA MAURITANIE […] – 27

17 September, 2020 - 12:18

 Par Ian Mansour de Grange

Nous voici rendu à la fin de l’ouvrage. Aura-t-il intéressé tel ou telle de nos lecteurs et lectrices ? Lui donné envie de participer à la promotion contemporaine du bel outil légué par nos pères ?

Prisonnier ou solidaire de notre milieu de vie ? Posée en avant-propos de notre travail, la question se révèle, à la conclusion de celui-ci, l’enjeu contemporain fondamental, non seulement, de notre humanité mais, aussi, probablement de la vie sur notre planète. Associée à l’idée d’un cosmos (1) naturel imparfait et perfectible – fil conducteur du siècle des Lumières… – la délivrance de nos prétendues carcérales limites existentielles nous conduit en effet tout droit à un paradoxal post-humanisme (2) où la cybernétique serait seule à même de conduire notre survie, enfin à l’écart – mais à quel prix ! – d’une Nature rendue définitivement hostile à la vie.

L’autre terme de l’alternative nous engage à repenser et reconstruire le global, de manière à rendre au plus local, notre ici et maintenant, tout son potentiel de vie. En favorisant les actions élevant la connaissance de chaque individu de son environnement immédiat, sa capacité à en élever la richesse vitale ; à en tirer, pour lui-même et les différentes strates de sa communauté, un bien-être durable, toujours ajusté aux équilibres du biotope dont il puisse se réjouir, enfin, d’être partie donnante et prenante. Responsable, y ajoute l’islam, insistant sur la fonction khalifale de l’humain au sein de la parfaite Création Divine. Mais ce qui pouvait encore paraître, il y a mille quatre cents ans, de l’ordre strict du devoir religieux est désormais tant inscrit dans celui de la nécessité que l’humaniste le plus athée peut fort bien s’y retrouver, en toute simple économie solidaire. Aura-t-on enfin entendu que la perfectibilité de l’humain – sa plus haute libération – ne réside qu’en cette aspiration au plein accomplissement de toutes nos relations ; autrement dit, de  tout ce qui nous lie à autre que nous-mêmes ?

Nous avons développé l’idée que l’immobilisation pérenne de la propriété (IPP) est un des moyens les plus adéquats, à portée de la Société civile (SOC) de la moindre localité, pour contribuer à rétablir une telle solidarité. S’appuyant sur le concept waqf, écriture à ce jour la plus achevée de celle-là qu’en a tracée l’islam, la PREFIMEDIM s’est employée à en proposer une formulation juridique aisément inscriptible dans le Droit international, par l’intermédiaire de SARL (3) ou de SCI (4). Il reste à suivre de près les cas de figure mis concrètement en place avant de donner une toute autre dimension à cette expérimentation. L’État mauritanien et les bailleurs institutionnels ont donc du pain sur la planche…

 

Capital inaliénable et incessible

Perpétuée au service de la SOC locale, l’IPP accumule du capital susceptible de produire de la plus-value à partir des ressources primaires du biotope. Mais nous avons vu que le caractère incessible et inaliénable de ce capital est également de nature à encourager des investisseurs privés du niveau global (national et ou étranger) à délocaliser leurs compétences à moindres risques et frais, concourant, d’une part, à la formation de la population locale et, d’autre part, à la valorisation des produits du terroir, ainsi que de leur filière de commercialisation en aval. Organiquement attachée à réduire les gaps, l’économie solidaire révèle ainsi la qualité éminemment économe de la solidarité.

IPP ou waqf ? Nous n’évoquions, lors de la première édition du présent ouvrage, que le second de ces termes. La nécessité d’un nouveau n’est apparue qu’au cours de l’élaboration du projet PREFIMEDIM où un certain nombre de ses partenaires mauritaniens ont souligné le caractère strictement socio-économique des waqfs à mettre en place dans le cadre du PSI. Ils rejoignaient, ce disant, des remarques déjà relevées dans notre propre étude. L’idée d’une telle distinction est intéressante, à ce stade de tâtonnements expérimentaux en quête, non seulement, d’une intégration du concept dans le Droit international mais, aussi, de son utilisation tous azimuts en Mauritanie. La qualification waqf met en avant la jurisprudence malékite, celle IPP le Droit international, éventuellement peu à peu enrichi de telle ou telle disposition du fiqh, après discussion entre juristes compétents.

Une telle nuance peut se répercuter dans l’organisation du second étage de la « maison waqf » mauritanienne, telle que nous en avons esquissé les grandes lignes. Nous y notions déjà la probable nécessité d’associer l’ENO (5) et « une ou deux structure(s) indépendante(s) de l'État, de type associatif, regroupant des juristes de tous horizons et de toute sensibilité », pour former une impérative Coordination juridique des awqafs (6) de Mauritanie, notamment active au sein des deux autres grandes structures dédiées à la gestion de la maison waqf mauritanienne (7). Une fois reconnue, en chacune de ces structures, la compétence exclusive de l’ENOM sur les waqfs relatifs aux ‘ibâdat et, d’une manière plus générale, sur le point de vue islamique concernant l’IPP, on entrevoit toute la richesse d’une dialectique waqf-IPP discutée régulièrement à la COJURAM, à partir de situations concrètes relevées au COMEDOHA et au PANAMA. Ce n’est pas tout de souhaiter des passerelles interculturelles : il faut les mettre en œuvre et les vivifier au quotidien. Beaucoup s’y emploient, notamment chez nos voisins marocains et sénégalais (8). La Mauritanie dispose d’une féconde différence propre à enrichir singulièrement ces efforts : il ne lui reste qu’à la manifester.

Sans présumer de l’éventuelle décision de l’État à œuvrer en ce sens, il reste certainement à fédérer les volontés des secteurs civil et privé à promouvoir partout – c’est-à-dire : du plus local au plus global, tant au plan national qu’international – le magnifique outil d’humanité légué par nos pères. Monter une association spécifique ? Couplée à un réseau de structures appliquées à concrétiser ici ou là tel ou tel aspect du concept ? Je vous proposais, en avant-propos du présent ouvrage, de nous y retrouver, « un peu plus tard ». En serait-il maintenant temps ? Rencontrons-nous donc pour en parler (9).

 

NOTES

(1) :   Ordre, en grec. J’aurais fort bien pu écrire « Cosmos », rétablissant ainsi le lien de nature, à cet égard, entre la pensée grecque et la vision monothéiste qui parle, elle, de « Création Divine »…

(2) :   L’Homo roboticus, stade « supérieur » de « l’Évolution » ? Le projet cybernétique du post-(ou trans-)humanisme, notamment développé dans la Silicon Valley et appuyé par toute une panoplie de films de science-fiction enthousiaste ou inquiète (Robocop, Ex machina…), en est convaincu. Voir, notamment, Norbert Wiener, « La cybernétique : Information et régulation dans le vivant et la machine », Seuil, 2014, Paris, et « Cybernétique et société », Points, 2014, Paris ; et sa fameuse assertion si paradoxalement (opportunément ?) fataliste : « Nous avons modifiés si profondément notre environnement que nous devons nous modifier nous-mêmes ».

(3) :    Société à responsabilité limitée

(4) :   Société civile immobilière

(5) :    Établissement National des Owqafs, nouvelle appellation de l’ENAM.

(6) :  Et, par voie de conséquence, IPP. Mais en pourrait, tout aussi bien et peut-être mieux, considérer le waqf comme un cas particulier de l’IPP, plus précisément centré sur la législation islamique… COJURIM en place de COJURAM, donc ?

(7) :   Rappelons-en les sigles proposés dans le présent ouvrage : COordination Multipartite d'Enrichissement du DOmaine HAboussé (COMEDOHA), pour ce qui est des questions foncières, à loger probablement au Ministère des Finances ; et, en ce qui concerne les biens non-fonciers, le « PArc National Associatif de Mobiliers Awqafs » (PANAMA) à celui du Commerce.

(8) :    Variablement alourdis, cependant, par des traditions administratives autrement plus ancrées qu’en Mauritanie…

(9) :    Courriel : [email protected] – tél. : (00222) 46 65 61 48