L’ex-président Mohamed ould Abdel Aziz a été libéré dimanche soir, au terme d’une garde-à-vue d’une semaine. Son arrestation et sa détention au sein des locaux de la police chargée de lutter les crimes économiques et financiers ont fait couler beaucoup de salive et d’encre. Partisans et détracteurs y sont allés chacun de ses arguments. La police économique avait convoqué l’ex-Président dans le cadre de l’enquête que mène le Parquet sur les soupçons de détournements de deniers publics dont est suspecté Ould Abdel Aziz et bon nombre de ses proches et anciens collaborateurs.
Mais, la semaine durant, l’ex-Président a refusé de répondre aux questions des enquêteurs. En s’appuyant, avec sa défense, sur l’article de la Constitution stipulant que président de la République et ministres ne peuvent être jugés que par la Haute Cour de Justice (HCJ), encore en gestation. Une rude bataille qui a mobilisé ses avocats contestant la légalité de son arrestation et dénoncé les conditions de sa détention, « indigne d’un ex-Président ». Pour l’occasion, celui-ci avait choisi d’étoffer son équipe de défense avec deux avocats français dont la présence et les propos ont déclenché une vive polémique.
Aujourd’hui qu’Ould Abdel Aziz est libre, l’opinion attend d’être édifiée sur les conditions de cette « liberté provisoire ». Est-elle intervenue en respect du Droit invoqué par sa défense ou est-elle le fruit de négociations en coulisses ? Qu’il s’agisse d’infirmer ou confirmer les allégations de la famille de l’ex-Président et de ses avocats, le Parquet doit en tout cas sortir de son silence. La justice a tenu à affirmer son indépendance vis-à-vis de l’Exécutif, elle doit le réaffirmer en éclairant l’opinion. Elle doit aussi et surtout lever le doute sur les raisons de l’arrestation de Mohamed ould Abdel Aziz. En effet, certains sceptiques continuent à penser que le dossier des biens mal acquis ne serait pas le mobile véritable de la convocation de l’ex-Président. Le pouvoir aurait-il « paniqué », comme l’a laissé entendre l’ex-ministre des Affaires étrangères Isselkou ould Izidbih, lorsqu’Ould Abdel Aziz annonça son intention de tenir une conférence de presse quelques jours après la convocation de ses proches par le pôle financier mais aussi suite aux accusations sur ses intentions de revenir en politique avec l’achat d’un parti politique, le PUDS en l’occurrence ? Ou détient-il des « arguments assez compromettants »pour qu’on le garde à vue ? L’opinion a besoin de savoir.
D’où viendra l’indispensable relance ?
La conférence de presse de l’ex-Président n’a donc pas eu lieu. Le contraire aurait surpris. Le gouvernement ne voulait pas être gêné, semble-t-il, voire déstabilisé par des propos ou « dossiers » que le tombeur de Sidioca a menacé, à plusieurs reprises, de dévoiler. Tout porte à croire que Ghazwani ne voulait pas laisser son « ami de quarante ans » parler. Avec cet épisode, Ould Abdel Aziz vient en tout cas de réussir un autre pari, celui d’occuper encore et toujours l’opinion et le gouvernement. Depuis le combat sur la référence de l’UPR, il ressuscite à chaque fois que l’opinion le pense politiquement enterré. Même si le pouvoir semble déterminé à le bouter hors du champ politique, Ould Abdel Aziz réussit à mener son agenda.
Après son arrestation, la majorité de l’opinion se crut soulagée, pensant que la descente aux enfers de l’ex-Président était enfin actée. Pour les observateurs, le marabout-président avait marqué un autre gros coup, prouvant que l’opinion que certains de ses concitoyens se font de lui est fausse : ni hésitant ni tatillon, il avance à pas sûrs pour éviter des erreurs que son prédécesseur ne manquerait pas d’exploiter. Ses proches n’ont d’ailleurs pas manqué d’occuper les réseaux sociaux à défaut de faire bouger la rue.
Mais voilà qu’au lendemain de la libération d’Ould Abdel Aziz, les questions reviennent tarauder les Mauritaniens. Se référant à la cohabitation et l’amitié entre l’ancien et le nouveau Président pendant plus de quarante ans, nombre d’observateurs mais également de citoyens lambda pensent que Ghazwani n’irait pas jusqu’à humilier son frère d’armes. Pis : que les deux hommes se jouent même de l’opinion. A contrario de ce soupçon, il appartient au président de la République qui marqua tant les esprits, en acceptant la fondation de la CEP et en réaffirmant, à plusieurs reprises, que la justice était indépendante et que l’Exécutif n’interférerait pas dans son fonctionnement, de transformer résolument l’essai et prouver ainsi, à ceux qui l’ont élu, soutenu et rongent encore leurs freins, qu’il n’est pas venu pour perpétuer la gouvernance de son prédécesseur, caractérisée par un pillage à ciel ouvert des ressources du pays. Alors, les Mauritaniens devront-ils attendre la mise en place de la HCJ pour voir d’autres suspects passer quelques jours dans les locaux de la police économique? Ils ne s’expliquent pas pourquoi de gros poissons douteux continuent à se la couler en de moelleux fauteuils. Ould Abdel Aziz a manifestement renvoyé la balle dans le camp de son successeur, sinon de la justice, si tant est que celle-ci soit réellement l’adversaire de celui-là, en toute indépendance de celui-ci. D’où viendra l’indispensable relance ?
DL