Très rapides, les Mauritaniens ont trouvé une pente. Moi, depuis tout petit, j’ai tellement entendu de choses si extraordinaires sur tout. Au milieu des années 70 (74 ou 75), lorsque feu Moktar entreprit son périple pour constater les travaux de la Route de l’Espoir, un des aînés nous raconta plein de choses sur les Présidents. Je savais déjà qu’un Président n’était pas n’importe qui ! C’était quelqu’un de très spécial dans ma petite tête : il ne dormait pas comme tout le monde ; il ne mangeait pas comme tout le monde ; il ne marchait pas comme tout le monde ; il ne pensait pas comme tout le monde... Il ne volait pas, ne mentait pas, n’escroquait pas. Il n’allait pas aux « cabinets » (appellation à l’époque très en vogue pour désigner les WC). Il se baignait dans une eau spéciale. Il était beau. Exquis. Séraphique. Sinon, pourquoi, de tous ces millions de Mauritaniens, c’est lui qui était devenu « Le » Président ? Il était tout simplement le meilleur. Le héros. Le fonceur. Les Mauritaniens sont rapides. Dans les deux sens : en avant et en arrière. Boîte automatique : les vitesses rentrent d’elles-mêmes et sortent d’elles-mêmes. Exemple : en dix ou onze ans, combien le désormais ex-Président eut-il de ministres, hauts et hautes fonctionnaires, de gros et gras directeurs, administrateurs, généraux ? Combien fabriqua-t-ils hommes et de femmes d’affaires et de femmes d’affaires, recycla-t-il de jeunes et de moins jeunes plus ou moins bien rafistolés ? Combien de « coupés de ceintures de chaussures » promut-il et va-nu-pieds propulsés ? À coup sûr quelques milliers ! « Il sort de la tête ce qui ne sort pas du papier », dit-on, formule-ancêtre de : « Il sort de la tête ce qui ne sort pas des vidéos et des postings ». C’est qui allait faire une « moubadara »(initiative) pour aller joncher les rues et demander la corde au cou de qui vous savez ? « C’est vilain pour une bouche qui a déjà flatté de dénigrer », dit un autre adage populaire. Chapeau pour les trois mousquetaires restés à côté de l’ex-Président ! On dit que la meilleure défense c’est l’attaque. Mais il ya aussi la tribu, les proches, les sympathisants. Il ya aussi ceux qui s’impatientent à « se voir dans le nouveau pouvoir ». Imaginez que chacun fasse valoir ses appartenances, ses intérêts et ses accointances... Alors, mesdames, messieurs, mesdemoiselles, jeunes hommes, il faudrait retourner aux organisations sociétales traditionnelles, avec force campements, chefs de tribus, notabilités, esclaves, griots, tributaires, forgerons, puits, zéribas, oasis, chameliers, âniers, émirats, al mamiya, tentes, cases… tout et n’importe quoi. Comme ça, on dira bye bye à l’État et à ses notions. Comme ça, il n’y aura plus aucune réclamation contre quiconque. Puisque les ex-Premiers ministres, ministres, administrateurs directeurs généraux, hauts fonctionnaires, hommes et femmes seront tous revenus prendre, chacun sa place au sein de sa tribu, son campement, son village ou son adwaba. Plus aucune réclamation contre ni ancien ni nouveau Président. Plus aucune amitié entre eux. Boumdeïd, c’est là- bas. Louga, Bénichab ou El Asma, c’est encore plus très là-bas. Plus aucune réclamation, ni saisie de Hilux, camion, ni tous sortis d’usine, ni de bateaux, ni saisie conservatoire contre rien, ni comptes ni décomptes, ni marchés, ni boutiques, ni villas, ni appartements. Plus rien que le principe de territorialité : le fleuve aux gens du fleuve, l’océan aux gens de l’océan, les mines aux gens des mines, le poisson aux gens du poisson, les dunes aux gens des dunes, les plaines aux gens des plaines, les regs rouges aux gens des regs rouges... Plus de commission d’enquête parlementaire, puisque plus de Parlement. Plus de ministères, puisque plus d’État. Plus de justice, puisque plus de justiciables. Plus de présidence, puisque plus de sujets, verbes, ni conjonctions de coordination. Plus d’avocats nationaux ni internationaux, puisque plus autre défense que la force des biceps, en foi et droit d’une certaine loi de la jungle. Salut.
Sneiba El Kory