Pour un Plan d’urgence de la pêche : Synthèse de la situation du secteur en Mauritanie

13 August, 2020 - 01:07

Les Imraguens sont les pêcheurs les plus anciens de la sous-région. Depuis des temps immémoriaux, ces « marcheurs sur l’eau » ou « ramasseurs du coquillage », comme on les appelait en vieux berbère, se tenaient au golfe d’Arguin, point de rencontre entre l’Irivi du désert (l’Harmattan en hassaniya) et de l’Alizé des Canaries, d’où naît l’upwelling, un phénomène maritime repoussant les eaux chaudes vers le large et remontant vers la côte les eaux froides riches en matières nutritives, formant le premier maillon de la chaîne alimentaire, on en reparlera plus loin.

Les autochtones pêchaient au filet à proximité immédiate du rivage, aidés par les dauphins avec qui ils avaient développé une singulière relation. Chaque fois qu’ils voulaient pêcher, les Imraguens frappaient les flots de sept coups de bâton, un message perçu par les dauphins comme un appel à diriger un banc de poissons, ordinairement des mulets jaunes, vers la côte. Effrayés par l’activité de ceux-là, ceux-ci se précipitaient dans le filet circulaire tendu par les pêcheurs qui laissaient à leurs aimables partenaires leur part de festin et un passage pour reprendre calmement le large, tandis qu’on ramenait sur la plage les filets gonflés de captures.

Dans les années 50, les Imraguens commencèrent à utiliser les bateaux à voile, communément appelées« lanches », que les Français et les Canariens leur avaient appris à fabriquer et diriger. Leur pêche, qui s’étendait maintenant du Cap Timiris au Sud au Cap Alsas au Nord, n’en continua pas moins à respecter l’environnement, préservant tout naturellement la biodiversité de la faune et de la  flore. Aujourd’hui protégé sous l’appellation « Parc national du banc d’Arguin », ce sanctuaire est le refuge de nombreux oiseaux migrateurs et le réservoir biologique des quelque six cents espèces de poissons connues en Mauritanie.

Les Imraguens ont toujours entretenu des relations très fraternelles avec les groupes nomades qui fréquentaient leurs côtes, échangeant les produits de leur pêche contre des biens venus du Nord : thé, tissus, sel… ; et du Sud : blé, haricot, mil, gomme arabique... Dans leur ensemble, les Maures, traditionnellement pasteurs, nomades, oasiens, caravaniers et négociants, éprouvaient à l’égard de la mer une répulsion farouche. Nouadhibou ne fut longtemps qu’un minuscule point d’eau perdu sous de continuelles brumes de sable, à la frontière de deux immensités : le désert de grès et de sel, au Nord et à l’Est ; l’Océan, au Sud et à l’Ouest. Séparés du cœur de la Mauritanie par des distances considérables et de notables obstacles naturels (dunes vives de l’Akchar et de l’Azeffal) difficiles à franchir, ses autochtones y vivaient de chasse et de pêche, avec également la conduite d’un important cheptel, principalement des dromadaires.

 

Nouadhibou

Aujourd’hui, la ville de Nouadhibou figure parmi les ports les plus importants de l’Afrique tropicale, grâce surtout à son commerce du fer et du poisson. La presqu’île du Cap Blanc s’étend du Nord au Sud sur une cinquantaine de kilomètre délimitant un abri côtier, dite « Baie du Lévrier », largement évasé dont l’origine est probablement due à une faille. Cette baie cumule deux avantages décisifs : contrairement à celle du Rio de Oro, au Sahara occidental, elle est souvent profonde – dix mètres au droit de Nouadhibou et quinze à celui du Cap Blanc – ainsi seule rade de toute la côte saharienne accessible aux gros navires ; elle abrite de surcroît des fortes houles atlantiques qui sapent les falaises de la Côte des Phoques et ses eaux calmes ne sont agitées qu’exceptionnellement des bouffes d’Irivi. Lemarnage est faible, variant entre 0,60m en morteseaux et 1,80m en vives.

Mais Nouadhibou est surtout situé sur une des côtes les plus poissonneuses du Monde. L’upwelling tantôt noté remonte des eaux froides riches en phosphates et nitrates, alimentant un phytoplancton très abondant et donc d’énormes bancs de poissons d’espèces très variées. Cette richesse ichthyologique fut connue hors de la région dès le 15ème siècle, grâce aux récits de navigateurs portugais. La côte s’est depuis vue régulièrement fréquentée par des pêcheurs canariens. Mais ce n’est qu’au début du 20èmesiècle qu’à la suite de la pénétration française en Mauritanie, le savant Alain Gruvel entreprend une étude systématique de la faune marine et du potentiel de pêche. Il préconise la fondation, dans la Baie du Lévrier, d’une station qu’il propose d’appeler, en l’honneur du ministre français des colonies, Port-Étienne. Entre Mai 1906 et Septembre 1908, sont ainsi construits un poste militaire, une résidence, un dispensaire, une station météorologique, diverses citernes et appontements, ainsi qu’un phare au Cap Blanc, dont la portée est de 18 miles.

Cette installation répondait à plusieurs buts : assurer la sécurité et l’avitaillement des bateaux de pêche, développer une industrie de traitement du poisson en deux temps : séchage et fumage puis conserveries. Mais de nombreux obstacles retardèrent la réalisation de cet ambitieux programme. L’isolement et la rareté du peuplement autochtone, la pénurie en eau douce, tout-à-la fois faute de précipitations (total annuel moyen pour la période 1931-1960 : 31,6mm) et présence en sous-sol de sédiments fortement salifères (le biseau salé) au-dessus desquels les dunes n’entretiennent que quelques lentilles d’eau douce insuffisantes à assurer l’abreuvement d’une installation portuaire. Achalandées par des pêcheurs canariens, seules quelques entreprises artisanales de poisson sec parvenaient à subsister, grâce à la modicité des prix de revient et surtout au climat très favorable audit séchage, avec une chaleur modérée, 19-25C°.

L’Indépendance de la République Islamique de Mauritanie, le 28 Novembre 1960, s’accompagne d’un changement dans la législation du pays en matière de pêche, face aux incertitudes de la période, entre présumée main levée de la France et nouveau statut vis-à-vis de celle-ci. Ce changement encourage le lobby canarien de la pêche africaine, regroupé autour du Consortium des industries de transformation du poisson (COIPASCA),à faire un pas en avant et investir dans l’industrie de transformation du poisson, bientôt concrétisé par la construction d’un complexe industriel à Nouadhibou avec un double objectif, politique et économique.

La présence de la SIGP, fondée en 1919 à Port-Étienne, et ses activités de pêche déjà très ancrées forment une sévère concurrence par le nombre de ses navires opérationnels en mer, son emploi de la rare main d’œuvre locale et ses infrastructures à terre. La société SOMIP fabrique une farine de poisson susceptible de traiter 600 tonnes de poisson frais par jour. Le complexe de pêche construit par une autre société à capitaux exclusivement espagnols, l’IMAPEC, peut sécher 20.000 tonnes de poisson frais par an, produire 100 tonnes par jour de farine et mettre3.000 tonnes de produits de la mer en conserve chaque année. Au total de la période 1967-1970, l’ensemble des industries de transformations port-stéphanoises est capable de traiter 140.000 tonnes par an de poisson frais. Un chiffre considérable qui implique la solution de deux problèmes :le renouvellement du stock de poissons et les débouchés.

 

Le tournant du siècle

Avec le tournant du siècle, la Mauritanie se voit peu à peu  plongée dans l’instabilité financière et politique. Les sècheresses récurrentes, les efforts visant à réduire la pauvreté et à améliorer le niveau des services de base se sont traduits, dès avant l’an 2000, par une forte augmentation de la dette extérieure, plaçant le pays sur la liste des Pays pauvres très endettés (PPTE). Deux coups d’État sont perpétrés entre 2005 et 2008.Une instabilité guère favorable à la réordonnance de la pêche, un secteur pourtant crucial pour l’économie mauritanienne, tant au niveau de sa part dans le PIB et les exportations du pays que dans les rentrées budgétaires ou l’emploi.

Premier constat : même si elles se sont considérablement développées depuis les années 90,les captures réalisées par les navires mauritaniens sont très faibles, en comparaison de celles enregistrées par les flottes étrangères ayant accès aux ressources halieutiques de la ZEE mauritanienne, en vertu d’accords de pêche ou de licences de fret. Outre l’activité de l’Union européenne, les flottes de Russie, Ukraine et Chine jouent un rôle de plus en plus important. Second constat : alors que les captures dans les eaux mauritaniennes s’étaient multipliées dans la première moitié des années 70, la tendance s’est nettement inversée. En termes de volume, les petites et moyennes espèces pélagiques sont les plus représentées mais, en termes de valeur, c’est le poulpe qui arrive en tête. Les captures de merlus et de crustacés sont également importantes. Pour ce qui est de l’UE, la seule augmentation concerne les petits pélagiques pêchés par les navires néerlandais, lituaniens, lettons et polonais. L’activité de la flotte espagnole est diversifiée dans d’autres catégories : elle joue un rôle prépondérant dans la pêche aux céphalopodes, aux crustacés et au merlu noir.

La pêche, un secteur primordial pour l’économie de la Mauritanie ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes : elle représente 10% du PIB, entre 35 et 50% des exportations du pays et 29% des recettes budgétaires. Elle entretient 45.000 emplois directs et indirects, soit 36% de l’emploi. On estime que la pêche artisanale en fournit 31% contre 12% pour sa rivale industrielle qui truste cependant 90% des captures. Mais en dépit de son indéniable importance, le secteur reste très peu développé. Cela est dû à l’absence de tradition maritime et à l’excentration géographique de Nouadhibou, le seul point de débarquement pour la flotte industrielle. Les petits pélagiques représentent 90% du volume des captures de la flotte mauritanienne mais guère plus de 40% de la valeur des débarquements. Les espèces démersales représentent un peu plus de 20% de la valeur des captures, les céphalopodes (principalement le poulpe) environ 30% et les crustacés à peine 10%.Et le secteur industriel ne produit que peu de valeur ajoutée :la transformation du poisson est peu développée et sous-exploitée ;trop d’installations sont vétustes et posent des problèmes sanitaires.

Une grande partie des captures est débarquée à Las Palmas, aux Îles Canaries. La Mauritanie ne compte que deux ports de pêche : Tanit (en phase de mise en service) à Nouakchott et Nouadhibou. Celui de Nouadhibou a de meilleures infrastructures, une activité de pêche plus importante et une zone réservée à la flotte artisanale. C’est là que tous les débarquements de notre flotte industrielle et 20% des captures des flottes côtière et artisanale sont commercialisés. Il n’existe pas encore de véritable port de pêche à Nouakchott : l’activité se cantonne au marché des poissons, dans une zone de débarquement déplacée au Nord du PANPA. Le manque d’infrastructures portuaires limite les possibilités de débarquement et les exportations sont freinées par un transport aérien irrégulier et insuffisant. Des exportations de produits frais de Nouadhibou vers la péninsule ibérique sont néanmoins effectuées par avion. Détenant le monopole du produit congelé, la Société mauritanienne de commercialisation des produits de pêche (SMCP) se charge de la plupart des exportations. Il s’agit principalement de poulpe congelé à destination du marché japonais qui offre des prix plus élevés que le marché européen.

 

Les accords de pêche UE-Mauritanie

L’actuel accord de pêche avec la Mauritanie est le plus cher de ceux conclus par l’UE. Pour la période 2008-2012, la contrepartie financière s’élève à 305 millions d’euros, auxquels s’ajoutent 60 millions d’euros provenant des redevances payées par les armateurs pour obtenir des licences. Cet accord a évolué depuis celui de 1987, devenant en1996 un accord de coopération puis de partenariat en 2006. Au cours de ce processus, les aspects liés à la conservation des ressources, la contribution au développement, la mise en place d’une politique de pêche, l’assistance scientifique et technique et la coopération interentreprises ont été renforcés.

L’Accord UE-Mauritanie revêt une importance toute particulière pour les chalutiers qui pêchent les céphalopodes et les crustacés, puisqu’ils ne disposent pas d’autre zone de capture, hormis la Guinée-Bissau. Les accords successifs ont restreint les possibilités de pêche mais augmenté les contreparties financières et les redevances à charge des armateurs. La faible utilisation des possibilités en certaines catégories s’explique par des problèmes liés aux mesures techniques, à des redevances élevées et aux arraisonnements. Les zones de pêche autorisées sont de plus en plus éloignées de la côte, afin de : promouvoir le développement de la pêche artisanale qui bénéficie d’une zone exclusive et de moins d’interactions avec la flotte industrielle ; et réduire l’effort de pêche sur le poulpe.

Même si les mesures techniques sont de plus en plus précises au fil des accords, elles restent problématiques en ce qu’elles impliquent un traitement discriminatoire vis-à-vis des flottes de l’UE. Ceux-ci régulent les transbordements de captures et les débarquements dans les ports de l’Union, prévoyant en outre l’embarquement de membres d’équipage et d’observateurs de nationalité mauritanienne à bord des navires. Afin de veiller à la bonne application de l’Accord, une commission mixte et un comité scientifique conjoint ont été fondés. Le problème de l’arraisonnement de navires de l’UE s’aggrave avec le temps. Des indices laissent penser qu’une partie de ces interventions pourrait être injustifiée. En dépit de la mise en place d’un groupe de travail sur la question, les autorités mauritaniennes compétentes ne semblent pas enclines à coopérer.

 

Une ère nouvelle de pêche ?

Une attitude qui a cependant tendance à se généraliser à l’égard d’autres partenaires. Car, avec ses multiples richesses naturelles, la Mauritanie n’a jamais cessé de faire l’objet d’une convoitise internationale bien organisée et planifiée d’une façon malice, jubilée par une gouvernance qui manquait sur tous les plans. Le secteur de la pêche n’y a pas fait exception. Le lobby étranger a toujours trouvé un « partenaire de gabegie » au sein de nos dirigeants et responsables du premier rang.

L’arrivée de son Excellence monsieur le président de la République, Mohamed Ahmed ould Ghazwani, doit mettre sans faillir ce secteur sur les bons rails. L’expérience de notre nouveau Raïs en nombre de dossiers très épineux, tant sur le plan national qu’international, et sa sagesse reconnue, par l’ennemi avant l’ami, fait de lui la personne exactement adaptée à comprendre les subtilités du secteur. Son choix de politique générale et les responsables qu’il aura soin de bien choisir feront sans doute la différence. 

La situation de la pêche en Mauritanie doit être modifiée en urgence sur plusieurs plans essentiels. En un, l’aménagement de la ressource, par une législation qui donne la priorité à la pêche artisanale en trois volets majeurs : la recherche de financement pour les pêcheurs artisanaux et de débouchés nationaux et régionaux efficaces pour leurs produits ; une solution durable du conflit artisanat-industrie, offrantaux deux composantes la nouvelle technologie de localisation-satellite et un suivi sérieux par des professionnels ; la formation professionnelle en matière de recherche scientifique au niveau local, pour mieux comprendre les problèmes des mareyeurs et pêcheurs sur leurs lieux de travail.

En deux, la révision globale des accords de pêche (Mauritanie UE, Mauritanie-Sénégal, Mauritanie-Chine, etc.) qui présentent des failles techniques très dangereuses pour la ressource elle-même et pour l’économie nationale. En trois, une étude très urgente sur l’impact des gisements du pétrole et gaz naturel sur le milieu aquatique, visant à toujours privilégier, d’une manière plus générale, l’exploitation pérenne de la ressource renouvelable sur celle non renouvelable et donc irrémédiablement épuisée à terme.  Et enfin l’orientation résolue vers une industrie de transformation des produits de la pêche.

On y tout développera d’abord la préparation et la conservation des poissons, crustacés et mollusques : nos eaux territoriales regorgent d’au moins neuf espèces de poissons parmi les plus utilisées au Monde dans les conserveries, une attention toute particulière doit être donnée à cette orientation, profitant des nouvelles technologies en ce domaine; le filetage de dix espèces les plus notoirement appréciées au niveau international dont sept sont commercialisées sous leur nom européen ; la précision de la découpe dont une partie est utilisable en cosmétique et pharmaceutique ; la portion, la surgélation et l’emballage sous vide dans toute la diversité ordonnée par le marché ; le séchage, salage, saumurage dont les marchés en Afrique et Asie sont particulièrement prometteurs et gagnent chaque jour du terrain.

Brahim ould Breika

Ingénieur de pèche