[…] De tels enjeux sont perceptibles dans le fonctionnement du « PArc National Associatif de Mobiliers Awqafs » (PANAMA), singulièrement amplifiés par la mobilité des biens. Les transactions avec le secteur des affaires lucratives y sont quotidiennes et normales, les risques de dérapages, multipliés. Différents systèmes de contrôle plus ou moins judicieux, plus ou moins lourds, ont été rôdés au sein du monde associatif international et il n'est pas question d'en recenser ici les qualités et défauts respectifs. On se bornera donc à rappeler quelques limites, en insistant par contre plus précisément sur les originalités potentielles de ce nouvel organisme. Distinguons à cet effet quatre angles de prospection : le secteur des achats, celui des échanges, celui des réformes, celui, enfin, du financement des sauvegardes.
Le secteur des achats marque l'entrée du bien waqf dans le monde associatif : marqué d'un numéro de référence, il n'en ressortira qu'à l'heure de sa réforme. Entre temps, il peut être amené à circuler selon les règles connues de l'istibdal (1) entre les structures associées au sein du PANAMA. Le numéro de référence permet de tracer tout au long de ce périple les valeurs fixe et dégressives du bien, associées à sa position dans le temps et l'espace. Ainsi un ordinateur, apparu neuf dans le waqf mobilier de l'AMEC (waqf passif) pour une valeur de mille euros, peut, trois ans plus tard, être échangé avec l'association X, pour une valeur de six cents euros. La comptabilité du waqf actif de l'AMEC devra alors dégager quatre cents euros pour rétablir la valeur initiale de l'ordinateur, conservant ainsi constamment la valeur du waqf mobilier. L'association X intègre, quant à elle, la valeur nouvelle de l'ordinateur en son propre waqf, en effectuant les éventuelles corrections sur sa comptabilité.
Notons un détail assez important au niveau des achats préliminaires. À égalité de prix et de qualité (2), il semblerait juste de favoriser le fournisseur le plus impliqué dans le réseau des donateurs. De nombreuses entreprises lucratives ont compris l'intérêt stratégique du mécénat et il conviendrait de gratifier en retour leur effort. On peut certes opposer à ce principe – relatif donc – d'autres non moins pertinents : priorité à la production locale, limitation des situations de monopole, etc. Mais le paramètre « mécénat intéressé » n'en demeure pas moins dynamique et mérite d'être intégré aux constructions à venir...
La réforme d'un bien est ordonnée en conseil d'administration de chaque waqf, selon des modalités laissées à son appréciation. Cependant elle doit être entérinée par le PANAMA, juge de la conformité de la transaction éventuelle ne devant notamment et impérativement jamais donner lieu à une quelconque dépréciation injustifiée de la valeur vénale du bien. La réforme de ce dernier est normalement le signal de son renouvellement : on achète, par exemple, un nouvel ordinateur. On peut constater alors une modification sensible des prix du marché ; à la hausse, au point de nécessiter un réajustement du waqf actif de l'association (3) ; à la baisse, autorisant un redéploiement de la valeur du waqf mobilier.
Tout ceci nous amène à la conclusion suivante : le waqf mobilier est une immobilisation relative (4)d'une valeur marchande initialement définie, en décroissance interdite. La gestion de cette relativité particulière implique des outils financiers adaptés, permettant l'entretien et le renouvellement des signes matérialisant cette valeur. Nous n'argumenterons ici sur le terrain des spécialistes, en nous contentant d'affirmer que ces outils financiers doivent être maîtrisés dans le cadre même de cette relativité : le PANAMA donc où se retrouvent tous les partenaires de cette filière.
Coïncidence entre données réelles et monétaires
Nous parlons d'organisation de l'épargne et d'adaptation au marché. Mais nous parlons également de motricité économique, boucles de régulation et conduction efficiente d'informations. L'objectif et les choix stratégiques d'une nécessaire Caisse des Investissements Mutualisés des Awqafs Associatifs (CIMAA), regroupant l'ensemble des acteurs du PANAMA, sont aisément compréhensibles : assurer la plus parfaite coïncidence possible entre les données réelles et monétaires de l'économie des awqafs associatifs, « en incorporant immédiatement et systématiquement les aléas ou évènements non probabilisables (5) » à la gestion de chaque waqf. On aura reconnu ici le principe du partage des profits et des pertes qui caractérise les banques dites « islamiques » qualifiées, en France, de « participatives ». Une réflexion approfondie réunissant toute une palette de compétences reste à mener sur les modalités de fonctionnement d'un tel établissement, repensé dans le cadre strict du PANAMA (6), dont le champ pourrait cependant être facilement élargi à la gestion de programmes spécifiques de développement (7) : vaste entreprise, associant une multiplicité de donateurs privés et publics, nationaux et internationaux, dont le moindre examen nous entraînerait trop loin en cet ouvrage de déblaiement.
Aura-t-on à présent ressenti la globalité de notre démarche ? Il n'est évidemment pas fortuit que notre réflexion débouche sur une rencontre entre le waqf et le rétablissement de la monnaie en juste accompagnatrice de la croissance, au détriment de l'illusion de son équilibre artificiel. Ce qu'il est ici envisagé n'est rien de moins que la fondation d'une zone d'économie spécifique strictement cadrée, susceptible, sinon de modéliser de nouveaux rapports sociétaux, de constituer du moins un nouveau réservoir de conduites et de régulation en phase croissante avec le vivant.
Quelques limites de bon sens
L’étroitesse du marché mauritanien que nous évaluerons pour simplifier à trois millions d’individus – sept à l’horizon 2030 – va nous permettre d’envisager rapidement les plus évidentes limites de croissance d’un tel projet. Ici encore, il ne s’agit certainement pas de définir rigoureusement et précisément des formes prêt-à-porter, comme autant de carcans étouffant dans l’œuf la profusion inventive des initiatives populaires. Mais il convient de garder à l’esprit que toute perturbation de l’équilibre d’un marché diminue le rendement de l’accumulation de son énergie et donc, à plus ou moins long terme, sa productivité.
Saisissons tout d’abord le potentiel novateur. Dans l’esquisse des probabilités associatives de la Mauritanie, nous avons distingué deux secteurs bien différenciés : les solidarités de proximité géographique, d’une part, et, d’autre part, toutes les autres (tribales, religieuses, politiques, culturelles, sportives, etc.). Individuellement limitées dans leur effectif et leur impact géographique, les premières sont de loin les plus nombreuses. Regroupant chacune une cinquantaine de foyers en moyenne, on en compterait, dans l’hypothèse de leur déploiement maximal, quelques vingt-cinq mille à l’horizon 2030, réparties sur tout le territoire. Soit, compte-tenu de la polarisation ordinairement souhaitée de leur organisation entre sections féminine et masculine, quelque cinquante mille awqafs de proximité géographique.
En s’en tenant à un étage temporaire de trois mille structures (8), on délimite une phase critique du développement des associations du second type, appelées, quant à elles, à des couvertures régionales ou nationales. Elles ont toutes en commun un même principe de développement endogène, nécessitant seulement une assise génératrice suffisamment stable pour assurer leur essaimage. Mais leur extrême diversification, tant du point de vue de leur effectif, de leur répartition géographique que de leurs centres d’intérêt parfois multiples, ne facilite guère l’estimation globale de leurs besoins. Certains groupements, notamment les partis politiques ou les confréries, se chiffrent en centaines de milliers de personnes dispersées sur tout le territoire national et peuvent compter sur des cotisations et des dons plus ou moins réguliers de leurs membres. D’autres et, en tout premier plan, les ONG nationales de développement ne disposent pas de telles ressources et sont excessivement dépendantes des projets dont elles ont la charge.Cependant les limites de notre ouvrage n’appellent pas à de savants calculs et une approximation même grossière suffira à éclaircir notre propos. On avancera donc l’hypothèse que ces associations diverses nécessitent, chacune et en moyenne, huit fois plus de moyens qu’une solidarité de proximité géographique, en rappelant toutefois que les dotations en waqf n’ont a priori pour objet que d’assurer le fonctionnement basique de chaque association. (À suivre).
NOTES
(1) Connues du public qui doit donc être notoirement informé, via la COJURAM ; et périodiquement réactualisées, nous allons le voir, aux impératifs du marché.
(2) : Impliquant de facto celle du service après-vente : prime notable au développement des services locaux...
(3) : Dont la fonction, rappelons-le, consiste à neutraliser le plus exactement possible les dépenses du waqf passif, mobilier ou immobilier.
(4) : Et cette relativité fait, du waqf mobilier, un précieux outil de mesure économique.
(5) : Stanislas Ordody de Ordod – in « Finance et développement en pays d'islam » – p26.
(6) : De simples constats devraient suffire à éclairer la plupart des choix. On remarquera, par exemple, qu'avec une contribution mensuelle de 250 à 300€, une association comme l'AMEC renouvellerait l'ensemble de son waqf mobilier tous les cinq ans.
(7) : Incluant donc éventuellement certains programmes du COMEDOHA...
(8) : En sous-estimant cependant et largement la capacité de développement d’un certain nombre d’associations, sportives ou culturelles par exemple, susceptibles de couvrir à terme le champ des solidarités de proximité géographique et d’être traitées, en conséquence, en sections spécifiques de celles-ci. La question de la frontière entre les deux types d’associations est ainsi posée : il faut, notamment en matière tribale, politique et religieuse, prendre la peine de la bien délimiter…