Les sobriquets ne manquent pas en Mauritanie. Nous sommes un peuple de farceurs à tout-va. « Ce n’est pas important » est, certainement, l’expression la mieux partagée chez nous. Ah, ça, ce n’est pas important. Joue. Continue. Viens. Ce n’est pas important. Allons quelque part boire le thé. En Mauritanie, rien n’est important. Rien ne vaut la peine d’être important. L’indépendance ? C’est pas important. Le président ? C’est pas important. Le marché de la capitale risque de s’écrouler ? C’est pas important. Les choses marchent ? C’est pas important. Les choses ne marchent pas ? C’est pas important. Il a beaucoup plu. C’est pas important. Il n’a pas beaucoup plu. C’est pas important. L’opposition boycotte. C’est pas important. L’opposition participe. C’est pas important. L’ouguiya dégringole. L’ouguiya se relève. Dialogue de sourds, de muets ou sourds-muets, voyants ou non-voyants. Tout ça c’est ordinaire, voire pas important. Que la Mauritanie avance ou recule, rien n’est plus grand que cela ; c'est-à-dire, pas important. L’agriculture, l’élevage, l’éducation, la santé, un milliard d’ouguiyas volés de la direction du Trésor de Nouadhibou ou un scandale financier au centre de la SOMELEC de Kiffa. Hé, c’est pas la fin du monde ! Le ciel ne s’est pas renversé sur la terre. C’est ordinaire pour dire que c’est pas important. Il y a plus important dans la vie. Le lait de chamelle. Le thé sur le fourneau. Passer la nuit à la belle étoile sous une khaïma, quelque part au creux d’une dune et voir un scarabée et une coccinelle se balader allégrement, en y inscrivant des arabesques. Ô Allah, comme c’est important ! Eski ! Oh la la la la, très important ! Extraordinaire ! Ou quand, le soir, vers le crépuscule, un groupe de jeunes descend dans un grand campement. L’air est pur. La vie bédouine. Des gavs et des tal’a. Ou que, quelque autre part, tout à fait au Sud, des troupeaux de vaches ruminent, paisiblement, devant les cases d’un tout aussi paisible village. Que c’est important, ça ! C’est ça, la vie. Rien d’autre ne vaut cette extraordinaire situation. Le cours du fer. La SNIM et son personnel. Les Harratines et leur manifeste. Les FLAM et leur sécession. Les tensions communautaires qui s’exacerbent. L’opposition et la majorité qui se regardent en chiens de faïence. Les scandales financiers qui se multiplient. Je te dis, ça c’est pas important. La fièvre de Nouakchott ou le puits magique de Toujounine dont l’eau a la Baraka. Quels fils de gros bonnets marient quelles filles de grosses pointures : voilà un sujet important ! Il paraît que le fils de tel député marie la fille du PM ou vice versa. En tout cas, quelque chose comme ça. Que font les ministres et leurs femmes, le week end ? Très important à savoir. Comme ça, on saura pourquoi ça ne marche pas. Les costumes des ministres ne sont pas les mêmes. Certains viennent des Champs Elysées et d’autres des environs du marché cinquième, vers les jardins. La grande rue-là qui mène tout près du dispensaire de Sebkha. Tout comme leurs cravates vachement attachées. Certaines viennent des étals sis sous la BMCI et d’autres directement made in marché tiebtieb de Nouakchott. Voilà des sujets importants dont la République a besoin. Qui est parti en Australie avec le Président ? On dirait qu’il a laissé sur le carreau son directeur de cabinet et celui du protocole. Et pour le Burkina Faso ? Pour voir Zida et Kafondo. Un mélange de genre. Une recette apocryphe, à base de militaires et de civils. Ou comment les militaires et les civils peuvent marquer le pas ensemble, sans s’en vouloir. Chose importante, j’allais oublier. Je le disais au début. Les sobriquets. Autre sujet important en Mauritanie. Pour les hakems, j’en connais au moins trois sortes : hakem « les coins » (legroune), spécialistes de cela, puisque ça rapporte gros ; hakem « les bouses » (zbel), c’est pas propre quand même, les bouses, et hakem « deux mille » (elevein), ça sert à quelque chose, par les temps qui courent. Ça sert à quoi tout ça ? Bah, c’est pas important, c’est pas important… Salut.
Il y a quelques semaines, un ancien fonctionnaire devenu conservateur de bibliothèque, Ahmed Mahmoud ould Mohamed, dit Gmal, publiait sur Facebook un post au titre évocateur : « La mémoire en décharge : quand les archives nationales finissent dans les ruelles de Nouakchott ».