Monsieur Ahmedou Ould Moustapha décline ici une analyse percutante qui remet en question beaucoup de certitudes et de croyances fortement établies.
Des lois immuables de l’Histoire aux pertinents indicateurs comparatifs de l’économie, en passant par les inflexions de la géopolitique, il met en évidence quelques tendances lourdes pour cerner les véritables enjeux de cette vive tension qui se déroule sous nos yeux entre les Etats-Unis et l’Empire du Milieu.
Il nous explique surtout la sérieuse menace qui se profile sur le destin des Etats-Unis au niveau de l’échiquier international ainsi que les vraies raisons des déclarations à la fois erratiques et oscillatoires du président Trump à l’encontre de la Chine.
Avant qu’elle ne fût détruite et occupée par les vandales, une tribu de guerriers intrépides et impitoyables, Carthage fut d’abord phénicienne et ensuite Inumiden(1). Puis elle devint romaine et chrétienne avant d’être musulmane dès l’avènement de l’Islam (l’an 700 environ) jusqu’à ce jour. Jamais Ville n’aura été plus séculaire en magnificences et en décadences : Carthage pourrait bien, en effet, se targuer d’avoir vécu et symbolisé à la fois l’éclosion et le déclin de plusieurs civilisations dont certaines ont marqué leur époque et d’autres ont même pu changer la face du monde. Ce qui revient à dire que les civilisations, autant que les hommes, naissent, grandissent, s’épuisent et meurent inéluctablement, quelle que fusse leur puissance.
Toutes les civilisations du passé ont obéi à cette loi immuable, et il en sera de même pour la civilisation industrielle dont la forme actuelle se caractérise par sa tendance irréversible à devenir universelle au moyen de la révolution numérique et de la mondialisation de l’économie. Elle sera technologique ou autre chose qui ne serait pas le privilège d’un peuple ou d’une culture, mais un bien qui se propose à tous les hommes, à toutes les cultures, à tous les continents. Elle se présente déjà comme un défi à la géographie et aux idéologies toujours partisanes : une civilisation de l’homme en tant qu’homme, quelle que soit la philosophie ou la religion à laquelle il adhère.
C’est en cela qu’elle se présente aussi comme une remise en question ou à l’opposé des civilisations classiques qui s’appuyaient toutes sur une grande religion, théiste ou païenne, pour se rendre légitimes. En effet, lorsque celles-ci étaient en phase de croissance et d’expansion, elles devenaient puissantes ; et quand la force de la religion qui les nourrissait décroit ou décline, les civilisations trépassent avec elle. C’est là aussi une loi de l’Histoire rarement ou même jamais démentie.
Une œuvre de rupture en marche
Par contre, la civilisation industrielle, apanage du monde occidental à ses débuts et dont la portée est aujourd’hui plus universelle que jamais, n’épouse aucune religion ; son unique divinité est le veau d’or de l’accumulation outrancière de richesses et n’invoque que les facteurs de production ainsi que leur corollaire indispensable, à savoir la transformation manufacturière dont l’ultime objectif est le consumérisme au sens de l’‘’American way of life’’ qui s’épuise de plus en plus pour avoir presque atteint ses limites (nous y reviendrons). D’où la mutation historique à laquelle nous assistons en ce moment, à travers cette articulation profonde de deux mondes, celui de l’Asie tiré par la Chine comme principale locomotive et le monde occidental conduit par l’Amérique – son leader incontestable et d’ailleurs nullement contesté. Leur différence d’approche en termes de célérité, d’efficacité et de moyens logistiques déployés pour contenir et vaincre la pandémie du Covid 19, démontre ô combien que les temps ont changé et qu’ils ne seront plus comme avant. Car tandis que Pékin célèbre sa victoire décisive contre ce virus, Washington est comme tétanisée par l’ampleur de sa propagation dans le pays, ne sachant ni quoi faire ni par où commencer, après avoir sombré dans un déni erratique pour le moins grotesque, au point de faire sortir de sa réserve l’ex-président Obama qui a qualifié le président Trump d’irresponsable pour sa gestion chaotique (2) de la pandémie.
Il est donc évident qu’une œuvre de rupture est en marche : même si leurs premiers signes remontent à plusieurs années, les prémices de la fin de règne d’un monde unipolaire sont nettement visibles à présent, encore que l’avènement attendu reste flou ou incertain, notamment s’il fallait tenir compte du mystère qui entoure l’issue et les impacts de l’épidémie qui sévit en ce moment dans le monde.
L’esquisse ci-dessous fait donc abstraction des conséquences de cette épidémie, qui pourraient être encore plus catastrophiques qu’on ne l’imagine, elle ne considère que deux catégories de tendances décisives, géopolitique et économique, qui se sont dégagées au cours des vingt dernières années sur l’évolution des rapports de force entre les deux plus grandes puissances économiques mondiales qui s’opposent sous nos yeux dans de vives hostilités d’apparence commerciales mais profondément géostratégiques ; elle se donne alors le but de fixer les idées ou plutôt de proposer un éclairage qui se veut original sur les perspectives de la transition qui s’annonce et les performances époustouflantes de l’Empire du Milieu qui émiettent et dissolvent ce qui est aujourd’hui l’objet d’une ferme croyance ou de préjugés fortement établis sur l’hyper puissance américaine, mais il faudrait se référer auparavant à l’actualité comme point de départ pour mettre en évidence la trame de ce propos : Selon une dépêche d’avant-hier, le président Donald Trump venait de réitérer sa menace de rompre toute relation avec la Chine après avoir annoncé sa sortie complète (militaire et civile) de l’Accord sur le nucléaire iranien.
On sait toutefois que ces déclarations étaient destinées en premier aux électeurs américains pour leur faire croire que la Chine était seule responsable de la pandémie du coronavirus qui ne cesse de se propager dans le pays et que l’Iran était l’éternel ennemi avec qui on ne peut se mettre d’accord ; comme pour dire qu’une fois réélu, il serait prêt à en découdre ou à remettre ces deux pays à leur place.
On sait encore que c’est la même rhétorique qui se transforme habituellement en envolées martiales à la veille de chaque élection présidentielle, où les différents candidats pointent du doigt le même supposé ennemi extérieur qui serait une menace à la sécurité des Etats-Unis, si bien que cette cible commune finisse par devenir la pièce maîtresse ou le principal thème de la campagne.
(A suivre)
(1) Le royaume Inmuden, nommé par les romains la Numidie pour désigner ce puissant royaume berbère qui couvrait un vaste territoire s’étendant sur les plus grandes parties des pays du grand Maghreb d’aujourd’hui, était constitué de farouches tribus guerrières dont l’ensemble s’appelait les numides ou Inumiden en berbère qui se prononce sans doute In’maden comme le nom d’une tribu de chez nous dans la région de Néma
(2) Bilan de la pandémie aux Etats-Unis, à ce jour : près de 2 000 000 de cas et plus de 100 000 morts. Le record mondial.