Mémoires de Mederdra (suite) /Par Brahim Ould Ahmed Ould Memady

20 November, 2014 - 01:51

Chapitre 2

Décor original

Avant l’avancée exponentielle du désert et ses corollaires climatiques, l’éparse était un nid géant  qui s’était blotti parmi une grande forêt d’acacias, au sommet d’une dune de sable immaculé. C’était un petit paradis sur terre où régnait une convivialité unique en son genre. C’était une bourgade sans aspérités où il faisait très bon vivre…

Toutes les saisons de l’année y étaient jalonnées d’activités spécifiques à chaque époque (jeux divers, rencontres, mariages, cérémonies festives… etc.)

Les vacances y étaient l’occasion des grandes retrouvailles, en période estivale, étant stimulante.

L’hivernage à S’sangue avait un cachet distinctif que portaient deux calamités agaçantes :

- « el mirre » ou la chenille de l’acacia.

- « el varciye » ou la coccinelle, en deux variétés, la noire de l’acacia et la zébrée de l’herbe.

El mirre est une sorte de mille-pattes couvert d’un duvet brun qui irritait la peau au simple contact et aussitôt on se grattait, on se frottait jusqu’à perdre l’épiderme et saigner. Cependant que l’environnement, très humide, n’arrangeait pas la cicatrisation des plaies.

El varciye, la noire est accessoire à l’acacia comme el mirre, mais elle est plus abondante que la zébrée qui est « éternellement à la recherche de son mari », selon l’anecdote populaire.

Ces insectes éjectaient une sécrétion qui provoquaient des brûlures cutanées qui enflaient et se remplissaient d’eau.

Généralement le cou et les membres extérieurs étaient les plus exposés aux dégats de ces bestioles. Très rares, en cette période, étaient les personnes qui n’en portaient pas les marques.

Il y avait aussi « le chameau de l’ogresse », la libellule verte, mais heureusement, elle faisait plus de peur que de mal.

Cette saison d’abondance en tout, justifiait la forme convexe des toits des premières maisons de l’éparse. Leur plafond était en V renversé, couvert de tuiles rouges ou de tôles en zinc.

C’était pour faciliter l’écoulement des eaux de pluies qui furent surabondantes jusqu’à la fin des années soixante. Certaines de ces habitations avaient bravement défié les intempéries et les âges et, elles tiennent et persistent malgré leur chape noircie mais intacte.

Entre cette saison et l’hiver, il y a une période de soudure appelée « TEOUDJI » quand l’herbe passait du vert foncé au jaunâtre, où le jour devenait assez chaud et sec, et quand la nuit générait son froid incisif. Lorsque le lait prenait son goût concentré et suave et que la viande devenait moins molle et plus succulente. Et, précisément quand les femmes, par groupe, organisaient chacune son tour, du banquet quotidien (wengale) qui se terminait chaque soir, dans une fête qui trainait jusqu’au crépuscule. Enfin, quand les hommes sortaient le soir, hors de la ville, sur les dunes de sable, déguster leur « moucharia » (méchoui du sable) cuit au feu de bois.

C’était ainsi la période du gavage afin de s’engraisser un peu avant le grand froid que Teoudji précède toujours.

Evidement, c’était aussi la saison agréable et attrayante à Méderdra, par ses activités intenses et essentiellement localisées en périphérie…

A la Médina, de nuit chez ehel Leeboud, on jouait aux cartes jusqu’au matin. Les ponctuels du centre étaient el Hassen Ould Leeboud, Yeoube, Khallih Ould Maouloud, Sid’Ahmed Ould Evelouat, Mohamedou Dieng, Bah Ould Boyah, Aminata la jeune sœur de la belle, gentille, éduquée et très intelligente  feue Soukeina Thiam.

Toujours de nuit, au centre-ville, un concert folklorique (heoul), de temps à temps, offert au public chez l’une des familles Meidah ou Manou, ou par le Rossignol de l’Iguidi (Neeme), s’il était de passage. Sinon quelques rares promeneurs et d’autres retardataires qui déambulaient ça et là, le long des ruelles étroites et sombres qui se terminaient, le plus souvent en cul de sac.

Un peu plus loin à l’ouest du côté de Raihanat, Zeidane avec sa voix tremblotante et lointaine, animait très souvent son medh, tantôt chez Boinine ou ehel Egme, ou ehel Brahim el Medelchi ou chez mint Bennatt l’épouse de Alioune Gatt le coupeur des langues. Celles, bien sûr, des vaches qui saccageaient son champ de pastèques et de haricots, situé à l’ouest d’ehel Amar ould Amar ould Ely.

Quant au quartier malgache, le plus souvent, la nuit était pour le tout repos mérité des artisans et artistes.

C’était bien au gueoud, la grande vallée, que l’activité nocturne était intense et soutenue. Du fait que la paysannerie y était en puissance. C’était là aussi le fief de « Aghbeyit », le plus populaire chanteur des louanges du prophète Mohamed (PSL). Il tenait ses séances électrisées chez ehel Bedioura au nord ou ehel Aboud ou ehel Choueikhoum au flanc de la dune tantôt chez Vatme mint Jiddou l’alouette de l’Iguidi ou ehel Meyouk ou M’boirick ou lemcheibe ou ehel Mbareck Chelhi plus au sud ou chez Teffolly dont la fille unique Marietou mint Yargue fut incontestablement la plus belle fille de l’époque ! Elle était parfaitement au sommet de la féminité et portait de gros yeux écarquillés et angéliques. Son sourire lacté et très éclatant était d’une splendeur, d’une magnificence qui lui étaient exclusivement propres !

La mère Teffolly appartenait à un groupe de vieilles femmes dénommées (leezeb) les ‘’vierges’’. Par ironie, elles prétendaient être toujours intactes et interdisaient à quiconque de prononcer le mot ‘’vieille’’ ou même son synonyme en leur vis-à-vis. Le contrevenant risquait alors un violent (lile m’mah echrah… echrah… el bechir …. !....) et, seul Egme aux mains qui sentaient mauvais, savait exactement de quoi il s’agissait.

Le vieux pasteur Khaine était un noctambule assidu et persévérant. A partir de minuit, après avoir terminé la traite de ses chèvres qui étaient bien grasses en toutes saisons, il prenait un sceau métallique sur lequel il tapait en louant le prophète (PSL) jusqu’au matin.

A la différence des autres adeptes de ces louanges qui eux, chantaient en troupes et par grand tapage, le vieux berger lui, le faisait en solitaire, tel un jouet électrique.

A l’époque, quand je l’entendais de loin, du côté de Sakraniye, à travers les ténèbres, mon imaginaire d’enfant, me donnait à croire que le pasteur répétait en chantant : « deux… ici…., une là bas…, deux… ici…, une là bas… ! » Et ça allait parfaitement avec la cadence des coups qu’il exerçait sur son récipient.

En remontant la pente vers le centre-ville au niveau d’Aminetou Mint Taleb Jeddou et Vatimetou Mint Didi, là à côté, les émanations d’un air bizarre dont les bribes étaient amplifiées par la nuit brumeuse. C’était chaque soir, Oureizig le sot au bas atrophié qui cajolait son neveu, nouveau-né : « ya toumbatlass… ya… toumbatlass… kanett jille… ouâdet taghtass… nekhteirak ânn… margenn m’lanem nel ham… !!! »

Juste à l’est d’Aminetou, la vieille Khary à l’arbre mirobolant géant. Comme Khaine, la vieille avait elle aussi un faible pour les chèvres. Les siennes étaient à peine une dizaine. Elles étaient très grasses et mieux gavées que Semete, l’enfant unique… A la différence de celles du pasteur les bêtes de Khary n’étaient pas totalement bêtes, elles savaient bien écouter et obéir à la lettre, mais à leur maîtresse et  seule ! Laquelle passait le plus clair de son temps à leur parler pendant que les chèvres l’écoutaient sagement.

Les activités diurnes à l’éparse avaient des pôles invariables et se localisaient presque toutes au centre-ville et au niveau des puits pour les corvées d’eau quotidiennes. Tous les commerces, tous les transports et tous les va et vient, tout était focalisé sur la rue principale qui traverse le village d’ouest en est vers le gueoud. La parallèle nord est en seconde importance puisqu’elle mène au marché de viande, au dispensaire, à la mosquée, à l’artisanat pour « bollent » à la préfecture.

A partir de seize heures quelques groupes d’hommes se formaient au tour de « dhamet » le damier traditionnel et du jeu des cartes à l’ombre des arbres qui étaient devant les boutiques d’Ahmed Lemine et el Houssein Ould Bilal Diouly. Un deuxième grand cercle pour le même « srand » se tenait à l’ombre du bâtiment inachevé d’ehel Yargueit, en face d’Aminetou mint Yargue. Le deuxième grand centre des cartes était chez Madjiké Faye, juste derrière ehel Brahim Khlil.

De l’autre côté, rue centrale, les dockers, tels des vautours, commençaient à se regrouper à l’ombre de la maison de Alioune ould Sabar, en face de la boutique d’Ivekou Ould Brahim Vall. C’était là où, chaque soir, ils attendaient les camions venant de Rosso pour en décharger les cargaisons de marchandises. En ordre de bataille ces porte-faix étaient le grand chef Labory (Boyah le moqueur), Diabel le diplomate rusé, Baeden Maje le gaillard calme, Meinih la brute, Mbeirick des quatre quintaux non façonnés, Mohamed Ould Ely le vieux serein… etc.

S’sangue avait aussi ses deux « gentlemans », crâneurs, d’une galanterie irrésistible, tout le temps ensemble et tirés à quatre épingles !

Ils étaient les seuls anglophones de l’Iguidi mais ne parlaient l’anglais qu’exclusivement et strictement à Boutoumbtaye et là, personne ne savait même pas le sens du mot anglais ! Au même titre que Sidine et Elemine Vall !!! Aussi, nos deux patrons ne fumaient que les craven ‘A’, cigarettes blondes qui étaient en vogue et coûtaient assez cher pour un secrétaire et un garçon de salle ! Double Rhum et Face balafrée, il ne leur manquait alors qui Miki le ranger du Névada…

A la différence du modeste feu Baye Diop qui fumait ces mêmes cigarettes mais, en homme pieux, poli, correct, généreux et très patient. Surtout que personne n’a jamais vu Baye en colère, jamais ! Quand à nous autres de la marmaille nous fumions tout ce qui nous tombait sous la main, à commencer par les mégots, les camélias, vikings,  bastos, vençador, lucky strick, la pipe et tout, mais, à la dérobée !

D’ailleurs, une fille du village portait le nom Bastos, elle n’avait jamais fumé mais, c’était le patriarche Mantalla qui le lui avait donné.

La mèche de camélias portait quatre mots tout au bout, écrits en italique et dans l’ordre : Bertomeu Camélia Sport Dakar. Une fois consommée jusqu’à Dakar, gare aux doigts et aux lèvres ! Il fallait donc jeter le mégot et c’était bien la part de la marmaille !

Les craven ‘A’ avaient une vertu qu’avait découverte une autre blonde méderdoise la très belle feue Haje mint Sid’Ahmed ould Sidi Moile. Le voile ou turban en guinée (n’meiratt) humecté à l’eau de Cologne puis encensé à la fumée des cigarettes craven ‘A’, ça donnait une odeur subjuguante, intime et stimulante. Une vraie spécialité du paradis où, c’est certain, réside actuellement, la finesse féminine de l’angélique Haje…

 

 

(à suivre)