C’est de Bamako que j’ai eu l’idée d’envoyer une lettre à mon pays. La Mauritanie en est effectivement le destinataire. Ni les uns, ni les autres. Pas même le gouvernement. Ni le Président. Il n’est même pas en Mauritanie. De l’Australie, il a décidé d’aller raccommoder les calebasses des autres. Là-bas, au Burkina Faso. Un peuple qui a donné une belle leçon, aux peuples d’Afrique. Et des militaires qui en ont donné une plus belle, aux militaires africains. Une très belle leçon d’un lieutenant-colonel d’origine dont doivent s’inspirer ces généraux de pacotille et ces vieillards têtus. Bref, je préfère parler directement à la Mauritanie. Dans son ensemble. Dans sa diversité. Dans son intégrité. Mais avant cela, je voudrais quand même vous rapporter cette toute fraîche anecdote qui n’a peut-être rien à voir avec mes propos. Lundi 17 novembre 2014, aux environs de huit heures vingt-cinq, je débarquai à l’aéroport international de Bamako Senou. Les contrôles d’usage sont renforcés par un poste de santé, à cause du virus Ebola qui vient de se déclarer dans le pays. Et comme, par imprudence, je n’avais pas prévu mon carnet de vaccination, j’ai été sollicité, par une dame, à passer dans une petite chambre voisine. Une fois dedans, la bonne dame ne me demande pas autre chose que de lui donner de quoi acheter son petit déjeuner. Clair que je ne suis pas allé loin. Un grand sage disait qu’il avait goûté à tous les délices, mais jamais à plus délicieux que la paix ; goûté à toutes les amertumes mais jamais plus amer que le besoin des autres. Or, ce qui se passe aujourd’hui, en Mauritanie, et ce qui se dit ne sert ni la paix ni l’indépendance. Les mises en scène officielles qu’orchestrent les responsables officiels, pour justifier des agissements dangereux qui enfreignent les fondamentaux constitutionnels, et les confrontations de mauvais goût qui ravagent les écrans et les ondes des médias publics et privés constituent les véritables ingrédients d’une implosion sociale dont les conséquences dépassent les petits calculs d’une junte à la solde de l’inconscience et de l’irresponsabilité. Ce n’est pas pour rien que toutes les interdictions, depuis cinq à six ans, ont été bravées. Réfléchissez bien, rien n’a été épargné. Pas un jour qu’on entende une incongruité qui défie l’entendement. Pas que les affaires de mœurs ou de crime. Cela se raconte sans gêne. Mais, ce dont je parle, ce sont les attitudes et les comportements de toutes provenances qui menacent les fondements-mêmes de la Nation ; ou du pays, pour être plus précis. Et sans que cela n’émeuve personne, côté cour, ni n’interpelle quiconque, côté jardin. C’est comme si la Mauritanie allait très bien. Et, surtout, ne me parlez pas de ces discours officiels, prononcés à tout va pour dire que tout, depuis exactement six ans et trois mois, marche à merveille. Moi, je veux la vérité. Pas le mensonge. Ni l’hypocrisie. Pas l’exagération démagogique de l’opposition. Et, moins encore, la satisfaction, feinte et déplacée, de la majorité. Quand, dans un pays comme la Mauritanie, les communautés s’insultent et se menacent publiquement, sans que l’Etat ne puisse rien faire, c’est qu’il y a problème. Quand, dans un pays, les médias servent de catalyseur, aux exacerbations sociales, et de tribunes offertes gracieusement, aux nageurs en eaux troubles, pour faire passer toutes sortes d’insanités et d’appel à l’intolérance, c’est qu’il y a problème. Quand, dans un pays, les fondamentaux de la bienséance et des libertés les plus élémentaires sont bafoués, sans aucune forme de procès, c’est qu’il y a problème. Au lieu de poser les véritables problèmes dont souffrent la Mauritanie, certains aventuriers de tout bord, le système et ses thuriféraires, préfèrent se cacher derrière leur petit doigt, à travers un cinéma de mauvais goût, sur la base du déni, de la malhonnêteté et du négationnisme. Face aux vrais problèmes, il n’y a que les fausses solutions qui ne mènent à rien. Les Wolofs disent, à juste titre, que la course sur le plafond se termine forcément quelque part. Ce que les Mauritaniens racontent aujourd’hui n’est que conjectures, face aux véritables défis qui menacent de nous balayer tous. Sans distinction. Puisque, quand rien ne va plus – qu’à Allah ne plaise ! – les petites différences de façade ne valent rien. Quand il n’y aura plus que les yeux pour pleurer, ce sera trop tard. Il ne sert à rien de se rejeter les responsabilités. Autant prendre les siennes, pendant qu’il est encore temps. Les plus grandes reviennent, incontestablement, aux plus hautes autorités nationales. Rien ne prémunit la Mauritanie contre les débordements. La goutte qui fait déverser le vase prévient rarement. Il est temps que la raison triomphe de la passion et qu’enfin, les gouvernants africains se résolvent à écouter leurs populations. En cela, les propos d’un Burkinabé euphorique, après la fuite du président Compaoré, sont éloquents : « Le peuple a toujours raison ». Qu’Allah Bénisse la Mauritanie ! Amine.
Sneïba El Kory