Accusé de tous les maux : Haro sur Aziz !

14 May, 2020 - 01:24

L'ex-président de la République Mohamed ould Abdel Aziz est l'objet de tirs croisés depuis son départ du pouvoir en Juillet dernier. Haro sur l'ancien homme fort qui dirigea le pays pendant près de onze ans ! Il était puissant et surtout à ce point craint que beaucoup de hauts responsables tentèrent de tordre le coup à notre Constitution pour lui octroyer un troisième mandat. Même des avocats ruèrent en vain dans les brancards. C'était sans  compter sur la détermination de l'armée mauritanienne, semble-t-il, et de l'ex-patron de celle-ci, Ould Ghazwani. Le baroud d'honneur de certains députés qui tentèrent, à quelques mois de la fin de son mandat, de l'" obliger " à rester -" Nous ne te lâchons pas ! "entendait on lors de sa dernière tournée à l'intérieur du pays - n'y put rien faire. Contraint et forcé, Ould Abdel Aziz jette l'éponge et abandonne le pouvoir, avec l'espoir, croient savoir certains observateurs, d'y revenir. L'épisode du contrôle de l'UPR viendra porter un coup de grâce à ses ambitions.

Et depuis son départ du Palais, c'est donc la levée de boucliers contre sa personne. Un véritable lynchage même : les coups pleuvent de partout. D'abord des responsables du parti qu'il fonda en 2009 et des élus de celui-ci qui choisissent de lui préférer le nouveau dirigeant du pays : "Ghazwani sera la seule référence de l'UPR ! ", clament-ils. La messe sera dite lors du congrès ordinaire du parti, les 28 et 29 Décembre 2019. Aziz entame alors sa descente aux enfers. Il est même accusé d'avoir tenté un coup, le 28 Novembre, contre son ami et successeur, via le bataillon de la sécurité présidentielle. Le voici bientôt chargé de tous les maux dont ceux de s'être enrichi sur le dos du peuple mauritanien et d'avoir bradé une bonne partie de ses ressources.  Comble de l'ironie, c'est le même UPR qui décide d'accéder à la requête de l'opposition réclamant la mise en place d'une commission d'enquête sur ses dix ans de pouvoir. Elle en est désormais à éplucher une dizaine de dossiers très compromettants sur lesquels l'homme serait même convoqué pour témoigner.

En attendant, les tirs croisés continuent à s'abattre sur celui que tout le monde craignait et devant lequel ministres et autres hauts responsables tremblaient. À l'instar de l'UPR, tous ceux convoqués devant la commission d'enquête se déchargent sur lui, déclarant n'avoir été informés de rien, qu'il décidait seul. De simples exécutants, donc, espérant qu'un tel argument les sauve de toute accusation de " complicité ". Position ô combien révélatrice de l'irresponsabilité de nos responsables... Aucun d'entre eux n'osa portant lever le petit doigt pour alerter l'opinion sur la gabegie aujourd'hui sur la sellette ou tout simplement démissionner. " Entre fermer sa gueule ou partir ", comme disait Mitterrand à l'adresse de certains ministres, ils ont choisi le premier. S'aplatir, voilà tout !

 

Seul responsable ?

Le seul qui l'aura épargné est l'ancien directeur général de la SOMELEC, un de ses fidèles parmi les fidèles. L'homme a blanchi l'ex-Président, en déclarant à la commission d'enquête que les marchés de l'énergie sont décidés et ordonnés par l'actuel ministre du Pétrole, un des " fils d'Aziz ". Car, bien évidemment, Ould Abdel Aziz n'est pas le seul à s'être " sucré " sur le dos du pays. Son règne de plus de dix ans a permis à certains de sortir de la misère et de l'oubli ; ils se sont bâtis d'immenses fortunes, construit des châteaux que leur seul salaire et autres avantages ne peuvent justifier. Allez voir les bâtisses qui ont poussé à Tevragh Zeïna, surtout au quartier Soukouk. Allez visiter les bourses de grosses cylindrées dernier cri qui occupent les trottoirs de ce quartier huppé de Nouakchott. Vous remarquerez, en certaines de ses avenues, ces luxueuses voitures  à bord desquelles se pavanent belles dames, jeunes filles et garçons. Si l'on veut du sérieux, Ould Abdel Aziz  ne peut pas être l'unique suspect de détournement de deniers publics. C'est tout un " beau " monde qui a goûté à la mangeoire. Certes, on peut supposer qu'en tant que premier responsable du pays, il a laissé faire et que certains ont profité de sa proximité pour abuser. Ils doivent donc tous répondre devant la CEP et, éventuellement, la justice. Tous ceux cités dans les dix dossiers devraient au moins, pour prouver leur bonne foi et leur honnêteté, abandonner les charges qu'ils occupent aujourd'hui. À défaut, se voir " remerciés " par le président Ghazwani, encombrantes casseroles aux basques de sa gouvernance. Il en traîne déjà trop, avec sa stratégie de recyclage de zombies. Et tout doit se faire sans amalgame. Sans salir ceux des hauts  responsables, peut-être rares, qui se sont acquittés honnêtement de leur charge sous son règne et mériteraient plutôt des médailles pour avoir résisté à tant de tentations ! D'autres, comme Cheikh ould Baya, eurent l'audace de s'opposer à l'accord aujourd'hui tant décrié avec Polyhone Dong - il convient de le rappeler - tandis qu'un ministre se hâtait de signer celui-ci, quasiment sans en connaître le contenu des articles.

Le lynchage d'Ould Abdel Aziz s'accentue depuis quelques semaines. On l'accuse jusqu'à avoir fraudé sur l'électricité. Honte suprême pour un ex-président de la République qui ne manqua jamais de rien en ses onze années de règne. Des fac-similés sont balancés sur les réseaux sociaux et dans la presse pour confondre l'ancien homme fort de Nouakchott. Fut-il vraiment au courant de ces combines frauduleuses sur le courant ? Une telle bassesse chez un président de la République reste tout de même plus qu'incompréhensible : incroyablement grotesque.

Et comme si cela ne suffisait pas, il pourrait être convoqué par la commission d'enquête. S'il répond présent, il devra se prêter aux questions de députés qu'il connaît bien pour les avoir naguère fait embastiller. Un autre affront. S'il refuse de répondre à la convocation, la commission userait-elle de la force, comme le suggèrent certains de la majorité présidentielle ? Wait and see !

 

Obligation de résultats

C'est dire que les recommandations de la CEP sont très attendues. Elles devront être pertinentes et convaincantes, faute de quoi elles porteraient un coup sérieux à l'image du nouveau pouvoir qui a respecté le principe de la séparation des pouvoirs, en ne bloquant pas la mise en place de ladite commission. Les faits reprochés à l'ex-Président s'accumulent et sont étalés de jour en jour. Forte de très nombreux témoins à charge, la commission dispose de moyens pour accomplir sa mission. Une fois formulées - a priori, dans deux mois - ses recommandations seront débattues lors d'une plénière de  l'Assemblée nationale puis transmises au ministère de la Justice qui aurait obligation, avancent diverses sources, de faire déclencher, par le Parquet, une enquête de la police des crimes économiques. Le chemin est encore long… et le COVID sera passé par là.

Dalay Lam