Le Calame : Le ministère de la Santé a déclaré, il y a quelques jours, que la Mauritanie compte 0 cas de COVID-19. Comment avez-vous accueilli cette déclaration ? Et quelle évaluation vous faites du combat que le pays continue, à livrer contre cette pandémie?
Kadiata Malick Diallo: Permettez-moi, avant de répondre à vos questions, de vous remercier pour m’avoir offert l’occasion de m’exprimer dans les colonnes de votre grand journal, à un moment crucial de l’histoire de notre pays où la pandémie du COVID-19 perturbe le monde entier. J’en profite en même temps pour souhaiter un bon Ramadan à notre peuple et à tous les musulmans.
L'annonce de 0 cas de COVID-19 par nos autorités nationales a bien provoqué chez moi, comme certainement chez tous les Mauritaniens, un grand soulagement car cette pandémie suscite une très grande frayeur. On voit les ravages qu'elle a déjà produits dans le monde et on imagine les conséquences désastreuses qu'elle pourrait engendrer (pertes en vies humaines et récession économique …)
On peut valablement se féliciter de la situation au plan sanitaire, considérer que les mesures prises ont produit un bon résultat et féliciter ceux qui ont la charge de cette gestion (en particulier le ministre de la Santé et tout le personnel médical). Maintenant, comme le ministre de la Santé et le président de la République l'ont déclaré, la menace est toujours là. Dire 0 cas avéré ne signifie pas 0 cas existant ; et la situation dans tous les pays qui nous entourent (Maroc, Algérie, Sénégal, Mali) connait des développements sérieux alors qu’il est pratiquement impossible d'empêcher des infiltrations à travers les frontières, quelles que soient les dispositions envisagées, cela d'autant plus qu'on refuse à des citoyens mauritaniens de rentrer chez eux, une mesure complètement injuste à mes yeux. J’espère que nous allons mettre à profit cette situation de trêve pour nous préparer à des situations plus difficiles, qu’à Dieu ne plaise, en renforçant nos infrastructures et équipements et en tirant les leçons de l'expérience des difficultés rencontrées dans les autres pays.
-Dans le cadre de cette pandémie justement, un fonds spécial a été institué pour prendre en charge, à la fois le volet sanitaire et le volet économique et social. Que pensez-vous de sa mise en place et de sa gestion ? Le parlement est-il représenté dans la commission de gestion et de suivi ?
-Au plan financier, comme vous le dites, le pouvoir a mis en place un fonds spécial pour la gestion de la pandémie. Cette décision était une nécessité car nous savons que nous étions très peu préparés, c’est le moins qu’on puisse dire, à une telle situation. Notre couverture sanitaire était largement déficitaire tant au plan structurel qu'au niveau des prestations.
Les conditions de vie des populations sont très précaires et supportent difficilement des perturbations de ce genre. Tout le monde sait que bon nombre de travailleurs, y compris une frange importante de fonctionnaires de l'Etat sont tous obligés d'entreprendre une activité supplémentaire pour joindre les deux bouts, sans parler des retraités avec leurs maigres pensions et de ceux qui vivent des petits métiers du secteur informel qui représentent 80% de notre économie, sans oublier le sous-emploi et le chômage insupportable des jeunes et les populations rurales qui vivent dans une grande misère.
L'administration, gangrenée par la corruption et le népotisme, est très peu liée aux citoyens. Elle ne dispose pas de données fiables pour identifier les différentes catégories de populations. C'est pourquoi, malgré une situation sanitaire pas du tout critique, il y a déjà de grosses difficultés à satisfaire les besoins des populations qui, pour certaines se retrouvent sans revenus parce que sans activités et pour d'autres avec des activités réduites.
La première mesure appliquée est la distribution de vivres confiée à l'armée. On entend partout des plaintes et des réclamations. Personne n'a pu comprendre sur quelles bases, certains en ont bénéficié et pas d'autres. À l'intérieur, on se plaint de la même manière.
Il y a chevauchement entre l'opération de distribution de vivres et le recensement pour identifier les familles devant bénéficier d'un appui financier régulier durant trois mois. J'ai vu aussi une autre distribution faite par le ministère de la jeunesse et de l'emploi, sans comprendre la connexion qu'il y a avec la distribution faite par l'armée ; tout ça donne une sorte de dispersion avecen plus une médiatisation que je trouve excessive.
L'autre préoccupation majeure est la gestion financière des autres aspects liés à l'achat des équipements sanitaires et à la mobilisation des services de sécurité etc. Et si, en effet, il faut aller vite, les populations ne pouvant attendre plus longtemps, on a aussi et surtout besoin d'une organisation rigoureuse et transparente.
D'un autre côté, c’est dès à présent qu'il faut réfléchir aux conséquences de la pandémie, surtout en rapport avec une crise alimentaire déjà annoncée. Actuellement, nous nous contentons de dire que nous avons des stocks de denrées suffisantes, mais s'il y a crise alimentaire mondiale, chaque pays producteur aura tendance à conserver sa production pour lui-même. Il est donc de notre intérêt de tout faire pour améliorer substantiellement notre production locale.
Vous me demandez si le Parlement est représenté dans la commission de gestion et de suivi. Je ne pense pas, compte tenu de la séparation des pouvoirs, que le parlement qui a une mission de contrôle, puisse être associé à la gestion. Par contre, les conseils municipaux devraient à mon avis être pleinement associés.
-Avez-vous l’intime conviction, quelques jours après le démarrage des opérations de distribution que ce fonds profite aux véritables nécessiteux ?
-Je crois que ceux qui ont bénéficié de cette distribution sont effectivement nécessiteux mais il y a beaucoup d'autres nécessiteux qui attendent.
-L’Assemblée nationale vient d’élargir les compétences de sa commission d’enquête parlementaire qui a entendu plusieurs responsables de l’ancien et de l’actuel pouvoir. Pensez-vous, 2 mois, après sa création qu’elle peut véritablement éclairer l’opinion nationale sur les dossiers sulfureux du régime d’Ould Abdel Aziz? En a-t- elle les moyens?
- La commission d'enquête parlementaire travaille dans une certaine discrétion. A ce stade des choses, nous autres députés, non membres de cette commission, n'avons d'informations que ce que cette commission communique à la presse. Elle ne nous a saisis que lorsqu'elle sollicitait l'autorisation d'étendre son enquête à certains domaines liés aux sujets qui lui étaient confiés. Ce qu’elle a effectivement obtenu. Elle a le devoir de mener à bien sa tâche, pour répondre aux attentes des Mauritaniens et je ne peux que croire à sa capacité de remplir sa mission, sinon je ne vois pas pourquoi elle demanderait l'extension de ses domaines d'enquête. Les moyens lui sont donnés par l'Assemblée nationale, conformément aux lois qui régissent son travail. J'ai vu que la presse a fait état d'une divergence entre la direction de l'Assemblée et la commission, mais ce sont des choses qui n'ont pas été portées à ma connaissance.
-Bientôt 9 mois que le président Ghazwani dirige la Mauritanie. Quelle évaluation vous faites de ce début de règne ? Que pensez-vous de sa position sur la problématique de l’unité nationale et du dialogue inclusif national que l’opposition réclame depuis son élection?
- L'élection de Mohamed Cheikh El Ghazouani, malgré les conditions dans lesquelles elle s’est faite, a suscité au niveau de beaucoup de Mauritaniens un espoir de changement. Passée la période de grâce, la déception a commencé à naître, car le changement attendu ne s'est pas réalisé. Il est difficile qu’il en soit autrement, car c'est le même système qui continue. Le Président, malgré son poids sur l'échiquier, ne peut que composer avec son système et dans lequel il était une pièce importante d'ailleurs.
Pour les questions relatives à l'unité nationale, c'est à mon avis, un de ses points les plus faibles. D'abord, avant d'être Président, il était le chef d'une armée qui a été nettoyée, au niveau de son commandement, de toute diversité nationale, un phénomène qui crève les yeux. Les structures scolaires et universitaires récemment créées par ce département montrent malheureusement la même image. Si on ne dit pas de manière claire que c'est une situation anormale et inacceptable, pour un pays multinational comme le nôtre, le minimum dont on peut être taxé c’est d'avoir cautionné une situation d'exclusion manifeste.
Ce qu’on reproche avant tout au président Ghazouani, c'est de n'avoir même pas accepté de dire quel diagnostic il fait de ce que tout le monde appelle unité nationale, sans savoir d'ailleurs si nous parlons de la même chose ; de nous donner sa lecture de la situation, et de nous proposer des solutions s'il considère qu'il y a problèmes. Le Président Ghazouani est en train d'avoir le même comportement que la plupart de ses prédécesseurs. Il fait comme s'il gérait une situation normale et ordinaire.
Pour ce qui est du dialogue réclamé par l'opposition, le président semble l’avoir limité à des concertations bilatérales, qui semblent suffire à certains. A mon avis, pour traiter des questions épineuses comme celles que je viens de décrire plus tôt et d'autres et d'autres encore, il faut des débats sincères bien au-delà de simples concertations occasionnelles.
Pour le moment, on peut dire que la pandémie du COVID-19 a créé un nouveau contexte qui appelle l'ensemble des acteurs à un sens de responsabilité que dicte la situation, pour faire face à la menace et tirer les bonnes leçons de ses conséquences.
-Le congrès de votre parti a été reporté à cause du COVID-19 ; il devrait plancher sur, entre autre, les dissensions apparues en son sein depuis quelque temps, lesquelles ont été accentuées surtout par la dernière présidentielle. Vous êtes aujourd’hui suspendue avec un groupe de cadres, si je ne m’abuse. Qu’attendez-vous de ce congrès ? Ne risquez-vous pas une exclusion de ce parti dont vous êtes membre fondatrice et vice-présidente? Quelles pourraient être les implications si une telle décision est prise?
-Je ne pense pas que ceux qui ont initié et préparé ce soi-disant congrès cherchent à discuter de la crise du parti, parce que ce congrès, s'il doit se tenir, ce ne sera qu'avec une des tendances. Il ne peut être que celui de la liquidation du parti et de ses idéaux. Voilà à quoi va aboutir ce congrès. J'ai entendu les principaux chefs de cette tendance dire que le parti est désormais implanté partout dans le pays. Je vous demande qu'est ce qui a bien pu se passer, entre la dernière élection présidentielle, où les électeurs ont accordé un score aussi faible à notre candidat, et le jour d'aujourd'hui, pour que les Mauritaniens s'intéressent beaucoup plus à l'UFP pour y adhérer au point de dépasser sa situation de 2012, où le parti était quand même uni et avait une bonne représentation au Parlement et dans les municipalités. En ce qui me concerne, je puis vous assurer que mes camarades et moi, opposés à la déviation de ligne et à la liquidation de l'UFP travaillons pour le succès des objectifs et des idéaux pour lesquels nous avons créé ce parti.
Propos recueillis par Dalay Lam