Confinés mais pas forcément cons finis !

9 April, 2020 - 00:42

Le resserrement du confinement, il y a dix jours, avec la fermeture des communications physiques entre les wilayas – excepté certains services de santé, police et gros commerce – a mis tout un rural devant un choix cornélien : se confiner chez lui en brousse ou dans une agglomération urbaine pourvoyeuse d’ouguiyas ? La première option aura dopé les interfaces virtuelles entre ville et campagne – notamment les « envoyez crédit » – à ceci près qu’il a manqué aux pouvoirs publics, leur manque toujours, la capacité (la volonté ? L’idée même ?) d’assurer un fonctionnement minimal de l’Internet. Aucune des trois compagnies de télécoms – Mauritel s’en révélant ordinairement la pire –ne parvient même à tenir 24/24h leur réseau des plus basiques communications téléphoniques…

La problématique centrale, obsédante, tourne autour de l’alimentation en produits frais. En temps normal et dans un rayon de quelque trois cents kilomètres autour des grands centres urbains, celle-ci est assurée à coût variable, en fonction de l’importance du va-et-vient des 4x4 transportant conjointement personnes et marchandises. C’est l’encaissement des six places « voyageurs » qui permet à chaque chauffeur de réduire notablement le prix du transport de produits frais ainsi vendus au village quasiment aux mêmes conditions qu’aux étals nouakchottois.

Si la consigne de réduire à quatre le nombre de voyageurs par voiture pose le même souci financier qu’aux taximen nouakchottois, eux-mêmes déjà confrontés au chômage forcé entre 18 et 6h, la fermeture des portes de la capitale brutalise plus durement encore la composition alimentaire quotidienne – et le budget y référant – des ruraux. Exit le poisson ? Quant aux fruits, légumes et autres poulets congelés, tout dépend de l’ingéniosité et de l’organisation des populations à trouver comment motiver suffisamment les chauffeurs sans répercussions exagérées sur le porte-monnaie des gens… ou leur santé, en déficience de celui-ci. Étonnant paradoxe, tout de même, que la lutte contre la propagation d’un virus en vienne à lui faciliter la tâche, en diminuant les défenses naturelles de ses hôtes potentiels…

 

Des réponses bien concertées

L’alternative à une telle absurdité commence par l’achalandage quotidien de tous les centres urbains secondaires, en quantité et qualité bien assurée et suivie, à l’exact prix des étals nouakchottois. Pas de bla-bla, c’est une mesure concrète minimale et impérative qui engage l’ordonnateur du confinement, c’est-à-dire l’État. Aux communautés rurales environnantes de s’organiser, en suivant, pour assurer les quotidiens allers-retours nécessaires à leur approvisionnement en produits frais. À Maata Moulana, la célèbre cité éducative du Trarza, c’est dès le matin suivant l’annonce de la fermeture des accès à Nouakchott que la jama’a s’est consultée en ce sens. Puissamment aidée par son organisation interne – huit associations de quartiers, sept de rangs d’âge et de genre, réunions hebdomadaires… – elle n’a guère mis de temps à trouver la parade : acheminement depuis Nouakchott, tous les trois quatre jours, d’un camion vingt tonnes de marchandises diverses ; circulation quotidienne d’un ou deux 4x4 entre Maata Moulana et Boutilimit (à 25 kms),voire Rosso (à 100 kms), avec au final des prix au détail égaux ou à peine supérieurs (30 à 50 MRO) au marché nouakchottois.

Ici comme ailleurs, c’est à l’intelligence des gens, à leur capacité à examiner lucidement ensemble, têtes froides, dans la trivialité de leur quotidien, leur situation locale, que font appel les défis du global. Sans aucun doute l’État – et les riches – devront assumer partout les incidences pécuniaires de ces problèmes sur les plus pauvres. Ils y parviendront d’autant mieux et au plus juste – car c’est bien de justice, de répartition équitable des efforts qu’il s’agit – que les collectivités locales, jusqu’à la plus humble localité du fin fond mauritanien, s’appliqueront, elles, à réaliser chez elles le meilleur de notre humanité commune. Est-il besoin de souligner qu’une telle attitude devrait être de norme en un pays comme le nôtre, si attaché aux valeurs de l’islam ?

Tawfiq Mansour