Le Calame : Dans une déclaration récente, vous avez mis en cause la gestion, par le ministère des Affaires Islamiques, du Hadj dont le quota, censé revenir aux agences de voyage qui ont déjà fait leurs preuves, est attribué à l’Union du patronat. Comment est-ce possible ?
Mohamed Lemine ould El Alem : Tout d’abord, je remercie Le Calame de l’opportunité qu’il m’offre. Notant avec satisfaction la pertinence de sa ligne éditoriale, je le félicite aussi pour le sacrifice qu’il a consenti, cette dernière décennie, pour porter haut l’étendard de la liberté de la presse et la défense sans faille des causes justes. Quant à votre question, je voudrais faire la part des choses : le Hadj est le cinquième pilier de l’Islam et Allah Le Tout-Puissant en a rendu obligatoire l’accomplissement une seule fois dans la vie du Musulman, pour peu que celui-ci en ait la capacité matérielle et physique.
En tant que pratique, c’est une opération touristique religieuse et vous remarquerez que la désignation du Ministère des Affaires Islamiques et de l’Enseignement Originel n’inclut pas le mot Hadj. Car celui-ci concerne plusieurs départements de l’État, ledit ministère ne s’occupe que du rituel. Sept autres départements sont ainsi concernés : les Transports (location des avions, émissions des billets, assistance en escale, etc.) ; le Tourisme (location des hôtels et transports terrestres aux lieux saints) ; les Affaires étrangères (visas et conditions y afférentes) ; les Finances (transferts de devises, contrôle douanier) ; l’Intérieur (passeports, sécurité) ; la Santé (vaccins et conditions d’aptitude) et la Communication (couverture de l’opération Hadj en Mauritanie et sur les lieux saints).
C’est pourquoi le Hadj fut géré, de la naissance de la Mauritanie à 2008, par une haute commission interministérielle présidée par un conseiller du président de la République. Chacun y jouait sa partie et les choses marchaient convenablement. La fondation d’une Direction chargée du Hadj au sein du Ministère des Affaires Islamiques fut une très grande erreur. D’autant plus grave que les autorités saoudiennes ont autorisé, à partir de 2005, le secteur privé à organiser le Hadj, via les agences de voyages et autres organisations. C’est dans ce cadre que fut mise en place une commission tripartite (Ministère des Affaires Islamiques, Ministère de Tourisme et secteur privé) pour organiser l’appel d’offres relatif à la part du secteur privé dans le Hadj, suivant des critères objectifs. Rappelons ici que le secteur privé concerné par le Hadj est composé de l’Organisation Nationale du Patronat Mauritanien (ONPM), de la Confédération Nationale du Patronat Mauritanien (CNPM), plus connue sous le nom d’UNPM, et d’indépendants n’appartenant à aucune des deux structures.
Mais en 2018 et contre toute légalité, l’appel d’offre du Hadj relatif au secteur privé fut concédé gré à gré à l’UNPM, excluant ainsi l’ONPM et les indépendants. Nous avons espéré qu’avec le nouveau président de la République, son Excellence monsieur Mohamed ould Cheikh El Ghazwani (sur lequel nous comptons tous pour incarner l’État de droit) et son gouvernement, la justice serait rétablie. Hélas, rien n’a été encore accompli en ce sens et le Ministère des Affaires Islamiques a de nouveau illégalement transféré, pour cette année 2020, tout le quota du Hadj à l’UNPM.
Cette décision est contraire aux procédures et règlements en vigueur pour l’attribution des marchés publics car l’UNPM n’est pas une commission de marchés et n’est donc pas habilitée à organiser ce genre de consultations. Elle n’est pas non plus la seule organisation patronale. L’exclusion de sa consœur, l’ONPM, et des indépendants n’est pas plus tolérable. Pourquoi toutes les agences non-affiliées à l’UNPM devraient-elles être spoliées de leur droit ? Si celui-ci est inaliénable, adhérer à une organisation syndicale est un choix personnel.
- Vous venez de démissionner de la fédération de Tourisme. Peut-on savoir ce qui a motivé une telle décision ? Serait-elle liée à cette affaire du Hadj ?
- J’ai effectivement démissionné de la Fédération de Tourisme de l’UNPM. Cette décision est motivée par les éléments suivants. La FT/UNPM a tout d’abord échoué à répondre à mes attentes en tant qu’adhérent. Ses structures sont inactives depuis leur mise en place. Elle pratique l’exclusion et l’injustice à l’égard de ses adhérents au profit d’un cercle très restreint de proches. Le quota du Hadj réservé au secteur privé illégalement concédé à l’UNPM depuis 2018, par le Ministère des Affaires islamiques et de l’enseignement originel, donne lieu à une opération plus que douteuse. La FT organise ainsi une tombola (tirage au sort) en direction d’agences-cartables, moyennant le paiement de 212.000 MRO par agence. Un sacré pactole pour la FT puisque la recette totale est d’environ soixante millions MRO ! Tout cela au détriment des agences expérimentées et sérieuses et, surtout, au détriment de pèlerins victimes d’arnaques par ces agences fictives, avec la complicité de la FT ! Les exemples abondent et je les tiens à disposition de qui voudra. Dernier point et non des moindres : la Fédération refuse, au mépris de la loi, de nous présenter les états financiers annuels relatifs à l’utilisation de ces fonds très importants.
- Vous venez d’être désigné président du groupement professionnel du tourisme de l’ONPM et trésorier de celle-ci dont l’union avec le CNPM avait donné lieu à la naissance de l’actuelle UNPM en 2008. L’ONPM serait-elle revenue sur sa décision de s’unir à l’UNPM et pourquoi ?
- Je rappelle qu’en Mauritanie, nous disposons de deux organisations patronales : l’ONPM et la CNPM. En 2008, les deux organisations signèrent un accord de principe en vue de s’unir mais, suite au coup d’État, cet accord fut étouffé dans l’œuf et ne s’est jamais concrétisé. Cependant, la CNPM s’est unilatéralement renommée UNPM. Je voudrais préciser ici une chose importante : l’union de deux ou plusieurs structures implique nécessairement la continuité d’existence de chacune d’elles, condition sine qua non de l’existence de l’union elle-même.
Ceci dit, j’ai effectivement rejoint l’ONPM. J’en suis aujourd’hui le trésorier et préside son groupement professionnel du tourisme. Contrairement à l’autre organisation, l’ONPM est organisée sous forme de groupements professionnels et non pas fédérations, elle en compte douze. Faut-il préciser que le rôle d’une organisation patronale est purement économique ? Elle est statutairement apolitique. Son rôle est de défendre ses adhérents et promouvoir le développement économique, en concertation avec les pouvoirs publics. Or, de l’Indépendance à nos jours, la majorité des hommes d’affaires que nous sommes a surtout compté sur le budget de l’État pour faire fortune, très souvent au détriment de l’intérêt de la Nation.
Notre organisation – l’ONPM – entretient aujourd’hui une vision complètement différente, avec des objectifs spécifiques bien cernés : produire de la valeur ajoutée, en encourageant le développement d’unités industrielles ; encourager l’investissement dans les infrastructures touristiques ; encourager la fondation de PME dans les domaines industriels et technologiques ; aider les jeunes, les femmes et les couches les plus vulnérables à entreprendre, en contribuant à lutter contre le chômage et la pauvreté. Notre conviction est que l’amélioration des conditions économiques de nos concitoyens renforce l’unité nationale et la stabilité sociale.
En conclusion, j’adresse un appel pressant au gouvernement d’être équidistant entre l’ONPM et l’UNPM et de remettre en place la commission tripartite regroupant le Ministère des Affaires Islamiques, le Ministère du Tourisme et le secteur privé (ONPM, UNPM) pour superviser l’opération Hadj des agences de voyages, sur la base de critères objectifs et transparents, et sauvegarder ainsi les intérêts des pèlerins. À tout le moins, diviser le quota du Hadj à part égale entre l’ONPM et l’UNPM, en exigeant qu’aucune agence de voyages indépendante méritante ne soit exclue. Je vous remercie.
Propos recueillis par AOC