Où va la Mauritanie ?

13 November, 2014 - 00:57

Aujourd’hui la Mauritanie  vit une situation critique qui oblige à ses filles et fils de s’interroger sérieusement sur son devenir hypothéqué par ceux qui ont pris le pays en otage. Où va la Mauritanie ?

Délétère climat, ponctué de revendications identitaires. Toutes les conditions paraissent réunies pour une bascule dans le chaos. Une situation voulue et entretenue par les autorités actuelles qui mènent le pays vers une situation incertaine. Je ne sais pas ce qu’elles vont récolter mais elles en porteront l’entière responsabilité. Constatant la cupidité sans plus de frein de ceux qui nous dirigent, les chancelleries occidentales elles-mêmes évoquent l’imminence d’un bouleversement majeur en Mauritanie. Mensonges, dénis de droit et de justice, discriminations en tout genre, marginalisation, esclavage, corruption à grande échelle ; bref, mal gouvernance généralisée ont conduit à exacerber les revendications identitaires.

La Mauritanie est à l’image de Nouakchott, sa capitale, menacée de toute part, quasiment à l’agonie. Dépotoir d’ordures à ciel ouvert, elle est devenue une des villes les plus dangereuses au monde, à l’instar de  Caracas, Medelin, Bogota, Mexico, Johannesburg ou Pretoria… Les coupures d’eau et d’électricité sont récurrentes et, avec les changements climatiques – les seuls problèmes qui ne soient pas imputables à nos dirigeants – notre capitale va disparaître d’ici peu car, non seulement, nous sommes démunis face à l’océan mais rien n’est fait pour tenter de conjurer le sort ou développer une alternative.

 

Désastre économique

Secteur de la pêche à l’agonie, SNIM dans la tourmente, à cause de la chute des cours des minerais et de la gestion calamiteuse de ses dirigeants. Divers spécialistes prédisent la fin programmée de l’âge d’or du minerai de fer, les plus optimistes tablant sur quinze ans avant une probable remontée des cours. Comme le malheur ne vient jamais seul, la Mauritanie se trouve aujourd’hui dans une situation de famine généralisée, les impondérable climatiques (pluviométrie déficitaire) se combinant, ici encore, au manque de vision des autorités. Il faut le reconnaître : la gestion d’un pays ne s’improvise pas, ce n’est pas une boutique de quartier. Aujourd’hui, le peu d’investisseurs étrangers qui avaient misé sur la Mauritanie sont en train de plier bagage, ils se sont rendus compte que notre pays n’est pas fiable en affaires. Bref, nous abordons une phase sociale, économique, politique et environnementale délicate.

A propos du climat, Jacques Chirac disait, au sommet de Durban (Afrique du Sud, 2001) : « nous regardons notre maison brûler et personne n’intervient ». Il en va de même, en Mauritanie, notamment en ce qui concerne l’injustice sociale, la mal gouvernance et l’exacerbation des revendications identitaires. Nous aussi, nous regardons notre pays filer droit vers la désintégration, sans aucune réaction, excepté le volontarisme de Messaoud ould Boulkheïr en butte à l’aveuglement de nos autorités ou, tout récemment, de l’UFP qui réclame, en quelque sorte, l’organisation d’Assises nationales. Les militaires ont tant semé la haine, entre les composantes de la société mauritanienne, que je me demande si la réconciliation est encore possible.

Ce que nos dirigeants n’ont pas compris, c’est que le déni de droit, le mensonge, l’oppression sont révolus. Aujourd’hui, plus aucune communauté n’accepte d’être soumise et corvéable à merci. Le réveil de la communauté haratine est, à cet égard, exemplaire. Ceux-ci n’accepteront plus jamais de voir une partie des leurs réduits en esclavage, pas plus que de rester éternels spectateurs de la conduite des affaires, alors que cette frange de la population pèse, démographiquement, 50 à 55% de la population mauritanienne totale. Celui qui refuse de regarder cette réalité en face, c’est lui, le séparatiste. Aujourd’hui, les Haratines s’affirment comme une communauté à part entière. Ne nous voilons pas la face : ils ont la clef de ce que sera la Mauritanie de demain.

 

Désastre social

Les autorités mauritaniennes attendent-ils que l’irréparable soit commis pour réagir, comme Ben Ali, en son temps ? Il aura fallu que la Tunisie soit à feu et à sang, pour que celui-ci lance sa fameuse phrase aux Tunisiens : « je vous ai compris » ; c’était bien trop tard, n’ouvrant qu’à la seule suite de l’exil forcé. Mais la Mauritanie n’est pas comparable à la Tunisie. Notre pays, multiethnique et majoritairement analphabète, ne peut supporter les turbulences qu’a endurées la Tunisie. Quant au désormais ex-président du Burkina, Blaise Compaoré, il vient de se rendre compte que la souveraineté appartient au peuple et de sortir par la fenêtre, en courant se réfugier en Côte d’Ivoire.

La Mauritanie va de mal en pis : le rapport des Nations Unies sur le développement humain classe notre pays à la 161ème place sur 193 ; dans celui de Doing Business, qui vient de paraître, il plonge à la 176ème place sur 189 ; quant à la 39ème place que nous accorde la fondation MO Ibrahim, il s’agit des pays… en situation de guerre. Tous les rapports des institutions internationales indépendantes sur le climat des affaires et la bonne gouvernance situent la Mauritanie dans la zone des pays en difficulté ou en conflit. Les chiffres parlent d’eux-mêmes et nous sommes, Mauritaniens, fiers de cette position.

Oui, la Mauritanie peut basculer, à tout moment, dans le chaos ; toutes les conditions sont réunies pour cela. Il nous faut, aujourd’hui, un sursaut national, pour éviter, au pays, des lendemains qui déchantent. Je lance un appel pressant, aux partis politiques républicains, de surmonter leurs divergences – si divergences il y a – et de se réunir, en urgence,avec la société civile (IRA, AMDH, FONAD, TPNM, KAWTAL, CGTM, CLTM, etc.), les personnalités indépendantes et consensuelles, pour élaborer une feuille de route, claire et audacieuse, qui permettra, à la Mauritanie, de se défaire du piège tendu par nos vaillants généraux. C’est en ce genre de situation qu’émergent les grands hommes.

Même les imams, réputés derniers remparts de ce peuple qui patauge dans la misère, sont entrés dans la danse, en participant, à Arafat, à l’expropriation des terrains appartenant à de pauvres gens. Dans quel pays vivons-nous ? Quelle religion pratiquons-nous ? Je me le demande et je ne suis pas le seul à m’interroger ainsi. L’Etat a failli à sa mission principale : la protection des plus faibles et les plus vulnérables, voilà pourquoi chacun retourne chercher un semblant de sécurité dans sa communauté d’origine. Il n’y a pas d’autres raisons aux revendications identitaires. Nous faisons semblant d’être unis mais tout le monde sait que la Mauritanie est divisée.

 

Propositions

Les partis politiques et la société civile doivent soumettre, au Président, une seule proposition : la convocation des Assises nationales ou Conférence nationale souveraine qui reflètera, fidèlement, la diversité mauritanienne. Les Mauritaniens doivent se retrouver, au plus vite, autour d’une même table, pour trouver des solutions aux maux– gestion du pays par les militaires, esclavage, passif humanitaire, marginalisation, discrimination, mal gouvernance, culte de la médiocrité, etc. – qui sont en train d’entraîner la Mauritanie vers la désintégration.

Nous disposons d’une constitution-bidon dépourvue de sens. Il fallait vraiment être des nains, intellectuellement et politiquement, pour pondre une telle nullité. Au lieu de chercher ce qui unit le peuple mauritanien, les apprentis sorciers qui l’ont élaborée sont partis fouiner dans les dédales du nationalisme chauvin, étaler tout ce qui nous divise et contenter, ainsi, les nationalistes étroits, arabes et noirs pour une fois confondus. On a écrit que la Mauritanie est une république islamique, facteur d’union pour tous les Mauritaniens. Mais plus loin, il est dit que la Mauritanie est une république arabe et africaine ! Une phrase idiote et insensée qui n’avait pas sa place dans une constitution. Comme si l’on ne pouvait être arabe et africain ou africain et arabe ! Les Mauritaniens se définissent-ils en fonction de leur couleur ?

Le problème de la Mauritanie, ce sont nos institutions. J’ai évoqué ce constat dans mes contributions précédentes. La solution réside dans l’adoption d’un régime parlementaire, avec un président doté de pouvoirs très limités, comme en Tunisie actuellement, et une décentralisation très approfondie (communes et régions) qui permettra, aux populations locales, d’être réellement acteurs de leur développement. Nous sommes très en retard, dans tous les domaines, tout reste à inventer en Mauritanie.

Je demande, à ceux qui conduisent, aujourd’hui, la destinée du peuple mauritanien, de méditer sur la situation géopolitique actuelle qui voit s’effondrer divers Etats. S’ils ne réagissent pas très vite, avec audace et intelligence, la Mauritanie risque de subir le même sort. Regardons ce qui se passe en Libye qui finira, dans le meilleur des cas, par construire un Etat fédéral –au pire, dans la plus totale désintégration – alors que la Syrie et l’Irak se trouvent dans une situation analogue et que la division du Yémen en deux Etats (sunnite et chiite) se matérialise, sous la pression armée d’une communauté chiite qui se sentait marginalisée. N’attendons pas d’en arriver là. Il vaut mieux chercher pacifiquement une entente harmonieuse entre les peuples, plutôt que l’autoritarisme déguisé que nous vivons actuellement. Le sursaut national est une urgence, sans quoi la Mauritanie va droit au mur.

 

Samba Ardo