Une montée en puissance des armées du G5 Sahel: Le véritable objectif de l’opération Barkhane

10 January, 2020 - 15:26

À la veille du sommet de Pau, l’opération Barkhane suscite une polémique quant à son efficacité. Malgré l’agressivité croissante des groupes armés terroristes depuis 2018, l’action des forces françaises demeure cohérente avec les objectifs assignés depuis 2014.

Dès l’origine, l’opération Barkhane a été pensée pour le long terme. L’élongation du théâtre d’opération de la bande sahélo-saharienne, la complexité de son peuplement et le caractère protéiforme de la menace terroriste, autant ethnique que religieux, ont impliqué la conception d’une stratégie autant destinée à neutraliser militairement la menace terroriste qu’à saper ses fondements politiques tout en visant à autonomiser l’action des États du G5 Sahel. Autant d’objectifs qui ne peuvent être atteints en quelques mois, bien loin donc du tempo médiatique. 

Le principal objectif militaire consiste à maintenir une pression opérationnelle forte sur les groupes armés terroristes. Il s’agit de les empêcher de constituer des emprises territoriales, des « sanctuaires » depuis lesquels exercer une prédation économique, un recrutement local, la facilitation de trafics en tout genre (drogue, cigarettes…) voire des visées expansionnistes. Ce fut le cas au nord du Mali en 2013, déclenchant l’opération Serval. Prenant le relais, Barkhane est dimensionnée de manière à empêcher toute résurgence de ce type de menaces, grâce au déploiement de 4500 soldats, 600 véhicules dont 300 blindés et une quarantaine d’aéronefs de tous types sur un théâtre d’opération de la taille de l’Europe. Cet effectif a déjà augmenté d’un tiers depuis 2014. 

 

Montée en puissance du G5 Sahel

Au prix de 120 opérations de combat et de la mobilisation permanente des services de renseignement, l’armée française est parvenue à empêcher les groupes terroristes de se substituer progressivement

 aux États du G5 Sahel tout en neutralisant près de 700 combattants et en saisissant de nombreux stocks de munitions, de matériel, de produits de contrebande et de véhicules. Certes, la menace s’est intensifiée depuis 2018, accentuant la pression sur les forces françaises et les populations du G5 Sahel, mais la raison ne tient pas tant dans les difficultés de Barkhane que dans l’évolution des effectifs et des modes opératoires des groupes armés terroristes. Ces derniers, renforcés par des combattants venus de Syrie et expérimentés en combat de moyenne intensité, peuvent mener des opérations plus complexes et massives aboutissant aux récentes pertes des armées malienne, burkinabée et nigérienne. Il ne s’agit pas pour autant d’un basculement de rapport de force et si ces pertes ont pu sembler élevées ces derniers mois, elles ne constituent ni une déroute, ni une perte de contrôle. 

En revanche, si l’armée française permet de conserver la maîtrise du terrain, elle n’est pas appelée à y demeurer indéfiniment et contribue à la montée en puissance des armées du G5 Sahel. À terme, elles devront être parfaitement équipées et interopérables afin de poursuivre la lutte de manière autonome. Les difficultés éprouvées dans le domaine ne doivent pas masquer les 11 700 soldats des armées du G5 Sahel formés avec succès, comme en témoignent les récentes opérations conjointes franco-maliennes menées dans le Liptako-Gourma ayant conduit à l’élimination de plusieurs dizaines de djihadistes. Un travail important reste à fournir mais la situation est sans commune mesure avec la déroute des forces armées maliennes en 2013. 

 

Exemple mauritanien

Par ailleurs, les excellents résultats des armées tchadienne et mauritanienne laissent espérer des progrès pour l’ensemble du G5 Sahel. Ayant très tôt compris l’importance de la formation de leurs cadres et l’entraînement de leurs hommes, les forces mauritaniennes font en effet figure d’exemple, notamment dans le cadre de partenariats avec la France. Par ailleurs la conception d’une stratégie bien définie de contre-guérilla et des doctrines d’emploi des forces en découlant, ont facilité l’intégration de capacités aéroterrestres modernes et très résilientes, qui permettent de surclasser tactiquement les groupes terroristes. Adossée à un budget volontaire, le plus important du G5 Sahel en valeur relative (3% du PIB), les forces mauritaniennes sont devenues en quelques années les plus efficaces de la bande sahélo-saharienne. 

Si le tissu socio-politique des pays du G5 Sahel reste à consolider, notamment au Mali et au Burkina Faso, la présence française permet de temporiser la menace et constitue un préalable à leur autonomisation militaire. Si les attentats terroristes ciblant des civils contribuent à noircir le tableau, l’augmentation des capacités de gouvernance et d'aménagement des territoires permettront là-aussi de se libérer de l’emprise djihadiste qui contribue à fournir des effectifs locaux aux diverses katibas. C’est là aussi l’une des clés de la stratégie des forces françaises de Barkhane qui ont participé à huit projets d’adduction d’eau, cinq projets d’agropastoralisme et trois projets d’infrastructures (ponts, bacs, routes…) rien qu’en 2018.

Pierre d’Herbès

Consultant en affaires publiques et ancien de l’École de Guerre Économique