Le 28 Novembre, moment idéal pour préparer une réconciliation durable dans l’honneur, pour une fraternité dans l’Islam et la promotion d’une justice pour tous (1)

11 December, 2019 - 21:29

La Mauritanie aura 60 ans dans un an : c’est l’âge de la maturité et du passage de témoin. Il serait souhaitable que ce soit aussi l’année de la Réconciliation nationale, à préparer toute l’année sans précipitation ni passion mais avec ouverture d’esprit, tolérance et  équité. Ni l’État mauritanien ni ses institutions ne peuvent être tenus responsables de toutes les fractures sociales passées et actuelles. Plusieurs raisons à cela : l’esclavage et ses séquelles existaient avant l'indépendance de la Mauritanie ; les évènements des années soixante et soixante-dix furent liés à des questions d’enseignement et de politique internationale ; ceux de 89 se déroulèrent sur deux territoires : le Sénégal et la Mauritanie ; et furent en grande partie l’œuvre de citoyens des deux pays. Nous ne pouvons oublier qu'il  y eut des meurtres, des viols et des exécutions extrajudiciaires de civils sur les deux rives du fleuve Sénégal. Des victimes militaires furent aussi à déplorer, une situation difficile et inconcevable pour des frères d'armes qui accomplirent, ensemble pour certains, la guerre du Sahara. Mais il faudra faire preuve d’assez de tolérance pour éviter tout amalgame entre individus et institution. La situation sécuritaire du pays depuis 1975 ne doit pas nous faire oublier que l’armée est la seule garante de notre sécurité, voire de notre existence même en tant que nation. Pour préserver celle-ci et notre identité, nous ne pouvons qu'œuvrer afin que l’institution continue à assurer sa mission. Car, sans sécurité, il n’y a pas de paix et sans paix, point de développement. Mais, pour que la réconciliation et le pardon perdurent, des choses doivent changer.

 

Honneur pour chacun, justice pour tous

Notre situation est très différente de celles malheureusement vécues par des pays comme l’Afrique du Sud, le Rwanda, la Sierra Leone, la côte d’Ivoire, les Balkans ou l’Allemagne nazie. Pour les raisons énumérées ci-dessus, il n'est plus possible de recourir à un « Tribunal International » de type Nuremberg ou TPI ; « Conférence Vérité/Réconciliation », comme en Afrique du Sud ; ou à des tribunaux « Gacaga », comme au Rwanda. Mais on se souviendra, par contre, que l’État mauritanien a déjà fait preuve, dans des cas exceptionnels,  de sagesse et autorité, en demandant l'avis de nos oulémas/imams sur des questions épineuses et celles-ci en font partie.

En ce cas précis, il peut donc mettre en place une « Commission Nationale de Réconciliation (CNR) » qui sera présidée par un de nos illustres oulémas, avec une commission représentative de ses confrères de toutes nos communautés et incluant également des leaders de celles-ci (en y ajoutant même la Diaspora, les juges, les avocats, la Société civile et les représentants des partis politiques). Cette CNR sera habilitée à étudier tous les cas liés aux séquelles de l'esclavage, aux événements de 89 au Sénégal et en Mauritanie, aux droits de l’homme, à l’accès plus équitable aux droits/ressources/emplois, au droit de tout enfant de parent mauritanien d’être inscrit à l’état-civil. Avant de travailler à proposer des solutions pour régler définitivement ces questions.

Elle pourra éventuellement mettre en place un Comité Régional de Réconciliation (CRR) en chaque wilaya et faire ainsi remonter les informations et propositions de résolution à la CNR. Ainsi les cas seront précisément classés, des solutions proposées au niveau local et transmises au niveau national. CRR et CNR peuvent agir par priorités. Pour les questions sensibles comme l’esclavage, les évènements de 89 ou les droits humains, ils pourront recueillir, avec toutes les garanties de confidentialité (secret des lieux, des personnes, des noms, utilisation de numéros de téléphone vert…), les plaintes, les témoignages, les repentirs, les suggestions de toute personne volontaire, en lui garantissant la sécurité et l’immunité.

Après huit mois dédiés aux travaux, la CNR disposera d’un trimestre supplémentaire pour  dresser un état des situations et proposer des solutions, au niveau local et national. Ainsi l'État pourra-t-il, à partir de ces travaux, organiser les assises de la Réconciliation Nationale au sein de l'Assemblée nationale et légiférer, avec l'appui des élus et de la population. La CNR continuera d'exister afin de  suivre les décisions prises et continuer à jouer sa médiation, avec un nouveau rôle de Médiateur de la République. Elle se portera garant de ce que l’honneur et la dignité de chaque citoyen, chaque famille et chaque groupe ou communauté soient préservés.

Avec cette préservation assurée, il faut également : recenser les morts et marquer leur sépulture, afin que leurs proches puissent les visiter ; dresser précisément la liste de leurs biens spoliés et accomplir de justes réparations ; rétablir l’honneur de chaque famille endeuillée, avec les excuses de la CNR pour tous les préjudices subis et l'engagement de veiller à ce que tous les orphelins accèdent à l’intégralité de leurs droits. La CNR pourra également proposer des mémoriaux : un à l’esclavage, un autre aux évènements de 89, un autre encore à la diversité culturelle et ethnique. La CNR travaillera avec l'État pour le paiement rapide des retraites et droits. Des réparations et/ou prises en charge médicales (CNAM) pourront être assurées par celui-ci sur proposition de celle-là.

 

Fraternité citoyenne accrue

Concernant la fraternité et en se basant sur les principes de l’islam (fraternité, justice, égalité, voisinage, partage), la CNR peut également préconiser des équilibres assurant à tous les citoyens les mêmes accès aux mêmes infrastructures. Pour une meilleure répartition des richesses nationales et atténuer, surtout, la question de l’accaparement de celles-ci et des terres par une ultraminorité de plus en plus dominante, la CNR travaillera à une organisation plus formalisée de la collecte et de la redistribution de la zakat, proposant ainsi les bases d'un Système Islamique de Protection Sociale.

Autre mission d’importance, il lui faudra s’employer à diminuer les aspects néfastes du communautarisme et de cette nouvelle religion qu’on appelle l’intervention ou wassata, en instituant le mérite et les compétences/capacités en seuls critères de sélection dans les concours. Les méfaits du communautarisme de domination sont le favoritisme aveugle, l’injustice et le sentiment d'impunité conforté par des réseaux d’influence, d’argent ou tribaux. Si l’on n'y prête pas une attention soutenue, ce peut être une des principales sources de conflits sociaux futurs. Pour la tarir – à tout le moins, la contenir – il est nécessaire d’encadrer le communautarisme de claires définitions des avantages sociaux que  procure la citoyenneté et l'éloigner de la wasata ou favoritisme.

Les ONG et les citoyens peuvent aussi y contribuer, en investissant dans l’accès à l’éducation des enfants pauvres en leur milieu ou voisinage (parrainer l’éducation d’un enfant d’une famille pauvre de leur propre voisinage ou communauté, par l’achat de fournitures et lampes solaires, dons d’habits, nourriture et prise en charge de ses soins médicaux…). La CNR pourra également animer, sur tout le territoire, des conférences au sujet du voisinage, bien d’autrui, droit du musulman et du citoyen,  concorde nationale et en suggérer les thèmes lors des prêches du vendredi et durant le mois saint du Ramadan. La fin de ses travaux sera sanctionnée par des « Assises de la Réconciliation Nationale » et  la diffusion d'un livre les rapportant en détails.

Ethmane BA

 

(1)  : Seconde mouture d’un texte déjà publié sur CRIDEM, il y a une quinzaine de jours.