Marché au poison de Nouakchott : Grosse colère des pêcheurs artisanaux

20 September, 2019 - 11:28

Le désengorgement des embarcations de pêche artisanale, engagé par la direction du marché aux poissons de Nouakchott, a pris une tournure inquiétante. Dans la nuit du vendredi 20 au samedi 1 21 Septembre 2019, c’est sans doute pour riposter à la publication d’un article de protestation des pêcheurs artisanaux que les autorités sont passées à la vitesse supérieure, usant de la force. Et voilà, au petit  matin, les pêcheurs choqués par un affreux spectacle de désolation : une dizaine d’embarcations (quatre grandes et six petites) ont été complètement endommagées. Des pertes considérables, en cette période de crise au sein du secteur de la pêche. Les condamnations n’ont pas manqué de fuser.

 

Rappel des faits

Les pêcheurs artisanaux ruminent une grosse colère contre la direction du marché au poisson de Nouakchott. Le directeur de cet établissement vient d’enjoindre l’ordre,  à tous les propriétaires de pirogues stationnées non loin du hangar central, d’évacuer leur matériel,  en l’espace de 72 heures. Raison invoquée, l’urgence d’un nettoyage de la plage des pêcheurs, en perspective d’une imminente visite d’une délégation de l’Union Européenne, au mois d’Octobre. La mesure suscite beaucoup de grincements de dents parmi les concernés car la plupart des propriétaires de pirogues sont absents de Nouakchott. Après avoir fêté la Tabaski dans leur village respectif et l’arrivée de l’hivernage, beaucoup y sont en effet restés, profitant, dans leur terroir, des journées culturelles et des festivités sportives.

A la plage, les grues ont cependant commencé à déplacer des embarcations, non sans conséquence. Peu ou prou préparés et, surtout, sans concertation avec les pêcheurs, les travaux sont exécutés à la hâte, par du personnel manifestement pas formés à la spécificité de cette tâche et des dégâts matériels importants sont déplorés. L’espace réservé au « rangement » des pirogues – en fait, entassées comme des ordures – prend peu à peu des allures de cimetière d’épaves. Confrontés à bien de difficultés consécutives au marasme du secteur, les propriétaires de ces embarcations auront du mal à se relever et réparer les dégâts qui se chiffrent en millions. Aussi tous les acteurs de la pêche artisanale font-ils front, exigeant l’arrêt immédiat de cette dévastation et sollicitent une concertation sérieuse avec les autorités.

« Nous ne bénéficions d’aucune assistance et n’avons aucun intérêt dans les accords entre l’Etat mauritanien et l’UE. Aucun avantage, non plus, même dans les opérations de communication ou de salubrité publique  initiées en direction des Européens ! », fulmine Yali N’Diaye, président de l’Union des coopératives Mol et propriétaire d’embarcations. « Ils pêchent  les mêmes espèces que nous, c’est une concurrence  déloyale car ils détiennent des bateaux et du matériel que nous ne pouvons avoir. Et  nous ne bénéficions d’aucun financement ni formation », constate-t-il amèrement. « Nous demandons donc la révision  de ces accords de pêche qui ne nous procurent que des inconvénients.  Il n’y a actuellement, aucun avantage  pour les pêcheurs artisanaux, c’est une injustice criante ! ».

Yali N’Diaye apprécie  la campagne de Greenpeace  contre les sociétés de mocca qui produisent de l’huile de poissons ou de farine. « Des espèces traditionnellement destinées à la consommation  de nos populations locales sont ainsi transformées », se désole-t-il, « et les dégâts environnementaux s’accumulent. Le commun des Mauritaniens se plaint de la rareté et du prix des poissons sur le marché local, alors que les usines transforment, chaque jour, des quantités énormes de poissons, pour le marché extérieur ».

 

Chapelet de doléances

Et d’égrener tout un chapelet de doléances : « Nous souhaitons que le gouvernement aide les pêcheurs artisanaux, pour faire vivre nos populations des produits de la pêche. Ils doivent bénéficier de facilités de financements, pour renouveler et moderniser leurs embarcations. Nous demandons plus de considérations : les responsables des associations de pêcheurs doivent être systématiquement consultés, avant toute mesure les concernant, et associés à sa mise en œuvre. Nous ne sommes pas contre le nettoyage de la plage mais ce doit être fait dans les règles de l’art,  avec des espaces appropriés de vrai rangement ».

Yali N’diaye soulève d’autres plaintes : « Nous nous élevons contre un nouveau phénomène, celui de la pêche à la dynamite. Des hommes d’affaires recourent à des plongeurs armés d’explosifs qui détruisent les fonds marins et pêchent de grandes quantités de poissons. C’est très grave, cela porte préjudice au renouvellement des espèces, alors que, de son côté, le monofilament continue à faire des ravages. Nous demandons à l’Etat de soutenir résolument les organisations de la pêche active, surtout lors de catastrophes imputables aux intempéries (secours d’urgence à l’aide d’hélicos ou de bateaux). Nous demandons aussi la tarification des produits de pêche destinés à l’exportation. Les mareyeurs fixent actuellement les prix à leur guise et cela désavantage les pêcheurs  artisanaux. La situation est critique. Aujourd’hui  les matelots,  les usiniers et les familles  des différents parties impliquées dans la pêche artisanale sont frappés, de plein fouet, par la crise actuelle des emplois, en déperdition constante ».

 

THIAM Mamadou