Le pouvoir politique en Mauritanie

29 August, 2019 - 01:12

Atterrissant le 15 Février 1965, à Nouakchott – pas dix mille habitants, nouvelle capitale d’une République Islamique de Mauritanie, proclamée de nom à peine plus de six ans auparavant, déclarée indépendante et souveraine depuis à peine plus de quatre ans – je décidais, presque aussitôt, que je ne pourrai rien enseigner aux élèves de toutes générations et de toutes éducations, complètement étrangers pour moi, et moi pour eux, qui leur soit étranger, et moi je pourrai alors apprendre ce qui m’est étranger : la Mauritanie donc qui commençait. Et je le ferai et le vivrai selon ma langue natale et les instruments intellectuels que me donnaient mes propres études et le legs entier de mon propre pays au moins millénaire en fonctionnement de son Etat et en unité nationale de ses habitants. J’appliquerai pour comprendre et faire comprendre, ce dont j’avais l’habitude à un objet étonnant dont je ne savais rien : la naissance d’une nation, l’établissement de son Etat, la transformation d’une vie collective en une vie politique moderne.

Au moment où s’offre à la Mauritanie la chance d’un nouveau départ, à zéro pour ce qui doit la faire fonctionner au bénéfice de tous les Mauritaniens sept ans, mais dans un affreux délabrement de l’économie, de la société et surtout de la morale publique, j’essaie donc d’apporter ma contribution à ce qui doit absolument commencer ou recommencer : le pouvoir politique en Mauritanie. Je vais le dire en plusieurs récits et réflexions. D’abord I et II – ce portrait de tant de présidents vrais ou faux ? Légitimes  ou tentant de le devenir, souvent désespérément. Puis III – la dévolution du pouvoir quand aucune règle n’est appliquée, respectée. Ensuite IV – la contrainte du pouvoir, le pays étant ce qu’il devient du fait des prédécesseurs, du fait aussi de l’environnement physique et mental des époques successives. Enfin, la méditation de l’avenir immédiat et lointain, l’inventaire des moyens, ce sera répondre aux questions et souhaits du lecteur que vous êtes. Questions et souhaits d’approfondissement à donner par vous au journal directement, ou à mon adresse internet : b.fdef@wanadoo.fr

 

 

I

 

Eux… le pays, le peuple, la Mauritanie

 

 

Au commencement qui ne se date pas, il y a déjà un pouvoir politique en Mauritanie, mais rien de ce qui fait un Etat dans l’ensemble mauritanien de notre époque ne peut se discerner : tribus, villages, émirats sont des concepts encore familiers et peut-être dominants, mais leur apport à la pratique du pouvoir, de l’administration, des décisions, de la représentation de tous pour le progrès économique et social n’est toujours ni défini ni exploité. La fondation pour notre époque – dite moderne ou contemporaine – se fait selon un modèle étranger, mais tendant à être courant il y a soixante ans, mais avec des acteurs et pour des orientations qui sont et resteront proprement mauritaniennes.

La loi métropolitaine du 23 Juin 1956, dite « loi-cadre », rompt avec qui avait dominé le pays depuis les années 1900 : l’étranger, administrant de fait une Mauritanie qu’il définit en frontières et en circonscriptions internes, sans pourtant lui donner un chef-lieu qui lui soit particulier et se situe sur son territoire, décide de changer sa manière. Est-ce rendre la main à des populations qu’il avait subjuguées ? Est-ce passer la main ? A l’Assemblée nationale française et dans l’assemblée territoriale, coloniale de la Mauritanie siégeant à Saint-Louis, personne ne le sait. Mais apparaît dans le texte et dans les faits, un personnage qui décidera tout : le vice-président du conseil de gouvernement, prévu par les décrets du 4 Avril 1957. Le chef du territoire est un Français, administrateur de la France d’Outre-Mer, nommé par un ministre vivant à Paris. Mais l’incarnation de la Mauritanie, discutée dès l’établissement d’une députation du territoire au Palais-Bourbon, le député, à partir de 1945, qu’accompagnent bientôt le sénateur et enfin le représentant à l’assemblée de l’Union Française, devient véritable par l’élection d’une personnalité du pays, laquelle compose une équipe et la fait adopter par une assemblée : c’est l’investiture, le 20 Mai 1957, du très jeune Moktar Ould Daddah, imposant à son parti que participent aussi à ce premier gouvernement mauritanien, des membres du parti opposant.

 

Trois forces vont alors déterminer pour une génération – de 1957 à 1978 – le pouvoir politique en Mauritanie. L’évolutivité des institutions, s’adaptant sans cesse et d’elles-mêmes sans rupture, sans coup de force, sans décision solitaire du tenant de l’autorité. L’option, très claire mais très difficile à appliquer et même faire entrer dans les esprits, celle d’une indépendance de la Mauritanie sans autre appartenance qu’à elle-même, excluant donc la fédération avec la France, ex-puissance coloniale mais dominant encore à beaucoup de points de vue notamment sécuritaire et financier, et aussi la fédération avec les voisins habituels : Sénégal, Soudan, les composants de l’Afrique dite occidentale française, et avec un voisin qui revendique : le Maroc. Enfin, la nécessité de faire et maintenir et refaire l’unité nationale entre collectivités, modes de vie sur place – et Dieu sait, en Mauritanie, il y a de la place, et très diversement –, et entre générations, celles se désentarisant, celles s’urbanisant, celles émigrant un temps pour étudier et acquérir d’autres savoirs et compétences que traditionnels.

 

Logique très bénéfique

 

Moktar Ould Daddah a eu, explicitement, la vision de cette dynamique. Il la proclame en deux formules au moins dès son accession au pouvoir : faisons ensemble la patrie mauritanienne, et la Mauritanie, trait d’union entre l’Afrique d’union et l’Afrique blanche. C’est en cela qu’il est fondateur et volontairement fondateur. Et il semble que la Providence veuille que triomphe la logique – une logique très bénéfique – aux trois propos déterminant la fondation : l’indépendance, l’unité, la recherche constante d’une participation générale au vouloir politique. Le « vouloir » et non le « pouvoir ».

 

La première étape de l’indépendance se fait par la rencontre de deux personnalités exceptionnelles : celle du jeune vice-président du conseil de gouvernement mauritanien et celle du général de Gaulle, revenu « aux affaires ». Le premier impose à la métropole l’établissement et donc la création de toute pièce de la capitale mauritanienne en territoire mauritanien, avec le financement allant avec. Le second impose à la France la décolonisation, c’est-à-dire une transformation complète de ses relations avec un outre-mer qui avait été décisif pendant les deux guerres mondiales et très important pour le rang mondial d’un pays physiquement et économiquement de taille respectable mais moyenne. La France, avant de Gaulle, puis sous son autorité, est logiquement contrainte à défendre le territoire mauritanien contre les menées et les revendications du Maroc, alors même que sa relation avec ce pays est très importante politiquement (c’est la première reconnaissance d’une indépendance en Afrique française) et stratégiquement (la guerre d’Algérie a commencé en Novembre 1954). Pour Moktar Ould Daddah, contraignant ses amis politiques de l’Union progressiste de Mauritanie à accepter dans l’ensemble des délibérations nationales pour un avenir très difficile et souvent incertain, des membres de l’Entente, c’est-à-dire des partisans de l’ancien député (1946 à 1951) au Parlement français, rallié depuis 1956 (au Caire et au moment du fiasco franco-britannique sur le canal de Suez), Horma Ould Babana, cette protection militaire française est indispensable mais dangereuse. Il a déjà contre lui les partisans (actifs) d’une participation de la Mauritanie à la fédération du Mali (au moins le Sénégal et le Soudan « français », mais peut-être davantage), et il s’attire l’opposition talentueuse d’une jeunesse nationaliste qu’incarne Ahmed Baba Ould Ahmed Miske, relation de petite enfance et de vieille hostilité personnelle. L’ensemble produira des attentats mortels à Noaukchott (le maire Ould Oubeid, quelques jours avant la proclamation de l’indépendance, le 8 Novembre 1960) et à Néma (le 29 Mars 1962), puis à Nouakchott encore (le 19 Avril 1962), mais aussi une prise de conscience générale, y compris parmi les opposants : il faut s’unir, il faut un régime fort que ne peut être ni la collégialité en une Assemblée territoriale, puis nationale, alors très peu nombreuse, ni une collégialité un peu plus structurée en groupe parlementaire du parti dominant. Mais, si l’accord se fait dans ce groupe parlementaire, le 18 Février 1961, pour le régime présidentiel, c’est au prix d’une alliance du Premier ministre avec son mentor, Sidi El Moktar N’Diaye, député au Parlement française de 1951 à 1958 et président de l’Assemblée depuis 1957 : alliance qui avait été souvent décisive dans la « classe politique », et si, en « table ronde des partis et mouvements  politiques » se réunissant à partir des 21-22 Mai 1961, l’accord se fait aussi sur la fusion de ceux-ci et sur la candidature présidentielle de Moktar Ould Daddah, c’est au prix d’une véritable révolution mentale dans l’esprit de beaucoup, à commencer par celui du désormais président de la République.

 

Ce qui s’est imposé – pendant toutes ces années fondatrices contre vents et marées [1] – aussi bien aussi aux individualités qu’à l’ensemble des Mauritaniens, c’est ce qui doit – dans les semaines et mois à venir – redevenir l’esprit commun en politique, en économie, en société mauritaniennes. L’union nationale et l’indépendance. Cette dernière question est apparemment plus simple aujourd’hui, mais elle a été extrêmement difficile dans les premières années de la République Islamique de Mauritanie.

à   s u i v r e

 

 

Bertrand Fessard de Foucault,

ancien ambassadeur, mais  pas en Mauritanie,

alias Ould Kaige, selon le président Moktar Ould Daddah

 

 

 

[1]     - le livre du président Moktar Ould Daddah, paru au lendemain de sa mort, le 15 Octobre 2003 – disponible en arabe et en français . Éditions Karthala . 669 pages