C’est pour parti pour deux semaines de campagne : Promesses et vacarmes

13 June, 2019 - 02:26

Le coup d’envoi de la campagne présidentielle pour le scrutin du 22 Juin a été donné, le 7 de ce même mois, à minuit. C’est donc parti pour deux semaines de promesses et de vacarmes, dans les villes et villages, où les six candidats vont tenter, avec des moyens et stratégies différentes, de convaincre les citoyens à voter pour leur programme. Des citoyens dont beaucoup ont perdu confiance en les promesses de leurs politiques, tant ceux-ci les oublient vite, une fois élus, grâce, le plus souvent, à leur argent, pressions ou intimidations. Une totale absence de crédibilité qui n’est, hélas pas, l’apanage de la Mauritanie, elle sévit partout dans le monde. 

Quadrillant quasiment tout le pays depuis vendredi matin, les candidats ont présenté, dans leurs discours, les grandes lignes de leur programme électoral, de  leur « rêve pour la Mauritanie ». Avec un même constat, puisque tous sont d’accord sur l’urgence de  combattre les maux qui nous accablent : injustice, corruption, népotisme, clientélisme, unité nationale dont on parle mais sans prendre de mesures réelles pour éradiquer le communautarisme,  absence d’équité dans la répartition des revenus tirées des ressources nationales, question foncière…mais tous divergent, à de variables degrés, sur le mode d’action.

 

Ghazwani, consolider les acquis et poursuivre le processus

Ould Ghazwani a choisi de lancer sa campagne à partir de la capitale économique, Nouadhibou, en présence de l’actuel Président, dont il a prêché  la consolidation des acquis, lui rendant hommage d’avoir respecté la Constitution limitant le mandat présidentiel à deux ; assuré, dix années durant,  la sécurité et la stabilité du pays et modernisé celui-ci, via de nombreuses réalisations. Et de promettre, aux Mauritaniens,  un programme « à boire et à manger », alliant «réalisme et ambition» dans la continuité du processus enclenché un certain 6 Août 2008. Il a enfin demandé  à ses compatriotes de lui donner l’occasion de « les » servir et de servir la Mauritanie. A méditer ! S’il n’a pas dit « se » servir, il ne s’est pas non plus engagé à ne jamais s’y aventurer.

 

L’opposition,  rompre avec le règne  des militaires

Autre son de cloche, bien évidemment, côté candidats de l’opposition. Ould Boubacar, Ould Maouloud, Kane et  Biram ont tous prôné la rupture totale avec le règne finissant d’Ould Adbel Aziz. Pour eux, le changement c’est maintenant, comme le claironne si bien le slogan de SMOB, et la présidentielle en offre, plus que jamais, l’occasion dans la conduite des affaires nationales. Une opportunité de tourner la page des kakis à multiples poches. Une ère des militaires qui a vu nouer pacte entre la corruption, le clientélisme, les détournements de deniers publics, le tribalisme, le régionalisme, le racisme, la pauvreté, l’injustice et le communautarisme. Une ère qui a vu l’unité nationale s’effriter et la question de la cohabitation s’exacerber.

Pour conjurer  tous ces maux, chaque candidat propose une alternative. Après   avoir dressé un sombre tableau de la situation du pays, SMOB déplore l’absence de vision des dirigeants des dix dernières années, l’irrespect des engagements pris lors de la Transition 2005-2007 et la déception, en conséquence, des Mauritaniens. Il préconise un projet communautaire capable de restaurer la dignité du pays. Une ambition qui passe par la mise en place d’un contrat social basée sur les valeurs islamiques et les exigences de la justice sociale. Deux urgences, selon lui : le changement dans la stabilité. Du « réchauffé », diront ses détracteurs, parce que ce fut, jadis, le slogan du président Ould Taya dont il fut Premier ministre. On se souvient, à ce propos, du célèbre pastiche qu’en avait fait feu Habib ould Mafhoud (« la changité dans le stabilement »). Un souvenir qui n’empêche pas SMOB de proposer dix engagements pour remettre le pays sur les rails.

Pour sa part, le docteur Mohamed ould Maouloud, candidat de la Coalition des forces de changement démocratique, estime que le processus de changement est déjà enclenché. Les signes en sont perceptibles et  personne ne pourra l’enrayer : la responsabilité de toutes les forces du changement est engagée. Puis, dénonçant le pillage organisé des ressources du pays depuis dix ans, qui a pénalisé surtout les couches les plus démunies du pays, il décline les grands axes de son programme. Et de promettre la dissolution de l’Assemblée nationale et l’organisation d’élections inclusives.  

Pour ce qui est, enfin, du docteur Kane Hamidou Baba, candidat de la Coalition Vivre Ensemble, et de Biram Dah Abeid, candidat indépendant, ils ont en commun de dénoncer l’exclusion de la composante noire de toutes les sphères de décisions politiques et économiques, forces armées et sécurité. Tous deux promettent de bâtir un Etat de droit fort où seront respectés tous les droits des citoyens, où tous se sentiront citoyens à part entière dans leur pays. Ils se sont également engagés à soutenir des institutions fortes, garantes de la liberté et de la diversité des Mauritaniens. La consolidation de l’unité nationale, dans le respect de la diversité culturelle du pays, la cohésion sociale et l’équité dans la répartition des profits tirés des ressources du pays et la discrimination positive sont leurs principales préoccupations. Mais comment, une fois au Palais, mettront-ils en œuvre leur programme ?

 

Une CENI suspectée de partialité

La Commission électorale nationale indépendante (CENI) est l’organe chargé d’organiser les élections mais elle régulièrement taxée, depuis 2016,  de « tendancielle ». Et, pour cause, la composition de son comité directeur, émanation de partis politiques ayant pris part au dialogue politique de 2016. C’est-à-dire, sans une grande partie de l’opposition, restée en marge, pour avoir justement boycotté ledit dialogue. Avec une recomposition intégrant l’opposition dite dialoguiste (APP, Wiam et Sawab), les onze membres du comité directeur de la CENI se retrouvent, comme par hasard, dans le camp du candidat du pouvoir, le général à la retraite Ghazwani. Une situation qui jette le trouble sur la partialité de cette institution. Les dernières négociations, entre le pouvoir et l’opposition, visant à ouvrir la commission à tous les partis de l’opposition, sans exception, ont échoué, le gouvernement refusant catégoriquement de voir, au sein de la CENI, la tête d’Ahmedou  Wediaa (du parti Tawassoul), un  journaliste connu pour ses critiques acerbes vis-à-vis du pouvoir. Le président de la Commission a beau multiplier ses déclarations de bonne foi, la CENI reste donc fortement suspectée de partialité en faveur d’Ould Ghazwani.

 

Déclaration trouble d’Ould Abdel Aziz

Un trouble accentué par l’engagement officiel de l’actuel chef de l’Etat au côté – pour ne pas dire pilotage – de son frère d’armes. Le scrutin du 22 Juin risque fort s’achever sur des contestations à n’en plus finir des candidats de l’opposition. Après avoir tiré, à boulets rouges,  sur  le processus électoral mené, de bout en bout, par le gouvernement (mobilisation de tous les moyens de l’Etat, de ses cadres et de son administration, avec des ministres en fonction en première ligne…), les candidats de  l’opposition se sont à nouveau indignés des dernières déclarations d’Ould Adbel Aziz. En déplacement à Nouadhibou, pour l’ouverture de la campagne de sa doublure, celui-ci s’est en effet permis d’écarter l’hypothèse d’un deuxième tour, de plus en plus envisagé par les candidats de l’opposition et certains observateurs. Le Président encore en exercice, pour quelque temps, n’entend manifestement pas laisser son fauteuil à un autre candidat que celui qu’il s’est choisi. Il s’est dit convaincu que les qualités de son « poulain » et le bilan de ses propres réalisations amèneront les citoyens mauritaniens à ratifier massivement son choix. Ould Abdel Aziz n’acceptera pas qu’un autre président vienne remettre en cause ses acquis. « Pas de retour en arrière ! », a-t-il laissé entendre. L’échec de Ghazwani lui serait évidemment un cuisant désaveu qui l’obligerait à quitter le pouvoir par la petite porte. Celui qui « n’est pas né pour échouer », comme il le claironne sur tous les toits, pourrait-il l’accepter ?

Sa déclaration vient, en tout cas, accréditer, d’une certaine façon, les accusations de fraude formulées par les candidats de l’opposition. Ould Maouloud, Ould Boubacar, Kane Hamidou Baba et Biram Dah suspectent le pouvoir d’un holdup électoral pour imposer son candidat. L’implication du Président en exercice, de ses ministres et de son administration, la composition univoque de la CENI, l’absence d’observateurs étrangers, en particuliers de l’UE, autant de manœuvres visant à faire passer, de force,  le général candidat au premier tour ? Une telle courte vue n’augure rien de bon, pour la paix de notre pays.

DL