Agence Mauritanienne d’Information : La descente aux enfers

30 May, 2019 - 04:21

« En ces temps d’imposture universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire », George Orwell

 

L’Agence Mauritanienne d’Information est dans la tourmente. Tous les indicateurs de son tableau de bord sont au rouge. Les pigistes, réels ou fictifs, ne sont pas payés depuis des mois, le petit montant annuellement versé aux employés, pour leurs soins médicaux, est tout aussi absent ; idem pour les tenues de travail des plantons et autres. Même l’imam et ses collaborateurs à la mosquée courent derrière la modique somme qui leur est ordinairement allouée. Comble de dèche, l’AMI n’a pas trouvé de moyens pour dépêcher un envoyé spécial en couverture des récents déplacements du président de la République en Assaba et au Hodh ech-Charghi.

C’est dire que la descente aux enfers de l’agence se poursuit inexorablement sous le magistère de la directrice Khadijetou mint Sghaïr. Lorsque celle-ci prit service, le 22 Février 2018, la situation de l’AMI était pourtant assez florissante, avec des comptes crédités de cinquante-neuf millions MRO, tandis que sa dette globale ne dépassait guère les sept cent mille. Avec un minimum de bonne gouvernance et une petite dose de bon sens, l’AMI pouvait bien se positionner, pour développer ses services, améliorer leur contenu, entretenir convenablement ses personnels et compléter la modernisation de son système informatique, cheville ouvrière de tous ses programmes et condition de son épanouissement. Mais, las, rien n’a été fait en ce sens ! La directrice avait visiblement son programme bien à elle, malheureusement en porte à faux du développement de l’AMI et de ses produits. Ainsi débuta la longue litanie de toutes les pratiques dolosives possibles et imaginables : surfacturations, paiement de collaborateurs fictifs, attribution de marchés en dehors de tout cahier de charges, à des parents de la directrice, le plus souvent payés à l’avance et entretenus avec beaucoup de laxisme.

 

Règne destructeur

 

Mint Sghaïr inaugura son règne destructeur par une crise avec l’Imprimerie Nationale qui tirait les quotidiens nationaux. Pour la première fois depuis des décennies, le journal cessa de paraître, plusieurs jours durant, le temps, pour la dame, de signer un contrat léonin avec un imprimeur de la place dont la facturation, hors prépresse, fut de 57,6 millions MRO, dépassant copieusement l’enveloppe habituellement payée à l’Imprimerie Nationale (moins de 35 millions MRO). Le contrat de gré à gré, entre Mint Sghaïr et ledit imprimeur, était assorti de conditions fort avantageuses pour lui : prépresse à la charge de l’AMI, payement bihebdomadaire de la facture liée à l’impression, tirage réduit à près de mille exemplaires par édition, etc. C’est lorsqu’elle ne fut plus en mesure d’honorer ces conditions que la directrice renoua avec l’Imprimerie nationale, sur la base d’un protocole d’accord portant, à la fois, sur la fabrication et l’impression des quotidiens nationaux, pour une somme annuelle de 39,6 millions MRO, soit près de 20 millions de moins que la facturation de l’imprimeur privé !

Des travailleurs de l’AMI, peu satisfaits des (contre) performances de leur institution, disent qu’au moment de son entrée en service chez eux, Khadijetou Mint Sghaïr a trouvé, outre les 59 millions MRO disponibles en compte, l’intégralité du budget 2018. De surcroît, l’agence obtenait, cette année-là, une enveloppe de 63 millions MRO, au titre du Budget Consolidé d’Investissement (BCI) ; cinquante subventions de fonctionnement ; accumulant des recettes propres de 150 millions MRO et encaissant 14 millions MRO supplémentaires, au titre d’appui pour le mois béni du Ramadan. Et là voilà, aujourd’hui, sur le carreau, après avoir déjà encaissé deux tranches de la subvention 2019 !

Ces employés mécontents en arrivent à se demander où sont passés les avoirs de l’agence, pour cette période ; avoirs chiffrés, selon eux, hors subvention et recettes 2019, à plus 340 millions MRO. Ils soutiennent que depuis l’arrivée de leur directrice, il n’y a eu aucun investissement susceptible de justifier une telle dépense : pas de formation, pas de stages, pas d’acquisition de matériels ou d’équipements, pas de nouveaux produits, pas de constructions de nouveaux locaux, pas de rubriques nouvelles dans les journaux ou services agenciers, rien de tout cela. L’AMI est tout juste parvenue à vivoter mais en sursis et sous la menace grandissante d’une faillite retentissante. Déjà en proie à une étouffante régression, elle ne fait que péricliter et perdre ses sous, sans contrepartie… publique du moins.

 Omerta

Aujourd’hui désargentée, l’agence n’arrive plus à honorer ses engagements auprès de son personnel et ne dispose même pas du minimum vital pour dépêcher la moindre mission de reportage en dehors de Nouakchott ! Comble de la déchéance, pour une agence de presse ! Et tandis que celle-ci s’appauvrit de jour en jour, Mint Sghaïr qui la dirige s’enrichit à l’inverse, rapidement et de la plus illicite façon. Des photos du château qu’elle s’est offert, en moins d’un an, circulaient, ces dernières semaines, sur les réseaux sociaux. Les employés de l’Agence parlent de deux véhicules tous terrains et d’une voiture légère indument affectés aux membres de la famille de la prédatrice qui se montre de plus en plus arrogante à l’endroit de ses collaborateurs et de l’ensemble de son personnel. Répondant à un travailleur qui devait aller au pèlerinage, cette année, sur financement de l’AMI, elle s’est contenté de dire, tout dernièrement, sans la moindre excuse : « Nous n’avons rien pour toi, il faut chercher ailleurs ! ». Même chose pour l’imam de la mosquée qui, réclamant sa paye, s’est fait renvoyer sans ménagement.

Et, couronnant ces petites misères, Mint Sghaïr impose une certaine omerta sur tout ce qui se passe dans l’institution. L’autre jour, alors qu’une mission d’inspecteurs des finances était dans ses murs, la dame a débarqué le directeur commercial, au seul motif d’avoir répondu à ses visiteurs dont l’un, indiscret, avait fait part de ses propos à la directrice. Cela n’a certes rien d’étonnant : lorsqu’on travaille dans l’irrégularité, on a tout intérêt à imposer la loi du silence. Au moins, ça, Mint Sghaïr le sait et l’applique fort bien…aux dépens de son personnel et de l’AMI. Jusqu’à quand ? Jusqu’à quand des (ir)responsables véreux continueront-ils à voler sans vergogne l’État et les citoyens ? Il est grand temps de mettre fin à l’impunité. En ce cas précis, c’est la survie même de l’AMI qui en dépend.

 

Sidbrahim Seyidi