Recomposition de la CENI : Dialogue de sourds

25 April, 2019 - 02:49

Pendant que le pouvoir et l’opposition mènent des tractations autour de la CENI, celle-ci poursuit son chronogramme pour l’organisation de la prochaine présidentielle. Comme si de rien n’était : convocation du RAVEL complémentaire, pour la confection de la liste électorale ; constitution des démembrements... Elle dit avoir tiré les leçons des élections locales de Septembre dernier et pris toutes les dispositions pour relever le défi de Juin qui paraît, il faut le reconnaître, beaucoup plus facile que le précédent de 2018. Elle avait, alors, trois scrutins à « digérer », avec près d’une centaine de listes candidates. Avant d’essuyer à l’arrivée, on se le rappelle, de forts désaveux de toutes les chapelles politiques. On nota le courage de son président qui osa protester contre l’organisation d’un troisième tour, à Arafat que l’UPR tenait, coûte que coûte, à conquérir, après des décennies  d’échec,  face à Tawassoul.

L’opposition et le gouvernement, via son ministère de l’Intérieur – véritable maître d’œuvre, en fait, des élections en Mauritanie – se livrent, eux, à une sorte de poker menteur. Après s’être opposé à toute refonte de la CENI pour y incorporer des membres de l’opposition, le ministre de l’Intérieur a laissé entendre qu’il pourrait octroyer deux places à celle-ci. Refus des candidats de l’opposition,  menaçant de ne pas laisser passer la fraude. Le ministre propose  alors cinq places… avant de  rétropédaler à trois. Il évoque des raisons techniques voire juridiques (nécessité d’un vote du Parlement), qui pourraient obliger à reporter la date de l’élection.

Certains candidats de l’opposition doivent également se battre sur un autre front : celui des parrainages. Sidi Mohamed Ould Boubacar, soutenu par les islamistes, n’a pas de soucis à se faire, en revanche, Ould Maouloud, Biram et Kane Hamidou Baba doivent batailler dur pour décrocher le sésame. A cet égard, on scrutera l’attitude de l’UPR et des autres partis de la majorité présidentielle disposant de maires et de conseillers municipaux. Accepteront-ils de signer pour l’opposition au risque de saborder  la démocratie et la présidentielle s’ils refusent ?

La recomposition de la CENI  est une exigence, non  seulement de l’opposition dite radicale (FNDU et AEOD) mais, aussi, des partis de l’opposition dialoguiste, comme l’APP. Son président avait estimé, dans une interview au Calame, que rouvrir la CENI à l’opposition était nécessaire et devrait passer par un dialogue entre les différents camps politiques. Plus récemment, un des soutiens du candidat Ould Boubacar, Bilal Werzeg, déclarait que, dans sa composition actuelle, la CENI ne pouvait jouer le rôle d’arbitre impartial pour le « match » du 22 Juin.

Tout en saluant les efforts du gouvernement à discuter avec l’opposition, force est de constater  l’absence de volonté réelle à lui concéder un arrangement convenable et, partant, poser les meilleures conditions pour une présidentielle consensuelle et crédible. Il accrédite ainsi les accusations des quatre candidats de l’opposition pour qui refuser de mettre en place une CENI paritaire ou d’y céder un nombre consistant de places prouve le dessein du pouvoir à faire passer son candidat par la fraude. La réponse du candidat Ghazwani ne s’est pas fait attendre. Dans une déclaration à la presse, il appelle à la transparence totale des élections. Facile à dire avec une CENI composée dans sa quasi-totalité de  partis qui lui sont favorables. Comment, dans ces conditions, assurer de transparence totale et d’indépendance ? Le président de la CENI peut bien crier sur tous les toits que l’institution est à équidistance des chapelles politiques, elle ne le sera vraiment qu’avec une représentation de toutes. Au final, c’est donc un véritable dialogue de sourds entre les acteurs  qui laisse craindre une tension exponentielle, à l’approche de la présidentielle.

CENI accusée de rouler pour le candidat du pouvoir, absence de neutralité de l’administration, des forces armées et de sécurité, usage de tous les moyens de l’Etat au service  dudit candidat : c’est avec ces ingrédients que les Mauritaniens auront à faire la soupe des urnes, le 22 Juin. Et, quoiqu’il en advienne, les candidats de l’opposition y participeront, ils l’ont tous réaffirmé.  De son côté, le candidat de la majorité présidentielle a déposé son dossier à la Cour Constitutionnelle. La date d’ouverture des dépôts a en effet démarré le 17 Avril 2019, date de publication du collège électoral. Sa clôture est fixée au 8 Mai prochain. Espérons que, d’ici  là, les acteurs des deux camps auront trouvé un consensus pour une présidentielle apaisée. La Mauritanie en a fortement besoin.

DL