Sentier pas battu. Pourquoi j’ai aimé le roman de Ndiawar Kane.

11 April, 2019 - 10:05

Promis. Vous ne saurez pas, au terme de ces lignes, l’entier dénouement du roman. Il n’est pas interdit néanmoins de considérer que Le sentier sinueux – c’est son titre- aurait pu tout aussi bien s’intituler La voie étroite tant les options qui s’offrent aux  protagonistes et, au premier chef, à Demba, le personnage central, tiennent du dilemme. Le roman brasse  plusieurs thèmes. Il a pour décor la société haalpulaar, ses codes…et son ordonnancement. Les hiérarchies qui y ont cours  se nouent autour de plusieurs principes dont « l’ordre de naissance ». Le lecteur qui l’ignorait découvrira par exemple que « dans la tradition des gens du Grand Fleuve, à l’ordre de naissance des enfants correspond une hiérarchie des prénoms, pour les garçons et pour les filles Hamadi, Samba, Demba, Yèro, Pathé ».
N’en déplaise à ceux que le diptyque tradition versus modernité agace, ce thème court de nombreuses pages. Idem pour d’autres binômes à l’exemple du couple Grand fleuve-Grande Ville. « Waalafendo », merveilleusement traduit par « Pays-des nuits-glaciales » par le préfacier, est une sorte de terminus. La trame du roman est aussi un mouvement, une « progression géographique » allant du Grand Fleuve à « Waalafendo » (la France). La Grande Ville fait office de sas de transition. Tout sauf un long fleuve tranquille.
Dès les premières pages, on est happé par la parenté thématique avec un célèbre devancier, le cultissime Aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane. Le parallèle vient à point nommé. L’illustre aîné est en effet le préfacier que Ndiawar Kane s’est choisi. Nul mieux que lui ne pouvait dissiper tout malentendu éventuel et faire la part des choses : « A la place des méditations physiques qui accompagnaient les pérégrinations de Samba Diallo dans l’Aventure Ambigüe…ce qui domine dans le Sentier sinueux décrit par Ndiawar Kane, est le récit de la résilience de la patrie du Fouta face à la double désagrégation de ses environnements, écologique d’une part, et culturel, d’autre part », précise-t-il. Différence de perspectives donc. Il n’est évidemment nullement question ici de plagiat. Il s’agit en lieu et place d’une filiation non seulement assumée mais revendiquée. Le doute à ce sujet n’est pas permis puisque l’auteur évoque de lui-même la « double aventure ambiguë » que vit son personnage et, à travers lui, « toute une génération ». « Aventure » ou défi saisi en ces termes : « Changer l’ordre ancien tout en restant lié à certaines valeurs » et illustré par une interrogation: « Comment « vouloir faire du feu de bois sans en supporter la fumée » ? Comment rester soi-même tout en empruntant aux autres ce qui leur est propre ». Tel est, précise l’auteur, le chemin sinueux de toute une génération de personnes qui, comme Demba, vivaient une « double aventure ambigüe, dans un monde en pleine mutation ».
C’est donc, entre autres, à ces paris que sont confrontés Demba et son camarade Amo, désormais à l’abordage de « Waalafendo », mus par l’engagement militant et ses modalités. Très vite, leurs appréhensions respectives de la chose s’individualisent. Les enjeux aussi. La transplantation commence à faire son œuvre. Les complices d’hier s’éloignent sans heurts mais inexorablement. Amo vit la mue sans ou avec moins d’état d’âme que Demba, taraudé par moult « méditations métaphysiques » qui semblent l’inhiber. Il semble aborder plus mal ce que Césaire appelait le « fraternalisme » de gauche, pendant du paternalisme de droite. S’il en fallait une illustration, l’échange ci-après ferait l’affaire.
Quand Demba affirme : «Je crois que nous serons, pendant longtemps encore, les « nouveaux arrivants de Waalafendo. C’est pourquoi nous devons veiller à ne pas couper les amarres qui nous relient à la terre de nos ancêtres », AMO réplique : « Je ne suis ni historien ni anthropologue pour m’intéresser au passé des peuples. Je tiens à vivre en harmonie avec mon temps et mon environnement immédiat ». C’est ici que nos chemins divergent pourrait-on ajouter.
Un échange qui n’est pas sans rappeler les débats passionnés d’alors au sein de la mythique Fédération des Etudiants d’Afrique noire en France à laquelle il est clairement fait allusion p65.
Ndiawar Kane écrit pour ses lecteurs. Pour ses lecteurs naturels, devrait-on préciser. Ce qui est de plus en plus rare chez les écrivains africains. Il faut comprendre par là qu’il ne s’échine pas à séduire un quelconque lectorat fantasmé ou à courir après une consécration exogène. Du coup, on échappe aux appels de phares et aux clins d’oeil. Nous sont également épargnés les références plaquées et pédantes, les combats de circonstance artificiellement incorporés du genre lutte contre l’excision, contre la polygamie, les « violences faites aux femmes, les « traditions rétrogrades ». Thèmes à succès faciles et convenus. L’écriture est simple et limpide simplement parce que l’auteur ne cherche pas à se prouver quoi que ce soit. Puisse son livre trouver son public. Il est tout particulièrement à recommander aux amateurs de citations et de maximes à l’image de celles-ci : « Le temps imposera sa solution » ou « Le temps n’est pas avec l’ordre l’ancien ». Citations qui, au passage, reflètent la complexité des choses et la place faite au doute. Sauf erreur de ma part, Cheikh Hamidou Kane faisait mourir « son » héros. Ndiawar Kane rapatrie le sien pour qu’il continue à vivre au milieu des siens. Mais avec quel s objectif s, quel projet ? Ce pourrait être l’objet d’une suite.
Tijane Bal