Calam(ités)

3 April, 2019 - 10:16

Voilà maintenant six semaines que le peuple algérien manifeste, pacifiquement, pour protester contre un cinquième mandat que le président Aziz Bouteflika, cloué sur son fauteuil depuis six ans par un AVC, se « préparait » à engager. Ayant compris la ferme détermination des millions d’Algériens de ne reculer devant rien, pour imposer le changement, le cercle de généraux qui prend en otage le pays a entrepris une série de manœuvres visant à juguler la contestation, à commencer par la renonciation à tout nouveau mandat, tout en maintenant Boutef au pouvoir, en attendant d’organiser des élections. Une supercherie que le peuple a aussitôt refusée. Proposition, ensuite, de prolonger l’actuel mandat, de quatre mois, pour prendre les dispositions nécessaires au départ du président malade. Refus tout aussi catégorique et accentuation de la contestation. Enfin, déclaration officielle, appuyée sur l’article 102 de la Constitution, déclarant l’incapacité du président en exercice àassumer ses responsabilités. La question n’est pas là, scandent les Algériens : l’équipe de généraux doit, tout simplement et complètement, quitter les affaires et retourner dans ses casernes. C’est qui qui disait : « tous les pays du monde ont une armée, sauf l’Algérie où les militaires ont un pays ». Manière de dire combien les militaires, chez notre voisin, font et défont les hommes, au centre de tout ce qui se passe. Des militaires qui prennent en otage le pays depuis quasiment 1962,via Ben Bella, Boumedienne, Chadli, Boudiaf, Zeroual, Bouteflika. Des généraux immensément riches et qui tirent les ficelles pour continuer à maîtriser le pouvoir. Exactement comme ce qui se passe chez nous, depuis le coup d’État militaire de 1978 qui renversa feu Moktar ould Daddah. 41 ans que ces militaires prennent en otage le pays, se le passant de l’un à l’autre, tantôt par coups d’État et tantôt par révolutions de palais, en attendant d’inaugurer, dans quelques mois, un nouveau mode opératoire qui consiste à organiser un simulacre d’élection à l’issue duquel un général héritera le pouvoir d’un autre général. Comme les militaires de l’Algérie, ceux de la Mauritanie sont exagérément riches. Comme eux, ils apprivoisent les élites et leur font marquer le pas, en les enrégimentant dans des organisations politiques de type casernement où le chef a toujours raison. La honteuse manipulation des députés, en 2008, pour faire tomber un président démocratiquement élu en constitue une parfaite illustration. Comme en Algérie, les militaires mauritaniens sont très puissants. Omniprésents dans toutes les affaires, propriétaires  des plus grosses fortunes : banques, sociétés, marchés, flottes, villas cossues et domaines fonciers… Ils déterminent le choix des élus et orientent les nominations administratives. Secret de Polichinelle, les députés, les walis, les hakems, les ambassadeurs, les fonctionnaires de tel ou tel ministère et, même, les ministres eux-mêmes représentent, à l’ordinaire,la part réservée à tel général ou à tel autre, manifestation de sa volonté en rapport du rang qu’il occupe, dans le cercle très fermé des puissants lobbies militaires qui usent et abusent du pays et de ses ressources, depuis plus de quarante ans. Comme en Algérie, les militaires mauritaniens useront de tous les stratagèmes et manœuvres les plus machiavéliques, pour ne pas lâcher un pouvoir dont ils ont goûté les délices, les honneurs et les privilèges. Mais beaucoup plus qu’en Algérie, la récupération du pouvoir des mains des militaires et le retour à un système civil et démocratique seront très difficiles en Mauritanie. Autant toutes les composantes du peuple algérien sont capables de fédérer leur force, pour réaliser de grands objectifs, autant les tribus, groupuscules et lobbies mauritaniens sont corvéables, taillables et manipulables à merci, pour réaliser les plans d’une junte toute concentrée sur le projet, avoué, de maintenir un statu quo qui ne fait l’affaire que d’une poignée de personnes sans aucune foi en la démocratie, l’État de droit, la bonne gouvernance, l’égalité des chances, ni, encore moins, le partage équitable des ressources nationales.

El Kory Sneiba