Interview réalisée et publiée en 2007 dans notre journal : A la rencontre d’un homme hors du commun: Med Hondo

7 March, 2019 - 00:36

Med Hondo, producteur et réalisateur mauritanien. ‘’J'ai produit et réalisé huit films, dont quatre ont été consacrés à l'immigration et à ses conséquences. Je pressentais l'enjeu de cette tragédie et analysais ses causes, mais jamais je n'ai imaginé que le mépris et l'insulte voleraient si haut, en toute impunité, dans l'indifférence générale!’’ 

Med Hondo, de son vrai nom Mohammed Abid Hondo, réalisateur et acteur français d'origine mauritanienne est un homme hors du commun. Fuyant les honneurs, il n'a jamais voulu s'ennuyer avec les normes et n'hésitait pas à le proclamer haut et fort. Mais, bien plus que son visage, c'est sa voix, la doublure française de celle d'Eddie Murphy et de Ben Kingsley (dans Gandhi) qui vous est si familière. On lui doit des films, des pièces de théâtre et des scénarios. Arrivé à Paris en 1956, il vit de petits métiers avant de fonder avec Robert Liensol la troupe Griotshango, pour laquelle il met en scène des textes d’Aimé Césaire, de Guy Menga, de René Depestre et de Daniel Boukman. [wikipedia]. Il est actuellement à l’affiche de Shrek 3 où il fait la voix française du personnage de l’âne, et bientôt la sortie de son film «Le premier des noirs, Toussaint Louverture». Au-delà des mots et de tout autre superlatif pour qualifier cet intellectuel, il y a le talent. Le talent d’un immense réalisateur, d’un grand comédien, d’un auteur dont le charisme a traversé les frontières. Qui a gardé sa simplicité, son humilité et qui aime haut et fort son pays d’origine. C’est cet homme que Le Calame a rencontré à Paris et il a accepté de répondre sans détours à toutes les questions.

 

 

Le Calame: En France, votre voix est aussi célèbre que celle de PPDA (Patrick Poivre d'Arvor, célèbre présentateur du journal télévisé de TF1), mais vous restez relativement méconnu du grand public. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs?

 

Med HONDO: À l’époque de mes débuts d'acteur, après avoir joué quelques pièces de théâtre (Césaire, Amiri Baraka, Kateb Yacine, Guy Menga, etc.) et après avoir fondé une compagnie théâtrale (GRIOTSHANGO avec l'acteur guadeloupéen Robert Liensol), nous avions été sollicités pour faire des essais de voix pour doubler des Africains Américains dans des films d'Hollywood. C’est ainsi que j'ai été choisi pour interpréter des rôles tenus par Sidney Poitier, Richard Prior, Mohamed Ali, Lou Gosset Junior, Morgan Freeman, Ben Kingsley, Eddie Murphy et bien d'autres.

Il faut préciser qu'avant cette date, tous les acteurs noirs étaient doublés par des acteurs blancs avec un accent "Bamboula", un peu à la manière de Michel Leeb quand il imite les Africains. Cela n'a l'air de rien, mais il fallait se battre contre ce mépris, en essayant de faire prendre conscience à nos employeurs qu'il n'y avait pas un accent africain mais des milliers, et que celui qu'ils voulaient nous imposer procédait d'une vision raciste et perpétuait auprès des spectateurs la même vision! Cette lutte interne et invisible était d'autant plus difficile que certains acteurs africains parmi nous ne voulaient pas s'en mêler et exécutaient le travail qu'on leur demandait. Ils craignaient pour leur emploi. Ce qui est compréhensible! Mais il y a des limites à tout, particulièrement au mépris.

Bref, ce racisme souvent latent et/ou inconscient se perpétue toujours! Exemple: lorsque j'ai été choisi pour doubler le rôle de Gandhi, à l'exception de deux films joués par le même acteur Ben Kingsley, j'ai été écarté des autres. Autrement dit: tant que cet acteur jouait le rôle d'un "indigène’’, cela concordait, mais dès qu'il s'agissait d'un médecin, d'un diplomate ou d'un rôle Shakespearien... ce n'était plus moi! Le métier du doublage est un travail d'acteur, souvent passionnant, lorsque les conditions de travail sont réunies... Le public est très attaché aux voix des acteurs et s'y identifie mais la (les) télévision(s) censées informer n'en donnent qu'un aspect caricatural. C'est la raison pour laquelle je refuse d'y participer à l'exception d'un clip pour le film Shreck qui a été filmé dans un studio de doublage.

 

 

Pouvez-vous nous parler de votre prochain film, «Le premier des noirs, Toussaint Louverture»?

 

Toussaint est un projet immense sur lequel je travaille depuis 1989. C'est une épopée nécessaire et indispensable de la démonstration du courage et de la dignité des peuples caribéens et Africains, au moment où ces derniers continuent de subir le crachat des leurs et le mépris des démocraties hyper-capitalistes ..."humanistes". Je rappelle en passant que Sembene Ousmane qui vient de nous quitter a rêvé toute sa vie de réaliser un film équivalent sur Samori Touré. Il sera, je pense, beaucoup fêté et honoré chez lui et ailleurs... C'est bien! Mais personne ne lui a accordé le moindre centime pour produire son œuvre maîtresse!!! Personne.

 

 

Vos films ont toujours été classés dans la catégorie films «cinéma militant», et censurés parce qu’ils vont à l’encontre de l’intérêt de la France…

 

 

‘’Lorsqu'on veut tuer son chien, on dit qu'il a la rage", dit le dicton français. Concernant certains films et leurs réalisateurs "gênants", il est commode de leur coller le mot "militant" et de les marginaliser, comme si tous les films et quelle que soit l'intention ou la volonté de leurs auteurs ne militaient pas, plus ou moins pour quelque chose: l'argent, la célébrité ou le plaisir personnel, artistique et esthétique ou pour de la simple propagande... sournoise. Mes films ne sont ni moins ni plus militants que les autres... à la différence près que je considère le Cinéma comme une arme ‘’miraculeuse" populaire! Pour se distraire, comprendre et informer. C'est une question de vision du monde, c’est la seule que je revendique.

 

Comme je revendique le droit d'approfondir par l'écrit et l'image, sans hagiographie aucune, le passé récent et lointain de nos rencontres, affrontements et relations avec le monde industriel colonial et capitaliste, devenu aujourd'hui mondialisé et technologique. Les responsables de l'État français, mais pas seulement, sont agacés de voir étaler sur les écrans des images qui ne "font pas plaisir". Certains vont même jusqu'à réhabiliter les bienfaits de la colonisation française. Heureusement, des intellectuels lucides et courageux ont refusé cette imposture et fait annuler cette reconnaissance officielle. Le travail d'un artiste, d'un intellectuel, selon moi, n'est pas de faire plaisir à un régime politique quelconque ni à lui-même, mais d'interroger la société dans laquelle il vit pour la réflexion et le plaisir de tous... quand cela est possible. Et si nécessaire, prendre les risques qu'il faut.

 

 

Que pensez-vous de la ruée vers l’Europe de ces milliers d’africains à la fleur de l’âge qui risquent leur vie en tentant de gagner l'Europe sur des embarcations de fortune?

 

Ma propre famille, depuis près d'un siècle, a subi les affres de la survie et de la honte; terrassée par la misère et le mépris: d’Atar à Richard Toll, de Aïn Bentili à Tindouf, de Béchar à Méchria, de Sidi Bel Abbas à Oujda, Hassi Blal, Sidi Boubeker... Aïn Ouled Béni Mathar. Rabat, Nouakchott, Rosso, Magta Lahjar, Marseille, Annecy, Vittel puis Paris. Sécheresses, colonialisme, re-sécheresses, néo-colonialisme et exploitation généralisée des plus pauvres, les sans grades qui attendent et espèrent depuis des générations et des générations que le sort leur soit moins ‘’défavorable’’; que leurs "chefs", leurs "dirigeants", tous bons musulmans, nobles et moins nobles, fils de grande ou de petite tente, soient plus cléments envers eux afin qu'au sein de leur famille, chez eux, ils puissent vivre le moins mal possible dans une relative fraternité et honneur, partout proclamés.

Mais la justice et le droit tardent à venir et il est peu probable que ces deux notions soient inscrites dans le calendrier de nos présidents. Et tant que le non-droit et l'injustice se perpétueront au sein du peuple qui se voit dépossédé de son propre pays et de sa terre, des hommes et des femmes tenteront de fuir une misère pour tomber dans une autre, croyant trouver l'Eldorado. Qui se préoccupe de ces jeunes qui affrontent la mort consciemment? Qui les informe "officiellement" de ce qui les attend, de l'autre côté de la mer? Si nos dirigeants le faisaient, ils auraient peut-être à répondre de leur incurie, de leur irresponsabilité vis-à-vis des peuples et risquer de perdre quelques millions d'Euros que des rescapés, devenus immigrés - sait-on jamais -pourraient rapporter aux caisses de l'État.

À qui pourrait-on faire croire que ces jeunes et moins jeunes ne sont pas utiles, indispensables pour la construction de leur pays? Hier la traite et l'esclavage ont failli vider le continent Afrique de ses peuples; leurs bras et leurs cerveaux ont enrichi l'Europe et les Amériques; quoi qu'on dise! Mais aujourd'hui, le capitalisme surdéveloppé et technologique n'a pas besoin de tant de bras et veut faire son marché et choisir sur place, dans les pays "sous-développés"! Qui l'en empêcherait? La majorité des pays de la Méditerranée et de l'Atlantique ne sont-ils pas devenus des gardes-chiourmes, gardiens zélés et chasseurs de primes lancés à la poursuite de miséreux désespérés?

J'ai honte et je me sens profondément meurtri et insulté de la perpétuation de cette situation faite aux hommes par des hommes... qui se pavanent en boubou doré, en costume trois pièces, le thorax gonflé de suffisance et de prétention dans des fauteuils de luxe importés; pour complaire à des pouvoirs octroyés, corrompus et éphémères! J'ai produit et réalisé huit films, dont quatre ont été consacrés à l'immigration et à ses conséquences. Je pressentais l'enjeu de cette tragédie et analysais ses causes, mais jamais je n'ai imaginé que le mépris et l'insulte voleraient si haut, en toute impunité, dans l'indifférence générale! Mais l'indignation a ses limites et les peuples attendent de leurs enfants... intellectuels et démocrates... du courage, de l'imagination et du savoir-faire pour rendre la vie à la vie, dans l'honneur et la dignité.

 

Que pensez-vous de l’arrivée de Sarkozy au pouvoir en France, et de son immigration choisie, qui semble bien accueillie par certains gouvernements africains?

 

L'arrivée de M. Sarkozy est d'abord à mon avis la conséquence directe de l'inconséquence et de l'incohérence de la gauche en général, et du parti socialiste en particulier, qui, de promesses en promesses, a baladé le peuple à hue et à dia, c'est-à-dire de gauche à droite, au point de ne plus distinguer la politique de celle-ci ni de celle-là. C'est également le résultat de la "droitisation" du conservatisme et du repli sur soi des sociétés européennes, affolées par la mondialisation...

Le chômage et la précarité ont miné, érodé les consciences collectives; la peur s'est immiscée en chacun de ceux qui possèdent quelque chose, si minime soit-elle, et qui a peur de le perdre! De plus en plus de français se déclarent ouvertement racistes et c'est une des raisons principales pour laquelle le chiffon rouge agité par la droite et aussi la gauche concernant l'immigration à chaque élection est un pourvoyeur de voix... électorales, même si le pourcentage des immigrés n'a pas évolué depuis un siècle, soit environ 8% de la population laborieuse. Si certains chefs de gouvernements africains applaudissent cette élection des deux mains, c'est simplement pour aller à la soupe et récolter quelques "aides" pour leurs coffres-forts à l'étranger... La France- Afrique et ses mafias ont encore de beaux jours à vivre.

 

Où en êtes-vous avec votre combat pour les sans papiers, les intermittents du spectacle, le racisme et l’immigration?

 

Les sans papiers se battent avec l'énergie du désespoir et malgré le soutien d'hommes, de femmes et d'associations au courage et à la solidarité remarquables, je crains que face à la "déferlante politique nouvelle", les expulsions vont s'amplifier de jour en jour et la nomination de femmes maghrébines "issues de l'immigration" n'y changera rien! Les immigrés avec ou sans papiers sont abandonnés à eux-mêmes! Leurs représentants politiques s'en sont lavés les mains et laissent faire.

Les intermittents du spectacle poursuivent le combat pour leurs droits, insuffisamment respectés. Le racisme et la xénophobie sont l'apanage du monde... partout les pauvres et les humiliés et parmi eux surtout les Noirs, pour des raisons ataviques et historiques sont rendus à l'état de bêtes de somme... et plus l'exploitation, le chômage et la misère s'aggraveront, plus le racisme et la xénophobie se développeront sur cette planète.

 

Vos films sont souvent historiques, ils racontent la lutte coloniale, le racisme, d’où puisez-vous votre inspiration?

L'immense majorité des populations africaines ignorent totalement son histoire, même écrite par d'autres. Les systèmes d'éducation sont le plus souvent bancals et les livres d'Histoire écrits par des Africains ou d'autres historiens progressistes et objectifs sont extrêmement rares. Je pense que celui qui ignore son histoire passée, marche avec les béquilles des autres; de ce fait il construit mal son présent et prépare encore plus mal son avenir. L'éducation chez nous est l'arme fondamentale pour sauvegarder et développer notre patrimoine, nos cultures et nous projeter dans l'avenir. Le cinéma, par son caractère spécifique, participe aussi à l'éducation et au savoir. Il fait comprendre parfois le pourquoi et le comment des choses... et c'est sans doute la raison pour laquelle, dit-on, certains gouvernements le craignent. Pour ma part et avec d'autres Mauritaniens, nous avions introduit durant les années passées et à plusieurs reprises auprès du chef de l'État, un cahier de doléances pour un cinéma national... des images nationales! ...En vain.

L'Afrique, la Mauritanie, sont riches d'histoires écrites et orales fabuleuses, de contes et de légendes à raconter en images. Il suffit de se plonger dans ces histoires nationales pour trouver l'inspiration. Le reste est une question de travail. Pour le peu que j'en sache, il y a de quoi réaliser de grands films ... toute mon existence n'y suffirait pas. J'attache une grande importance à l'histoire au cinéma, c'est une autre façon d'être aussi un historien de la vie. Avons-nous remarqué avec quelle énergie Hollywood et l'Amérique du nord ont fabriqué des films sur l'épopée de l'Ouest,…vus, imités et admirés par le monde entier?

Pourtant à y regarder de près, l'histoire de vachers-cow-boys n'avait que peu d'attrait... comparée à l'épopée de Cheikh Ma El Aïnin, Mohamed Lehbib, Cheikh Amadou Bemba, Samori Touré, Soundjata Keita, Sony Ali Ber, la légende du Wagadou et j'en passe. Nous avons un besoin impératif de voir raconter nos Histoires par l'image, le son et la musique! Nous en éprouvons plus que d'autres l'impérieuse nécessité de nous comprendre, de nous parler. L’Afrique a soif de ses images.

 

 

Que pensez-vous de la nouvelle vague du cinéma africain, Sissako, Haroun Hamet Saleh, Ferid boughdir, John Riber, Nick Hughes?

 

Au risque de me répéter et de choquer quelques uns, je dirai une fois encore qu'en Afrique il existe des cinéastes et pas encore de cinéma africain, comme existe un cinéma latino-américain, japonais, indien, chinois, européen ou russe. Nous ne devons pas mettre la charrue avant les bœufs: un cinéma africain existera lorsqu’il y aura des infrastructures nécessaires à cet effet (laboratoires, studios etc.), un effort commun de coproduction et de diffusion de nos images, des critiques, des revues spécialisées etc. Il existe pourtant des labos en Tunisie et au Maroc où se produisent des films de qualité qui ne sont vus ni dans le monde arabe, ni en Afrique, ni dans les pays limitrophes.

 

«L'Afrique blanche» et «l'Afrique noire», concept d'une imposture coloniale pour diviser et régner qui a la peau dure... et le Maghreb est encore dans ses limbes! Il faut être très vigilant dans le maniement des slogans et des qualificatifs hors de leur contexte historique. Il n’y a malheureusement pas de nouvelle vague de cinéastes africains, ni de génération spontanée, qui fait la course en tête, par arrivisme ou par jalousie… Il n’y a que des cinéastes, anciens et nouveaux, qui mendient à l’extérieur du continent le budget de leur production. Hier comme aujourd’hui, nous pouvons certifier qu’il n’y a pas de cinéaste «arrivé» en Afrique. Pas encore!

Tous tirent le diable par la queue et certains un peu plus chanceux que d’autres négocient avec ce même diable au détriment de leur conscience. C’est leur choix et personne n’a à y redire! Les prix et les récompenses dans des festivals africains «alibis»; organisés au profit de leurs organisateurs ne sont pas faits pour provoquer l’émulation et faciliter une large diffusion des images dans nos pays.

 

Votre voix est célèbre mais votre visage est inconnu, comment vivez-vous cet anonymat?

 

Je n’ai jamais cherché la gloire pour la gloire et je ne fais pas du cinéma pour du cinéma. L’anonymat ne me gêne guère et ce qui me manque, ce sont les moyens de réaliser mes films dans des conditions honorables. Je préfère la discussion avec les spectateurs plutôt que des shows médiatiques insipides.

 

On vous voit rarement sur les plateaux de télévision et on vous entend rarement à la radio, en dehors des événements de contestation (grève des intermittents du spectacle), est-ce que c’est une forme de censure ou une certaine pudeur?

 

Il arrive que certaines télévisions me demandent de participer à leurs plateaux… (rarement), le plus souvent leurs émissions sont sans intérêt où les questions de fond ne sont jamais abordées… Il s’agit le plus souvent de guignolades débilitantes où je me sens très mal à l’aise. Il y a aussi sûrement un peu de censure qui ne dit pas son nom.

 

Est-ce qu’il y a encore un avenir pour le cinéma africain?

 

L’avenir du cinéma africain est directement lié à l’avenir de l’Afrique et à ses habitants. Si des nouveaux leaders se préoccupent réellement du devenir de leur peuple en développant avant tout l’éducation, la santé, l’agriculture, l’élevage et l’emploi… le cinéma, les films deviendront un besoin, et même une nécessité. Voyez l’Inde! C’est également le rôle des cinéastes de lutter et de faire comprendre les besoins du cinéma et de l’image comme facteurs de développement et de connaissances.

 

S'il fallait résumer votre parcours cinématographique en un film ou en un livre, lequel choisiriez-vous? Et pourquoi?

 

Il existe déjà un livre pour me résumer un peu. Il s’agit de Med Hondo, un cinéaste rebelle, publié par Présence Africaine, propos recueillis par Ibrahima Signaté. Je souhaiterais le compléter par des révélations inédites et des témoignages utiles; je pense aux générations à venir.

 

Votre film «Watani», au moment de sa sortie en 1998, a été jugé violent et interdit aux moins de 12 ans, avec obligation d'une mention sur son contenu, était-ce une forme de censure?

 

Le film WATANI était censuré par la commission de contrôle des films au C.N.C. pour ‘’scènes extrêmement violentes pour le jeune public, en particulier celle du suicide collectif’’. Il n’y a jamais eu de suicide collectif, ni la moindre goutte sang ou de coup de feu dans le film…Des journaux tels que Le Nouvel Oobservateur, l’Humanité, Le Canard Enchaîné, l’Autre Afrique et même l’A.F.P. s’en sont fait l’écho, en trouvant l’interdiction pour le moins saugrenue!

 

Des associations se sont indignées de cet état de fait et l’une d’elle est allée avec une cassette rencontrer le ministre Jack Lang pour l’informer, en lui demandant de visionner le film pour voir qu’il ne contenait pas de scènes de violence. Huit mois après, la même commission de censure au C.N.C. a délivré un nouveau visa autorisant le film pour tout public, sans aucune restriction. Comprenne qui pourra! Moi en tout cas, je n’avais plus assez d’argent pour sortir le film en salles dans de bonnes conditions. Et il mourut de sa belle mort. Trois autres de mes films ont subi la censure au niveau de la production, de la distribution et de l’exploitation…y compris en Afrique: Sarraounia, Les Marrons de la liberté et Lumière Noire.

 

Pourquoi vos films ne sont ils pas projetés en Mauritanie?

 

Il y a bien longtemps, la TVM m’avait proposé de lui céder mes films gratuitement pour une éventuelle diffusion. J’ai refusé. La projection de mes films ne dépend jamais de moi seul!

 

À quand un Festival International du Cinéma de Nouakchott à votre avis?

 

À mon avis, il n’y a pas urgence à créer un festival international du cinéma à Nouakchott. Les festivals sont utiles lorsqu’existe une véritable cinématographie ou des films en conséquence. Il me semble plus urgent que les Mauritaniens se retrouvent et dialoguent entre eux à propos de leur présent et de leur avenir. L’exemple dans ce sens que je trouve remarquable est l’existence de la radio citoyenne. Voilà un moyen de communication et d’éducation qui va laisser des traces positives dans les consciences des Mauritaniens. C’est un très bon début pour consolider l’unité nationale et parler peut être du rôle du cinéma et de la culture en général dans le développement du pays.

 

Que pensez-vous du changement intervenu en Mauritanie le 3 aout 2005, de la transition qui a suivi et des élections transparentes?

 

J’ai rêvé comme tout mauritanien d’un changement au pays au point de ne plus y croire parfois, tellement je suis scandalisé par la stagnation, la corruption, le tribalisme et la loi du plus fort de régimes carnassiers et incultes qui pillent et qui exploitent sans vergogne un pays et un peuple! Je rêve d’un changement véritablement démocratique depuis les premiers jours de l’indépendance. J’étais à Nouakchott au mois de juin passé pour assister au référendum. Je suis revenu enthousiaste en constatant toutefois que le score était un peu …poussé. Bref, en tant que mauritanien de l’extérieur, je ne me permettrais pas de donner des leçons à ceux de l’intérieur qui vivent les événements au quotidien; depuis la transition jusqu’aux élections générales transparentes, selon l’opinion de tous ceux qui y ont assisté.

 

Le nouveau gouvernement n’a que deux mois d’existence et il faut lui accorder le bénéfice du doute et attendre les premières grandes décisions pour juger. Nous avons attendu plus de 20 ans la naissance de la démocratie… patientons encore quelques mois… l’oiseau finira par sortir. Je reste donc très vigilant et j’attends de voir les choses de plus près! En attendant, je constate que le peuple continue de souffrir énormément, le coût de la vie est excessivement élevé pour la très grande majorité, manque d’eau, d’électricité etc… Et je me dis que peut-être il aurait fallu pour le gouvernement établir un plan d’urgence pour contrôler certains prix des produits de première nécessité, pourvoir à l’eau et à l’électricité …

 

Je suis en revanche satisfait que le passif humanitaire soit pris en considération et je souhaite que dans les plus brefs délais, tous les réfugiés rentrent chez eux pour retrouver leurs biens spoliés et recouvrer tous leurs droits. Je souhaite aussi que la plaie de l’esclavage soit à jamais éradiquée. Tous ces événements mériteraient plus tard et dans l’apaisement général la réalisation de films pour exorciser nos malheurs, pour pouvoir dire à l’exemple d’autres: Plus jamais ça!

Il y a tellement à faire dans ce pays- puisque peu l’a été - qu’il faudrait plusieurs vies de présidents pour venir à bout de tous les problèmes… Il n’y a donc pas une minute à perdre. Je suis bien placé pour savoir que la critique est facile, mais que l’art est difficile! Cependant on ne vit qu’une fois.

 

Votre regard sur la démocratie en Afrique en général

Pour juger une démocratie en Afrique, il faut éplucher son contenu et voir le résultat sur les visages et la vie réelle des gens. Pour aller vite je dirai qu’à de rares exceptions près, la démocratie en Afrique avance à la vitesse d’une tortue percluse de rhumatismes. Tout reste à faire.

 

Qu'attendez-vous à présent de ce nouveau gouvernement mauritanien démocratiquement élu?

 

 

En Mauritanie, comme je l’ai dit, il est encore trop tôt pour porter un jugement sur le nouveau gouvernement… Mais pour être honnête avec vous et vos lecteurs, je ne vous cacherai pas que j’aurais préféré que le président de mon parti Ahmed Ould Daddah emportât l’élection présidentielle. C’est un homme pour lequel j’ai beaucoup d’admiration et d’estime, parce qu’il est vraiment un patriote honnête, intègre et sincère qui s’est sacrifié pour son pays et son peuple: il l’a prouvé…Il est compétent et a totalement transcendé tout chauvinisme, tribalisme et racisme de quelque nature que ce soit. Mais il semble que tout a été fait - en douce - pour l’écarter de la magistrature suprême…Cela dit, sans vouloir remettre aucunement en cause le résultat des élections et en souhaitant plein succès et réussite au gouvernement mauritanien. L’échec, que je ne souhaite pas, serait grave de conséquences.

 

Comptez-vous revenir dans votre pays natal, la Mauritanie un jour?

 

Je suis toujours revenu en Mauritanie chaque fois que j’ai pu…et la prochaine, ce sera pour réaliser, In Châa Allah, un film au pays, d’après un livre du grand poète Ahmedou Ould Abdelkader. Ce sera peut-être mon plus grand souhait et ma dernière espérance

 

Vous avez été le représentant d’un parti politique mauritanien en France, l’UFD, qui a été dissous par le régime déchu d’Ould Taya. Comment vous avez vécu cette injustice?

 

J’ai été effectivement coordonnateur de l’UFD en Europe lorsque ce parti fut interdit par Ould Taya, d’autres suivirent, en particulier A.C. Je garde un triste souvenir de cette interdiction, non pas que j’attendais autre chose de ce régime, je l’ai combattu pendant 20 ans, mais le peu d’enthousiasme dans la solidarité vis-à-vis de nous de la part des autres partis de l’opposition m’avait profondément choqué… Certains semblaient même se réjouir de cette interdiction; pensant sans doute qu’ils allaient récupérer la «place» et les militants pour devenir l’opposition unique! La suite comme je le prévoyais allait leur prouver le contraire. Ma fidélité aux principes fondamentaux en avait pris un coup et ma naïveté aussi.

 

Nous finirons avec la question de la Mondialisation; à votre avis, que représente la mondialisation et quels en sont ses effets sur l’Afrique?

 

La mondialisation n’est qu’une forme sophistiquée et complexe du capitalisme financier, sans frontière, qui veut régenter la planète. Aucun dictateur au monde n’aurait osé rêver d’un système aussi efficace. Pour l’Afrique, il ne s’agit ni plus ni moins que d’un nouvel esclavage, où les chaînes ne sont pas visibles, mais leurs effets ravageurs sur nos dirigeants, qui se trouvent entravés et sans voix et nos peuples condamnés à la mendicité des riches et à l’immigration sauvage suicidaire. Un continent aussi repu de potentialités naturelles, devenu un réservoir de larmes de crocodile, de concupiscence et «d’aide au développement» est une chose intolérable!

Pour saisir l’inanité de cette aide (ce mot est impropre), il suffit de constater que plus on nous rebat les oreilles avec le «développement et l’aide», plus l’Afrique s’enfonce dans la déchéance et le sous-développement, à l’exception de trois ou quatre pays qui sortent leur tête de l’eau. Nous ne nous en sortirons pas de cette nasse sans la solidarité et le regroupement de nos pays en zones économiques et politiques fortes… sans l’implication, la motivation et la confiance de nos masses populaires.

 

Propos recueillis à Paris FRANCE par Rémy KLEIB pour le journal le calame