Nouvelles d’ailleurs : 3èmemandat et chasseurs chassant chasser sans leurs chiens de chasse….

9 January, 2019 - 13:59

Et revoilà la réouverture de la chasse au 3èmemandat, équivalent local de nos chasses à l’outarde ! Les chasseurs chassant chasser sans leurs chiens de chasse ont investi la maison des chasseurs, l’ancien Palais des Congrès… Le bal des chasseurs accompagnés de leurs débutantes s’est ouvert par la confrérie chasseuse du Trarza…. Il y avait du beau monde, comme indiqué sur les banderoles. Et la figure martiale de notre Sultan, regardant, vers la droite, un avenir apparemment radieux mais sévère, mais radieux….mais sévère.

Puis vint le tour du gratin de l’Assaba, élus, sous-élus, porte-serviettes, porte-ombrelles, porte-stylos, porte-thé et porte-guertés…. Là encore, beaux boubous, belles mélahfas, coquettes de sortie et cheveux des messieurs chasseurs de 3èmemandat coupés à la hauteur toute réglementaire en nos contrées, à savoir un mix adorable entre la coupe du légionnaire romain et la forêt broussailleuse que nos ancêtres arboraient au-dessus de leurs têtes. Têtes rases, moustaches panarabistes, « zéro » peut-être un peu nassérien…. quoi qu’il en soit, tout le monde parfumé, dents astiquées, sandales tip top et chemises repassées…

Et, toujours, sur la même banderole, une ode à l’amour à Notre Sultan, prié – que dis-je prié : imploré – de consentir à un 3èmemandat, pour le bien des mandatants sus-désignés…Et, encore toujours, le même air martial de notre Sultan, regardant toujours dans la même direction, dans son beau costume. Cette obstination à regarder d’un même côté m’intrigue : que peut-il donc y avoir de si fascinant dans cette direction ?

Après le Trarza et l’Assaba, j’imagine que nous aurons droit à la même banderole « géographiquement mandatante » : le Tiris (le bon élève de la classe), l’Adrar, le Tagant, etc., etc. Des cadres chasseurs de 3èmemandat, notre pays en regorge. Il en a toujours regorgé. À en dégorger parfois, mais si peu…C’est la valeureuse armée de nos chasseurs chassant chasser (attendez, je compte les s....) J’admire la polyvalence de nos vaillants combattants du 3èmemandat. Et leur souplesse : pas facile de demander à notre Sultan adoré de se représenter, sans assassiner la Constitution…

« La Con…quoi  ? », me demande mon boutiquier, mon fidèle et solitaire public, « la Con…quoi ? – La Cons-ti-tu-tion » ; dis-je, en faisant ma fière, « Doustour – Ah, doustour », me fait mon boutiquier, Et le doustour, il le permet? –Euh, non… – Ah… », commente, dubitatif, mon interlocuteur… Puis, après un moment de réflexion, «  Minti, pourquoi tu te casses la tête ? Chez nous tout se fait… Même le doustour se fait toute seul »… Et toc ! Et re-toc : que voulez-vous que j’aille répondre à ça ? Lui, mon boutiquier, il vient du fin fond supposé de la brousse. Là-bas, doustour ou pas, il crève de faim. Donc, il fait des allers-retours à la capitale « doustourisée », en alternance avec son fils, pour tenir sa petite boutique de quartier.

Déjà l’an dernier, il m’a fallu user toute ma salive pour lui expliquer l’absurdité dangereuse et anti-démocratique de supprimer le Sénat. Il ne connaissait pas cette « maison ». Qu’il n’y ait plus de Sénat ne lui paraissait pas important. Là d’où il vient (ah oui, d’un campement pauvre quasi peuplé de Haratines), « on » lui a expliqué que le Sénat ne servait à rien puisqu’il ne construisait pas de ponts, par exemple, mais qu’il coûtait cher… Donc, au moment du referendum, scandalisé par un Sénat qui ne construit pas de ponts, il a voté pour sa disparition. Dans le même temps, un peu paumé quand même, « on » lui a expliqué, aussi, que notre drapeau était moche, hideux, peu patriotique et national et qu’il fallait lui peindre deux bandes rouges en tête et pied. Il n’était pas trop d’accord mais « on » lui a parlé, parlé jusqu’à mélanger la langue de Sénat, de drapeau, de martyrs, de batailles, de langue arabe, d’hymne national à changer dans la foulée, de notre Président si à l’écoute des besoins du peuple, etc. etc. il a fini par dire oui à tout, même à ce qu’il ne comprenait pas trop. Mais revenons à nos moutons et à mon boutiquier : cette fois-ci, il n’est pas d’accord… Pourquoi demander à Aziz de revenir une 3èmefois? Il n’aime pas trop Aziz. S’il s’agissait d’un autre homme, pourquoi pas? Là je m’arrache les cheveux et j’abandonne : la royauté vient de marquer un point…

En cet avant-présidentielle géographique, nous voilà donc redevenu un peuple de chasseurs chassant chasser (pardon mais je vous imagine prononçant ces mots pour la énième fois et je me marre). De vrais Tartarins du bled… Moi, je regarde tous ces beaux chasseurs chassant chasser (et hop, encore une fois), accompagnés de leurs chasseresses et essaie d’imaginer comment vole un 3èmemandat.  Peut-on, aussi, voler un 3èmemandat qui vole? Et un 3èmemandat volant et volé peut-il être attrapé dans les jardins de la Présidence ? Dégusté en couscous? Ou en tajine du Vendredi?

Du coup, peut-on alors manger les pancartes qui fleurissent un peu partout, pancartes où notre Sultan avance martialement sous les poèmes de ses louangeurs demandant que tous les chasseurs chassant chasser (scusi…) de ce pays attrapent ce foutu volatile 3èmedu nom, pour aller le déposer, mort ou vif, aux royaux pieds de notre Guide Suprême.

Et existe-t-il une tribu de mandats à géométrie variable ? Je ne sais pas, des mandats pour président moustachu, des mandats pour président imberbe, des mandats pour président civil… Oups, il n’y a plus, depuis belle lurette – nous passerons l’épisode pathétique de Sidioca, le civil qui crut pouvoir faire rentrer l’armée dans le rang et renvoyer tous les généraux et colonels à leurs rôles ; à savoir, faire de l’armée un corps au service de l’Etat et non le contraire – il n’y a plus, donc, de civils présidents, de civils civils, pas des militaires civils ou des civils militaires… Mais, là, nous rentrons dans la philosophie et l’existentialisme, genre « c’est l’essence qui précède l’être ou c’est l’être qui précède l’essence?», pardon, Sartre….

Je comprends mieux, maintenant, l’ouverture de la seule armurerie de la capitale : c’est pour fournir en arme les chasseurs chassant chasser des 3ème mandats. Si je vous dis que la honte ne nous étouffe pas, je ne fais qu’enfoncer une porte ouverte. Si je vous dis que tous ces chasseurs chassant chasser appellent au parjure, tout en s’inclinant cinq fois par jour devant leur Créateur, j’enfonce toutes les portes ouvertes de la démocratie moquée, galvaudée, piétinée. Si je vous dis que nous ne sommes plus le peuple au million de poètes mais le peuple au million de louangeurs, là j’enfonce, et les portes ouvertes, et les fenêtres cassées.

Un Sénat éliminé, des roucoulements en faveur d’un 3èmemandat…. et personne qui bouge, comme une petite manif devant le Palais des Congrès au moment du rassemblement de la chasse à courre, par exemple. Nous aurons tout vendu.Tout, jusqu’à notre intelligence et le sens du politique et de la démocratie. Nous aurons tout bradé. Nous sommes en train de tout brader. À l’africaine, quoi… À la Nous Z'Autres : petits arrangements entre parjures et assassins d’une vraie pensée politique. Honte…

Mais bonne année, tout de même – on ne sait jamais, qui sait ? Salut !

Mariem mint Derwich