Mauritanie : Fête nationale, entre fierté et souvenir douloureux

3 December, 2018 - 17:35

La Mauritanie a célébré le 58ème anniversaire de l’Indépendance nationale, le mercredi 28 Novembre 2018, par une série d’activités concentrées à Néma. Une journée-symbole qui partage les citoyens de la République, depuis vingt-huit longues années, entre fierté nationale et mauvais souvenirs. Ceux-ci cristallisent l’épisode, agité, désormais retenu sous les vocables « années de braise » ou « passif humanitaire », marqué par des exécutions extrajudiciaires qui touchèrent plusieurs centaines de militaires issus de la communauté négro-africaine. Des exactions qui eurent pour théâtres diverses garnisons du pays, entre Septembre 1990 et Février 1991, sous le régime du colonel Maaouya ould Sid’Ahmed Taya (1984/2005), culminant dans la sombre nuit du 27 au 28 Novembre 1990.
Une séquence tourmentée de l’histoire récente, dont les démons n’ont pas encore été exorcisés, dans la tête des proches des victimes, des organisations de défense des droits humains et d’une large frange de l’opinion. Mais singulièrement zappée par le pouvoir actuel qui dit en avoir tourné la page. Preuve en est, encore, la célébration 2018 de l’évènement national où, forme officielle et solennité républicaine de la Fête obligent, le président Mohamed ould Abdel Aziz s’en est tenu à rappeler, lors de son allocution retransmise depuis Néma, « les sacrifices consentis pour l’indépendance », donnant ainsi le sens, « véritable » selon lui, de ce grand rendez-vous national annuel.

Une revendication toujours actuelle
Un sens cependant et hélas contesté. Pour marquer la même date, le Collectif des veuves, orphelins et autres ayants droit des victimes des tragiques événements susdits, a en effet organisé une toute autre marche, vers le bureau de la représentation des Nations Unies à Nouakchott, dans la matinée du mercredi 28 Novembre. Une initiative stoppée, par la police, au niveau de la mairie de Tevragh-Zeïna. Aissata Diary Sall, secrétaire générale adjointe du collectif, explique la raison d’être de cette manifestation : « notre objectif est de montrer, à la face de tous, que le combat continuera jusqu’à ce que la vérité soit connue et justice rendue. Nous avons préparé des pancartes affichant les noms de tous les tortionnaires et de toutes les victimes. Le 28 Novembre est désormais devenu une journée-symbole du sang de nos martyrs ».
Echos identiques en provenance d’une partie de la classe politique ; notamment de la mouvance nationaliste noire et, plus généralement, du courant démocratique. Leurs préoccupations se focalisent autour d’une solution consensuelle et acceptable du passif humanitaire. Ainsi, l’Alliance pour la Justice et la Démocratie/Mouvement pour la Réconciliation (AJD/MR-opposition), un parti dirigé par Sarr Ibrahima Moctar, a organisé un débat, à son siège de la Sebkha, en souvenir de la mémoire des victimes des crimes de 1990/1991.
De son côté, l’Union des Forces de Progrès (UFP-opposition) a rendu publique une déclaration centrée sur l’évolution de la symbolique de la Fête nationale mauritanienne. La célébrant, à sa manière, « le régime de Maaouya ould Sid’Ahmed Taya pendit, dans la nuit du 27 au 28 Novembre 1990, vingt-huit officiers, sous-officiers et soldats négro-africains. Toutes les forces démocratiques furent et restent profondément affectées par ces horreurs qui souillent notre Fête nationale. Ces forces n’ont, depuis, cessé de réclamer que toute la lumière soit faite sur cette tragédie, et que justice soit rendue, condition impérative à tout pardon, de la part des victimes et de leurs ayant cause ». La déclaration rappelle « les mesures prises par le régime du président Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi pour le retour des réfugiés au Sénégal » accusant « le coup d’Etat de Mohamed ould Abdel Aziz » d’avoir interrompu le processus.
S’exprimant le jeudi 22 Novembre, suite à la présentation, devant l’Assemblée nationale, de la Déclaration de Politique Générale (DPG) du Premier Ministre, Ahmed Salem ould Béchir, madame Kadiata Malick Diallo, députée du même parti, est aussi revenue sur ce triste épisode de l’histoire du paisible peuple mauritanien. Elle attire l’attention sur une réalité incontournable : « notre fête de l’Indépendance, naguère unanimement célébrée dans la joie et l’allégresse, est devenue, depuis vingt-huit longues années, jour de tristesse, pour certains mauritaniens. Car, pour célébrer cet évènement, 28 militaires noirs furent numérotés, dans la nuit du 27 au 28 Novembre 1990, de 1 à 28 et pendus, par leurs frères d’armes, dans la garnison d’Inal (Nord) ».
« Horrible anniversaire », donc, pour Kaw Touré, haut responsable des Forces Progressistes pour le Changement (FPC-anciennes Forces de Libération Africaine de Mauritanie/FLAM) que ce 28 Novembre. Avant d’enchaîner sur l’évocation d’un heureux et très récent évènement : « il y a quelques jours, tous les Mauritaniens, en chœur unanime, ont dansé, chanté et fêté, ensemble, la belle victoire de notre équipe nationale de football. Nous avons tous dansé et chanté, dans la diversité de tous nos rythmes, des vagues mélodieuses et sublimes du fleuve aux envolées lyriques des orfèvres sémantiques Awlad Chinguitti. Nous avons tous sauté aux rythmes et aux sons du Yakka, du Rippo, du Mbalax, du Thierthioura et du Veghou. Le peuple uni a vibré, dans cette vieille patrie du Tekrour et de l’Empire du Ghana, avec nos jeunes conquérants, dignes héritiers des Almoravides ».
« Cette Mauritanie plurielle, arc-en-ciel, métissée et fière, nous l’aimons. Mais notre histoire nationale est moins belle que la première qualification des « Mourabitounes », pour la phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations (CAN)-Cameroun 2019. Car, rappelle l’orateur, « il y eut cette sombre et terrible nuit du 27 au 28 Novembre 1990, avec la pendaison de vingt-huit militaires qui avaient loyalement servi leur patrie et dont le seul délit était d’appartenir à la communauté négro-africaine, comme au temps de l’apartheid ».

Une vraie justice, enfin, pour une Fête pleinement nationale de l’Indépendance ?
Les faits dénoncés par ces partis politiques et personnalités ont été l’objet d’une loi d’amnistie adoptée en Mai 1993. Un texte dont les proches des victimes, les organisations nationales et internationales de droits humains, et plusieurs partis politiques réclament l’abrogation, par « respect au devoir de vérité, de justice et de mémoire, préalable à toute idée de pardon et de réconciliation ». Dans de nombreuses contributions, diverses personnalités ont évoqué l’idée d’une justice transactionnelle, à l’instar de certains pays d’Afrique secoués, dans leur histoire, par de graves crimes à caractère politique.
Certes, le pouvoir mauritanien actuel organisa, le 25 Mars 2009, à Kaédi une prière aux morts, à la mémoire de ces disparus. Certes, les rescapés et ayants droit du passif humanitaire de 1990/91 ont touché « une indemnisation », mais dans le cadre d’une opération générale, couvrant tous les militaires chassés de l’armée, pour diverses raisons, depuis le début des années 1980. Une démarche qu’un spécialiste du droit considère comme « une tentative de noyer, dans des généralités, des crimes d’une extrême gravité ». Pour reconnaître ses erreurs passées qui ont déchiré la Nation, le pouvoir doit en traduire ses auteurs devant une justice libre et sereine où ceux-ci auront à demander publiquement pardon. Ce n’est que celui-ci accordé, librement, par les victimes et ayants droit, qui rendra, à la Fête mauritanienne de l’Indépendance, son caractère pleinement national.
Cheikh Sidiya