Troisième mandat: Aziz clôt le débat

30 November, 2018 - 00:44

Pour Avril 2019, la  Mauritanie devrait échapper  au phénomène arbitraire et pathologique de la manipulation constitutionnelle visant à  adapter la loi fondamentale  à la situation personnelle des dictateurs en fin de mandat et frappé par le principe de l’alternance. Présent à Walata, mardi 20 Novembre, pour la célébration de la 8èmeédition du Festival des Villes Anciennes de Mauritanie (FVAM),  le président Mohamed ould Abdel Aziz  s’est à nouveau exprimé par sur le sujet. Question timing,  cette  sortie, évoquant l’impossibilité constitutionnelle de sa candidature en 2019, est notée à quatre mois de l’échéance présidentielle.

Mais, au-delà de la bataille qui pointe à l’horizon,  le chef de l’Etat a levé un coin de voile sur ses intentions et sa stratégie, bâtie autour de la possibilité de reprendre « son » fauteuil, dès qu’il y sera à nouveau  autorisé, selon sa propre lecture de la loi fondamentale, par les dispositions de celle-ci. « Non, je ne suis pas  candidat à un troisième mandat. Je suis sensible à tous les appels, j’écoute tout le monde. Notamment, bien sûr, mes partisans qui appellent à mon maintien au pouvoir. Mais il y a aussi ceux qui exigent une limitation des mandats. De toutes les façons, je suis là  pour respecter et faire respecter la Constitution du pays. Elle limite à deux le nombre de mandats du président de la République. Mais je vais continuer mon engagement en faveur de la Mauritanie et à faire de la politique. Je resterais ici, au pays, sur la même voix… », avant d’embrayer, aussitôt : « et dès que la Constitution me permettra de me présenter, je le ferai à nouveau. Si je ne peux me représenter maintenant,  pour un troisième mandat, ce sera possible plus tard. La Constitution ne me l’empêche pas ».

 

Pas de troisième mandat avant 2024 ou… à jamais ?

Réagissant à cette nouvelle sortie du président de la  République, le professeur Lô Gourmo, vice-président de l’Union des Forces de Progrès (UFP-opposition), spécialiste en Droit, accueille positivement la première partie  du discours : « Le Président admet, désormais sans fioritures, ne pouvoir se représenter à un troisième mandat, en ce qui  concerne la prochaine présidentielle. Il va donc quitter le pouvoir ».

Mais en ce qui concerne le projet d’un hypothétique retour aux affaires, l’éminent juriste invite le chef de l’Etat à revoir sa lecture de la loi fondamentale : « L’ajout, comme pour consoler ses soutiens, orphelins de ce troisième mandat, qu’il peut se représenter « plus tard », est une interprétation  insolite d’une disposition constitutionnelle claire et nette. Il y a, certes, de nombreuses variantes, dans le monde, du système limitant les mandats qu’un chef d’Etat peut exercer. En fonction de leur caractère successif, par exemple. En France, l’article 6 de la Constitution dispose ainsi que « nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs ». Cela autorise donc qu’on puisse se représenter autant de fois qu’on veut à une élection présidentielle, à la seule condition  que les deux mandats antérieurs aient débouché sur l’exercice du pouvoir par un autre président. Il faut une pause interrompant la consécutitivité des mandats au-delà du second et qui remette, en quelque en  sorte,  le compteur  des mandats à zéro, pour l’ancien président. Il pourrait alors se présenter, pour un nouveau bail de deux mandats, et l’obtenir, pour peu que son successeur ait le bon esprit  de lui céder la place, « démocratiquement » parlant, bien sûr (à la Poutine ou non)… nouveau cycle impérativement conclu, lui aussi, par l’avènement d’un autre candidat, et ainsi de suite.

« C’est ce système dont parle le président Mohamed Abdel Aziz… », poursuit Lô Gourmo, avant d’ajouter, aussitôt : « et qu’il confond avec le nôtre. Le cas de la Mauritanie est en effet radical : deux mandats et tout est fini, pour toujours. Appuyant le fameux article 28 de la Constitution mauritanienne (voir encadré ci-contre), l’article 99 dit, en effet, que « le mandat du président de la République est de cinq ans, renouvelable une seule fois ». Nulle mention de consécutivité : après deux mandats, consécutifs ou non, le Président est rendu à sa vie de citoyen, frappé définitivement d’inéligibilité à la présidence de la République. Non pas qu’il lui soit interdit de servir son pays, bien sûr, mais, définitivement éloigné de la fonction présidentielle, il lui faudra choisir une autre voie. En Mauritanie, pas de scénario à la Poutine, donc. Autrement, ce serait un coup d’Etat. Un de plus.

Au final et au constat de si divergentes lectures de la loi fondamentale, on peut juste se demander si le débat, sur un troisième mandat anticonstitutionnel de l’actuel locataire du Palais de la République, clos pour 2019, n’ait été simplement différé… jusqu’en  2024.

AS

 

Encadré

La disposition constitutionnelle qui règle la question.

L’article 28 de la Constitution mauritanienne de Juillet 1991, amendée, par voie référendaire, le 25 Juin 2006, affirme que « le président de la République est rééligible une seule fois ». L’article 29 ajoute : « Avant de rentrer en fonction, le président de la République prête serment en ces termes : je jure, par Allah l’Unique, de bien et  fidèlement remplir mes fonctions, dans le respect de la Constitution et des lois, de veiller à l’intérêt du peuple mauritanien, de sauvegarder l’indépendance et la souveraineté du pays, l’unité de la patrie et l’intégrité du territoire national. Je jure, par Allah  l’Unique, de ne point prendre ni soutenir directement ou indirectement, une initiative qui pourrait conduire  à la révision des dispositions constitutionnelles relatives à la durée du mandat du président et au régime de son renouvellement, prévues aux articles 26 et 28  de la présente Constitution ».

Les modifications introduites dans la Constitution du 20 Juillet 1991, grâce à la consultation référendaire du 25 Juin 2006, furent le fruit d’une large concertation, impliquant de nombreuses parties prenantes. D’où l’adoption d’un nouveau  contrat social dont la vertu cardinale est de fixer  une frontière infranchissable.