Concession de trente ans pour OLAM au PANPA : Le scandale

15 November, 2018 - 01:16

La concession des terminaux à conteneurs, au profit de  divers opérateurs privés, dans les ports africains, anime régulièrement les débats sur le continent. Pour cause, beaucoup de  contrats  signés en marge des règles régissant les marchés publics, et  réalisés « sous la robe », dans une totale opacité. Le cas récent du port  de Nouakchott risque fort de grossir le chapelet de ces exemples et  devrait figurer en bonne  place dans la rubrique « controverse ».

Car beaucoup  des zones d’ombre demeurent : absence d’appel d’offres,  états de services du partenaire attributaire, inconnu au bataillon des entreprises dotées d’une solide expérience portuaire. Pis encore,   même les chiffres de   recettes  prévues  par le gouvernement suscitent la méfiance de l’opinion. C’est un  Comité Interministériel  pour le Développement des Partenariats Publics–Privés (PPP)  en Mauritanie, présenté comme « un organe de décision,  de validation  et d’orientation  du cadre institutionnel de pilotage » de tous les contrats relevant de ce nouveau concept, qui a  attribué  un terminal à conteneurs à l’entreprise « Arise-Mauritanie SA », au Port Autonome de Nouakchott, dit Port de l’Amitié (PANPA). Une décision prise au terme d’une réunion le 05 Octobre 2018.

Ledit comité interministériel est composé du Premier ministre et  de sept de ses collègues : justice, économie et finances, équipement et transports, pêche et économie maritime, agriculture, hydraulique et assainissement. La réunion citée en référence avait eu lieu sous la conduite de Yahya ould Hademine, alors Premier ministre. Etaient également  présents tous les responsables des départements ministériels cités,  la directrice de  cabinet du Premier ministre et le président du comité  technique d’appui au développement du PPP.

Le procès-verbal, établi à l’issue de la rencontre, édicte qu’il est « attribué, à la société Arise-Mauritanie SA,  une concession, portant sur le financement, la construction et l’exploitation  d’un terminal à conteneurs, et d’une jetée portuaire au Port Autonome de Nouakchott, sur une durée de trente ans, à compter de la date de mise en exploitation des infrastructures de la société ».

 

L’hinterland malien en point de mire

A  travers la nouvelle concession, le gouvernement « souhaite améliorer, développer  le port de Nouakchott  et capter une partie des volumes  des marchandises destinées au Mali (fuel, bitume, conteneurs et autres marchandises) qui transitent par d’autres ports régionaux, et entend confier, au secteur privé,  la réalisation des investissements requis et la gestion du port ».

A signaler que les marchandises à destination du Mali  transitent par plusieurs ports ouest-africains. En bonne position dans cette catégorie, on retrouve Dakar et Abidjan, qui disposent des installations les mieux adaptés, par rapport aux autres concurrents régionaux. Dans cette compétition, également Conakry, Lomé, Cotonou, alors que la Mauritanie, frontalière du Mali sur deux milliers de kilomètres, dispose d’une position géographique susceptible d’offrir un certain  avantage comparatif.

 

Contrat à des conditions « avantageuses »

Sur sa page « Facebook » le  ministre de l’Economie et des finances, Moctar ould Diay, soutient que la nouvelle concession portuaire prévoit des conditions « avantageuses » pour la Mauritanie. Il en expose les   éléments de fond, expliquant que la société concessionnaire « va consentir un investissement initial de 390 millions de dollars US. Elle paiera, au port,  50 dollars pour chaque conteneur de 20 pieds et  75 dollars  pour un conteneur de  40 pieds. 2 dollars seront versés pour tout  mètre cube d’hydrocarbure débarqué, soit 550 millions de dollars pendant la durée de la convention (soit 2 milliards d’ouguiyas  anciennes ouguiyas par an). Par ailleurs, 750 emplois temporaires  seront établis, pendant  la période des travaux, et 500 emplois permanents, au-delà de la réalisation des infrastructures nécessaires à la matérialisation du contrat ».

Face au tableau idyllique dressé par le ministre,  il faut  juste rappeler  la célèbre citation  anglaise : il

existe «trois  sortes de mensonges : les petits, les gros et les statitisques ». De fait, si le contrat est aussi juteux, pourquoi  n’a-t-il pas fait l’objet d’un appel d’offres  internationales ?

                      

Aucun appel d’offres

Dans les usages des  marchés publics, « le  gré à gré est une procédure exceptionnelle »,  seulement justifiée par l’urgence. En cédant un terminal à conteneurs du port de Nouakchott à « Arise-Mauritanie » qui est,  en fait, une filiale d’OLAM, une entreprise de Singapour spécialisée dans le négoce et le courtage des denrées alimentaires, avec un chiffre d’affaires estimé à 11 milliards de dollars,  le gouvernement opère un choix qui induit une foule d’interrogations et donc, forcément, des contestations véhémentes.

Il faut d’ailleurs signaler que les négociations initiales ayant abouti au contrat du 5 Octobre impliquaient l’Etat  et une société appelée « Panthera Mauritanie SA » – entité totalement inconnue  –  qui a disparu des tablettes au moment de la finalisation de l’accord. Et ce qu’il faut retenir, c’est qu’à  l’évocation du nom de la société « OLAM », on pense, automatiquement, à  l’huile de palme  et à la déforestation. Autant dire que  l’expérience de la société mère  d’Arise-Mauritanie SA, dans le domaine « activités de concession portuaire », paraît fort limitée, pour ne pas dire nulle. Le seul épisode connu, récent,  très controversé,  agite actuellement le débat politique et économique au Gabon. La multinationale de Singapour étend ses tentacules partout, jusqu’à se rendre incontournable en tout, dans des domaines totalement étrangers à son objet originel.

Se référant à  la loi instituant les contrats de PPP en Mauritanie, le ministre de l’Economie et des finances soutient  que l’attribution à « Arise-Mauritanie » fut le résultat « d’une offre spontanée, rendant inutile le lancement  d’appels d’offres.   Mais l’acceptation d’une offre, même spontanée, sans concurrence, reste bel et bien une entorse aux règles de bonne gouvernance, dans toutes les législations du Monde.

Au finish, on est encore, dans  le cas de la Mauritanie,  en face « d’un contrat aux contours mal définis, laissant  une beaucoup trop large  marge de manœuvres  à l’entreprise contractante. Un lien   conclu dans la précipitation,  en violation  des dispositions de la nouvelle  loi instituant les PPP et son décret d’application », déplore un observateur.

                Ben Abdallah

Les conditionnalités d’un PPP
 

La loi 2017 du 06 février 2017, relative aux contrats de Partenariat Public/Privé (PPP), en son article 2019  prévoit  que «le recours à une procédure négociée, sans publicité, ni mise en concurrence, qui n’est possible  que dans les cas limités suivants :
Lorsque les besoins ne peuvent  être satisfaits pour des considérations techniques ou  juridiques, que par une prestation nécessitant l’emploi d’un brevet  d’invention, d’une licence ou de droits exclusifs, détenus par un seul opérateur.
Dans les circonstances exceptionnelles en réponse  à des catastrophes naturelles.
Pour des contrats conclus entre une autorité  contractante et un contractant sur lequel elle exerce un contrôle  comparable à celui sur ses propres services  qui réalisent l’essentiel de ses activités  pour lui, à condition que,  même si ce contractant  n’est pas une autorité, il applique  pour répondre à ses besoins, les dispositions prévues par la présente loi.
Pour des  raisons de défense nationale ou de sécurité publique.
Lorsqu’une autorité entend conclure  un contrat de PPP par le biais d’une procédure négociée, elle doit réaliser une évaluation préalable et de la soutenabilité budgétaire, qui conclut en la nécessité  de recourir à une  procédure négociée ».
L’article 21 de la même loi expose les conditions de prise en compte de l’offre spontanée: « une autorité contractante ne peut prendre en compte  une offre spontanée que sous les conditions cumulatives suivantes :
Le projet n’est pas en cours d’études par une personne publique et aucune procédure de mise en concurrence  n’est entamée.
Les conditions de recours prévues à l’article 04 de la présente  loi sont réunies.
Une décision du Conseil des Ministres autorise l’intégration du projet dans le portefeuille de projets  d’investissements publics ».
Par ailleurs, pour le traitement des offres spontanées, la  loi de février 2017 ajoute que  « l’autorité contractante  réalise le projet autorisé sous les conditions énumérées ci-dessus, sur la base d’une évaluation préalable de la soutenabilité  budgétaire favorable à la réalisation du projet en contrat de PPP :
Elle lance un appel d’offres ou un dialogue  compétitif auquel l’opérateur peut soumissionner.
S’il n’est pas retenu, l’autorité  pourra lui verser  une indemnité spéciale pour avoir  contribué à la faisabilité d’un projet.
Soit l’autorité contractante  a recours à la procédure négociée si elle estime que l’offre spontanée revêt un caractère innovant et qu’elle est sur le plan financier compétitive, ou qu’elle est justifiée au titre d’un droit exclusif du soumissionnaire ».