Les chauffeurs routiers et le «droit de tuer»

4 October, 2014 - 16:28

J’ai été interloqué par les propos tenus par les représentants des chauffeurs routiers,  hier soir, sur la chaine  de télévision publique, au sujet des raisons de leur grève actuelle. Sur quatre revendications, les chauffeurs ont obtenu gain de cause sur trois d’entre elles; ils seront désormais personnellement assurés, par leurs employeurs, contre les risques d’accidents routiers et seront affiliés à la Caisse nationale de sécurité sociale, du moins pour ceux travaillant dans le secteur formel, pour les autres la solution consiste à mettre sur pied une mutuelle, ils verront les redevances («sauvages», car  laissées à la seule  appréciation de chaque Conseil municipal) perçues par les communes et celles prélevées par  l’Autorité de régulation, unifiées pour éviter la sur-taxation  et ils ont obtenu gain de  cause sur l’application de la règle  de réciprocité, en ce qui concerne les  pays qui interdisent aux Mauritaniens d’exercer le métier de transporteurs sur leurs sols, avec l’introduction du «permis vert».  Le quatrième point  de la plate-forme revendicative consiste à exiger une sorte d’immunité pénale des chauffeurs routiers, pour les accidents de la route mortels. La loi mauritanienne qui prévoit six mois de prison et/ou une amende de deux millions d’Ouguiyas, est la moins répressive  de la sous-région ; les chauffeurs routiers ont été invités, par les pouvoirs publics, à envoyer six de leurs représentants pour s’imprégner des pratiques en la matière, dans les pays voisins. Ils ont opposé une fin de non-recevoir à cette proposition pourtant pleine de bon sens.  En réalité, la loi concerne tous les chauffeurs du pays, professionnelles ou non,  et ne saurait donc être supprimée ou allégée pour une catégorie de citoyens, en vertu du caractère   «général» de  toute  loi. Elle répond à un impératif de protection de la vie des citoyens, face au comportement peu civique du chauffeurmauritanien «Lambda»  et de nombre de  chauffeurs routiers en particulier, pour qui le camion semi-remorque sert souvent d’arme de guerre imparable…  L’hécatombe que révèlent les statistiques lugubres des accidents de la circulation automobile, exige des mesures draconiennes, pour éviter que les vies  des enfants, des femmes et des hommes  de ce pays, ne soient fauchées  sur nos routes, au rythme de celles des gerboises! Le respect de la vie en général et de la vie humaine en particulier, est à la base de notre sainte religion,   le remettre en cause équivaudrait à démolir le socle de notre civilisation, au profit d’une anarchie qui n’épargnerait personne, pas même ses promoteurs! Les chauffeurs routiers en grève, pour obtenir le «droit de tuer», oublient-ils que leurs victimes potentielles incluent leurs proches et ceux de leurs collègues?

En dehors du contrepoids de la responsabilité et du filtre du savoir-vivre, la liberté absolue peut se révéler aussi dangereuse que la pire des répressions. A ce sujet, un débat de société est désormais nécessaire dans notre pays, pour conscientiser les chantres de la déraison et de  l’excès. Par ailleurs, ceux qui tablent politiquement sur les remous sociaux propres à une démocratisation accélérée de notre société, en seront pour leurs frais… 

Sur un plan général et indépendamment de l’opportunité ou de la légitimité de telle ou telle revendication syndicale, exiger de l’Etat de modifier instantanément une loi, révèle une dangereuse cécité citoyenne (nul n’est censé ignorer la loi); en effet, seul le parlement est habilité à adopter les lois. Les modalités de sa convocation ne sont pas instantanées et l’issue de ses débats n’est pas prévisible à tous les coups.  

Pour le respect de la vie et pour favoriser le progrès, l’intelligentsia mauritanienne doit se mobiliser pour permettre aux libertés (syndicales et autres), acquises sous l’autorité du président Aziz, de se développer davantage, sans risques de les voir  transformées  en épée de Damoclès contre la pérennité de notre Etat qui  reste, en définitive, l’unique garantde ces libertés. 

 

 

Dr Sidi Ould Ahmed