Me Ahmed Salem Ould Bouhoubeini, après son retrait de la présidentielle du 21 juin: ‘’La participation aux élections aura pour principal effet de légitimer la réélection de Mohamed Ould Abdel Aziz’’

18 June, 2014 - 13:53

Le Calame : Quelque 72 heures du dépôt de votre candidature, vous avez décidé de vous retirer de la course. Ne saviez- vous  pas  qu’avec l’échec du dialogue entre le pouvoir et l’opposition, vos chances étaient maigres pour ne pas dire nulles  devant le président sortant ou continuiez-vous à espérer  que les tractations entre le FNDU et le pouvoir allaient aboutir à un consensus?

 

 Me Ahmed Salem Ould Bouhoubeini : En fait nous sommes une équipe formée essentiellement de cadres et de jeunes qui aspirent à une nouvelle vision politique focalisée sur le citoyen, sur l'amélioration de ses conditions de vie, sur l'égal accès des citoyens aux services publics ( justice, éducation, santé) tout en sachant que cet idéal ne peut être conçu que dans un Etat de droit qui consacre la primauté de la loi.

Nous estimons en conséquence que la Mauritanie a tout intérêt à rompre avec les régimes militaires par une transition qui rétablit les institutions de la République, voici en gros notre approche.

En ce qui concerne ma candidature et son retrait quelques jours plus tard, nous étions divisés en deux groupes. Le premier, hostile à la politique de la chaise vide, était favorable à la candidature, avec des arguments très pertinents. 

Le second considère que la participation est ridicule dans un contexte marqué par l'absence des conditions minima de transparence. Les tenants de cette thèse considèrent, à juste titre, que la participation aux élections aura pour principal effet de légitimer la réélection de Mohamed Ould Abdel Aziz dans un contexte marqué par le boycott de l'ensemble des partis d'opposition.

Nous n'avons pas pu trancher ce débat la veille de la date limite du dépôt des candidatures, nous avons dès lors fait acte de dépôt de la candidature tout en continuant les discussions qui ont abouti à la décision du boycott, d'où le retrait de la candidature quelques heures avant la publication de la liste définitive des candidats.

Entretemps, il est vrai que nous avons eu des discussions fructueuses avec le forum national pour la démocratie et l'unité à travers son président.

 

En justifiant votre retrait, vous avez avancé  deux arguments : absence de garanties  de transparence et demande du FNDU. Pourtant rien n'a changé entre le dépôt de votre liste et son retrait. Lequel  a le plus pesé sur votre décision ?

Les arguments sont ceux que je viens de citer en partie. Je me réserve le droit de ne pas dévoiler d'autres arguments pour l'instant.

Le projet que je voulais proposer au peuple Mauritanien est un projet ambitieux. Il ne s'agit pas seulement d'une ambition personnelle, si tel était le cas j'aurai, sans hésiter, maintenu ma candidature.

Vous savez bien que la conjoncture était favorable à une ascension personnelle. Beaucoup de citoyens avaient des intentions de vote favorables. Je ne suis pas le candidat le plus mauvais et j'allais certainement bénéficier du vote défavorable à Mohamed Abdel Aziz,

Les dirigeants de l'opposition boycottent mais forcément une partie de leur électorat, le pouvoir n'entrave pas ma candidature, il s'agit donc d'une opportunité si je n'étais animé que d'une ambition personnelle.

Seulement mon projet visait un intérêt général et je n'ai pas trouvé que ses conditions étaient réunies dans ce contexte.

J'ai eu, avec mes amis, l'intime conviction qu'il ne s'agit point du moment idéal pour proposer notre projet aux Mauritaniens.

 

Vous faites partie de ceux qui ont contribué à la création du FNDU avant de vous éloigner. Que s’est-il passé ensuite ?

 

Je me retrouve dans le FNDU et je ne m'en suis pas éloigné mais j'ai une marge d'indépendance à laquelle je tiens.

 

Est-ce parce que vous aviez acquis la certitude que le FNDU n’allait pas faire de vous son candidat unique comme l’ont laissé croire certaines rumeurs  ou il y a d’autres raisons?

 

Le FNDU ne s'est jamais posé la question de la candidature unique pour la simple raison qu'il ne s'est même pas prononcé, lors de ses assises, sur la question de la participation ou non aux élections.

 

  A quel moment précis avez décidé de vous lancer dans la course de la présidentielle et peut-on en connaître les raisons?

 

L'année dernière, suite à un constat simple. Lors d'une journée organisée par l'ordre national des avocats sur le thème : restauration de l'Etat de droit,  nous avons acquis la certitude que la solution des problèmes de notre pays passe par la restauration d'un État de droit avec une justice indépendante, la primauté de la loi et son corollaire relatif à l'égalité. Or il se trouve que c'est le combat que je mène depuis longtemps et il n'y a pas mieux comme projet politique.

 

A votre avis, après avoir boycotté les élections municipales et législatives, le FNDU ne prend-il  pas  le risque d’implosion  surtout si le taux de participation, enjeu du scrutin,  est bon ou s'il atteint ou dépasse celui de novembre et décembre derniers?

 

Le FNDU n'a pas boycotté les élections municipales et législatives, il n'existait pas encore, ensuite certains des partis politiques qui composent le FNDU n'ont pas boycotté ces élections.

La question n'est pas là. Ce qu'il convient de se poser, c'est la question de savoir si, d'une part, avec le boycott de l'opposition, ces élections sont crédibles. À mon avis non, et, d'autre part, est-ce que l'opposition a raison de boycotter ces élections, à mon avis oui.

Je ne prends que l'exemple de la CENI. Il était tout à fait normal de tirer les conséquences des défaillances notoires constatées lors des élections municipales et législatives passées où nous avons assisté à des élections à trois tours et où le procès verbal du bureau de vote faisait défaut, si bien que l'auteur d'une réclamation n'avait aucune base pour fonder ses prétentions.

Pour ne citer que cet exemple, personne ne peut se lancer dans une course supervisée par une telle CENI.

Je ne suis pas parmi ceux qui réclamaient un gouvernement d'union nationale ni même le changement en profondeur de la CENI mais le minimum.

 

A votre avis, quelle est la véritable pomme de discorde entre le pouvoir et son opposition dite radicale ? 

 

Je pense qu'il existe une crise profonde de confiance et le pouvoir n'a pas fourni l'effort qu'il faut, ce qui ne veut pas dire que l'opposition n'a pas sa part de responsabilité. Ceci dit force est de constater qu'entre les deux, le citoyen se cherche et à mon avis, les politiques ont tout intérêt à faire un effort considérable pour l'approcher tant le fossé se creuse.

 

Sauf  miracle, les mauritaniens iront voter le 21 juin. Quel message leur adressez-vous ?

 

Mon message, je ne l'adresse pas aux citoyens qui vont voter le 21 juin, je n'accorde aucune importance à ce scrutin. Mon message, je l'adresse aux Mauritaniens de façon générale : je suis inquiet. Je suis inquiet en observant le retour en force du tribalisme, je suis inquiet quant à l'unité nationale

Un autre motif d'inquiétude réside dans les disparités entre nos richesses et les conditions de vie de nos citoyens marquées par le chômage, la pauvreté particulièrement dans les milieux de la jeunesse.

La démission de l'élite m'inquiète également. J'ai vu des cadres en première ligne dans les initiatives tribales et familiales.

J'ai entendu ceux qui m'ont dit je voterai pour toi mais je ne peux pas m'afficher, ceux qui m'ont dit je ne peux pas m'afficher à tes côtés car je suis un fonctionnaire (comme si le statut de fonctionnaire impose le vote dans une direction particulière).

Je dis à tous ceux là, à cette élite, l'histoire retiendra que vous avez démissionné, vous porterez une responsabilité dans ce qui adviendra à la Mauritanie.

 

Vous n’êtes pas candidat cette année, ou du moins pour le 21 juin. Vous  quittez le bâtonnat. Qu’allez-vous faire  après ? Créer un parti politique, intégrer l’un de ceux qui existent ou rester indépendant ?

 

Je tiens à deux choses : mon indépendance et le combat au service d'un État de droit où règne la justice. Mon action future sera guidée par ces deux impératifs.

 

En dépit de la tension politique que vit la Mauritanie, la communauté internationale reste sourde, ce qui signifie d’une certaine manière un soutien au régime en place. L’opposition n’a-t-elle échoué sur le plan diplomatique ?

 

Je ne sais pas si on peut l'appeler échec, toujours est-il que l'opposition n'a pas réussi à convaincre la communauté internationale.

Une communauté internationale qui, comme vous le dites, est sourde.

Il y a incontestablement un recul de la part de la communauté internationale quant à son exigence de démocratisation au profit de considérations du genre intérêts, sécurité.

Mais je pense qu'elle fait erreur car ses intérêts seront mieux sauvegardés dans un espace démocratique et la sécurité est en grande partie liée à la réalisation des aspirations des peuples frustrés qui risquent à tout moment l'explosion et le radicalisme.

 

La police  a réprimé violemment l’accueil  de la marche  pacifique des rapatriés venus « exposer leurs problèmes  au président de la République ». Quelques jours avant, ce sont les Haratine qui ont marché pour réclamer plus de « doits politiques, économiques et sociaux ». Que vous inspire ces sorties ?

 

Mon projet confond les rapatriés, les Haratines et les autres citoyens. Il envisage de développer la citoyenneté Mauritanienne.

Je constate amèrement qu'au cours de ces cinq dernières années,  les noirs sont devenus plus noirs que citoyens, les Haratine plus Haratines que citoyens, certains fragments de la société arabe aussi. Sans doute ont-ils leurs raisons. Toujours est-il que ceci me confirme que mon projet devient de plus en plus urgent.

 

 

Avez-vous un message à l’endroit des candidats en lice ?

 

Aux candidats non, mais aux citoyens oui. Je souhaite dire aux citoyens que le pays a beaucoup d'opportunités et mérite plus que son statut actuel.

La jeunesse doit prendre ses responsabilités et exceller là où les autres ont échoué.

 

 

Propos recueillis par AOC