Comment éradiquer les fléaux de la pauvreté et de la précarité en Mauritanie et alléger considérablement les charges sociales de l'Etat ? Un moyen original et inédit : L'Administration nationale de la Zakat (Suite et fin)/Par Moussa Hormat-Allah

26 July, 2018 - 03:49

L’importance de la zakat en islam et  les barèmes pour son recouvrement

L'islam accorde un intérêt particulier aux personnes vulnérables. Cet intérêt est la clé de voûte du système social islamique qui repose sur la solidarité entre les différentes composantes de la société.

Si le modèle de solidarité sociale prôné par l'islam venait à être appliqué à la lettre, le cours de l'histoire de l'humanité en serait profondément bouleversé. Ce serait probablement, la fin de phénomènes récurrents comme la pauvreté, la précarité ou l'exclusion en terre d’islam. Ce serait aussi, sans doute, la fin des crises économiques, financières, des tensions sociales, des violences urbaines et cela aboutira à une réduction sensible des actes de délinquance…

Le système islamique de solidarité repose sur trois piliers essentiels :

  • La zakat, un impôt prélevé sur les riches pour être distribué aux pauvres et aux démunis ;
  • Al awqaf ;
  • Un système bancaire prohibant l'usure et la spéculation.

Le modèle économique islamique qui est d'inspiration divine constitue une voie médiane entre le socialisme et le capitalisme, à l'image de l'islam, lui-même qui est une religion du juste milieu. Ce modèle n'a jamais été expérimenté à grande échelle. En revanche, le socialisme a fait faillite et le capitalisme, au-delà des apparences, est en train de vivre les soubresauts de l'agonie.

La zakat, impôt sur les riches reversé aux pauvres représente la pierre angulaire du modèle économique islamique. En effet, l'islam considère que les pauvres sont des associés des riches.

La zakat n'est pas, comme on peut le penser, une obole offerte au pauvre par le riche mais un droit dû au pauvre sur les biens du riche. L'injonction divine faite au Prophète est sans appel: "Prélève sur leurs biens une part pour les purifier et élever leurs âmes".(1)

Ainsi tout capital, générateur ou non de revenus, possédé par un musulman est frappé d'un impôt – zakat ou aumône légale – au profit de la solidarité sociale. Voici grosso modo, les barèmes :

  • Pour l'agriculture non irriguée et non mécanisée donc ne nécessitant pas d'investissements 10%;
  • Pour l'agriculture irriguée, la zakat est à percevoir à hauteur de 2,5% ;
  • Pour les activités commerciales ou industrielles : 2,5 % ;
  • Pour les richesses minières: 5%;
  • Pour le bétail: à partir de 2,5% comme premier seuil. Elle se définit, pour chaque type de cheptel, (ovins, caprins, bovins, camelins) à partir d'un nombre déterminé de têtes et sa progression suit le croît du bétail concerné.
  • Ceux qui thésaurisent des fortunes qui ne sont pas dans le circuit économique doivent payer la zakat: comptes bloqués, propriétés foncières,(2) or, pierres précieuses(3)…

Le produit de cette aumône légale est alloué aux pauvres et aux nécessiteux : "[Sachez que] les ayants droit à l'aumône sont: les pauvres, les nécessiteux, ceux qui travaillent à son recouvrement, les néophytes pour s'en rallier les cœurs, les captifs [pour qu'ils se rachètent], ceux qui sont accablés de dettes, ceux qui luttent pour la cause d'Allah et le voyageur démuni".(4)

La zakat étant une obligation, l'intention de la verser aux pauvres doit en précéder le versement. La zakat est due par tout musulman libre, majeur, saint d'esprit, et ayant un revenu minimum fixé par la loi islamique. Pas de zakat sur un bien à moins que son propriétaire ne la possède depuis un an.(5)

Les "dhimmis", ressortissants non musulmans de l'Etat musulman bénéficient aussi, le cas échéant, de la zakat et du Khoums.(6) Une partie de la zakat peut également être affectée aux sinistrés…

 

L’argent généré par les revenus de la zakat a une affectation

spécifique et exclusive : l’amélioration des conditions de vie des pauvres

 

On vient de passer en revue certains des aspects bénéfiques de l'institution encadrée de la zakat. En résumé, on peut mettre en exergue deux points: l'amélioration significative du pouvoir d'achat des démunis d'une part, et, d'autre part, l'augmentation des recettes fiscales de l'Etat, notamment, à travers la TVA.

On peut dire en conclusion que l'instauration d'un système de solidarité comme celui de la zakat permettrait aujourd'hui, s'il est appliqué convenablement, de doter les Etats arabes de ressources financières supplémentaires colossales qui seraient à même, sinon de résoudre tous les problèmes sociaux des classes défavorisées, du moins de contribuer grandement à leur solution.

Toutefois, une remarque importante s'impose ici. Le budget de l'ANZ sera probablement plus important que le budget de l'Etat lui-même. La tentation serait alors très forte pour les gouvernants de puiser dans ces fonds. Chercher à renflouer les caisses de l'Etat à partir de l'argent de la zakat serait un manquement gravissime aux prescriptions religieuses. Le produit de cette aumône légale a une affectation spécifique et exclusive: l'assistance aux pauvres et aux démunis.(7) Dans cette optique, l'ANZ pourra créer, sur le modèle islamique, une banque – qui sera probablement la plus importante du pays – pour le financement du logement social, les microprojets, les centres de santé comme les dispensaires de quartier, les bourses pour les enfants des pauvres, les allocations mensuelles d'indigence ou d'infirmité, etc., etc.

L'ANZ pourra, aussi, suivant la formule islamique placer, par ailleurs, certains de ses avoirs, moyennant rémunération, dans d'autres banques.

Une campagne d'explication et de sensibilisation devra être menée à grande échelle avec un argument sans appel: la zakat est une obligation religieuse au même titre que la prière. L'Etat pourra même exiger pour l'établissement de tout document administratif: passeport, carte d'identité nationale, signature ou légalisation de toute transaction… un quitus de la part des personnes éligibles à l'acquittement de la zakat.

 

 

Quelques remarques d’ordre général

 

Pour clore ces développements, quelques remarques d'ordre général :

  • Avec la création d'une Administration de la zakat, on tordra le coup aux stéréotypes et autres clichés véhiculés par les islamophobes, notamment, en Occident qui donnent une image peu reluisante des musulmans. On montrera ainsi le vrai visage de l'islam: une religion de paix, de solidarité, d'entraide, de tolérance et de partage.
  • Pour des raisons religieuses et économiques, tout laisse à penser que l'Administration de la zakat qui s'assigne pour objectif d'éradiquer la pauvreté, sera accueillie avec un enthousiasme et une ferveur populaires débordants;
  • L'Etat providence a montré ses limites aussi bien dans les systèmes socialistes que libéraux. En France, par exemple, il y a, officiellement, 6 millions de chômeurs et près de 10 millions de pauvres.(8)
  • On ne devra jamais perdre de vue, par ailleurs, que les récentes révolutions arabes se sont déroulées sur fond d'inégalités sociales;
  • Avec l'institution de l'Administration de la zakat et l'amélioration du niveau de vie des classes sociales démunies, on contribuera grandement à apaiser les esprits et à calmer les tensions;
  • Avec un corollaire important: couper l'herbe sous les pieds des islamistes radicaux qui recrutent essentiellement leurs partisans parmi ces couches populaires.(9)

 

En résumé, la mise en œuvre de l’initiative que nous venons de passer en revue, pourra générer un budget, probablement, plus important que celui de l’Etat.

Ce budget colossal pourra sinon éradiquer la pauvreté en Mauritanie, du moins la réduire considérablement.

D’autant plus, que cette initiative ne coûtera pas une ouguiya à l’Etat. Bien au contraire, elle augmentera ses recettes, dopera le pouvoir d’achat et boostera la croissance.

Mieux, elle allégera considérablement les charges de l’Etat en finançant nombre d’infrastructures à caractère social : écoles, universités, dispensaires, hôpitaux, routes, indemnités mensuelles d’indigence versées aux pauvres, généralisation de l’implantation des ‘’boutiques Emel’’ dans toutes les villes, villages et autres bourgs, achat et distribution gratuite aux démunis des aliments de bétail, etc. Sans oublier l’eau et l’électricité dans les régions enclavées du pays.

En débarrassant ainsi l’Etat de toutes ces onéreuses dépenses, elle constituera un ballon d’oxygène pour l’économie nationale dans l’attente des revenus financiers prometteurs générés par l’exploitation prochaine des hydrocarbures. Elle apaisera aussi les velléités de tension interne et renforcera la pérennité des institutions nationales.

Enfin, la mise en œuvre de cette initiative constituera une première mondiale qui sera, probablement, copiée par les Etats arabes et musulmans. Tout donne à penser qu’elle sera, par ailleurs, un modèle de solidarité originale qui sera enseigné dans les universités du monde entier.

 

Remarque et observations

 

  • D’aucuns pourraient rétorquer qu’ils préfèrent verser la zakat à des proches nécessiteux. Cette pratique, héritée d’une vieille tradition est devenue la règle dans beaucoup de pays musulmans. Au-delà de cette intention fort louable, il n’en demeure pas moins que cette pratique n’est pas, tout à fait, conforme à celle qui avait court au temps du Prophète et des califes bien guidés. La zakat était alors perçue et versée dans le Trésor public (Bayat almâal). Puis, redistribuée aux pauvres et aux démunis.

Cette pratique d’acquittement de la zakat en vigueur aujourd’hui a, entre autres explications, une raison historique : Après l’éclatement de l’empire musulman, on a perdu, avec le temps, la notion d’Etat central. Après Médine, Damas, Baghdad…, on a assisté à l’apparition d’entités autonomes. Les centres du pouvoir se sont ainsi multipliés et on a commencé à observer, pour des raisons souvent politiques, certaines déviances par rapport à l’orthodoxie religieuse originelle…

Quelque méritoire qu’elle soit, cette distribution de la zakat aux proches, ne peut répondre aux besoins de la masse des pauvres et des nécessiteux. Car elle reste, somme toute, un peu, comme une goutte d’eau dans un océan de pauvreté et de misère.

Pas de méprise. On doit faire la distinction entre la zakat et l’aumône. La première est obligatoire, la seconde facultative. Autant, on pourra faire des aumônes, à titre individuel, autant, on devra observer scrupuleusement, la destination originelle de la zakat telle que prévue par le Coran et la Sounna, laquelle destination n’est autre que le Trésor public. C’est pourquoi, LE LEGISLATEUR a voulu que celle-ci soit centralisée puis redistribuée pour améliorer, sans distinction, les conditions de vie des musulmans sans ressources.

 

  • Pour une transparence totale du fonctionnement de l’ANZ, le contrôle de la comptabilité et de la gestion de cette institution pourront faire l’objet d’un audit par un cabinet international d’experts indépendants qui publiera chaque fois, à cet effet, un rapport annuel sur son propre site.
  • L’opposition nationale devra être largement représentée notamment au sein du conseil d’administration de l’ANZ.
  • Le haut commissaire, administrateur de l’ANZ, devra être une personnalité connue pour sa droiture, sa probité et son intégrité morale. Sa désignation à ce poste devra se faire sur la base d’un consensus de la classe politique, toutes tendances confondues.
  • Des Assises nationales sur le sujet devront être tenues avec la participation de membres du gouvernement, du parlement, de partis politiques, de syndicats, d’oulémas, du patronat et de la société civile. Une vaste campagne d’explication et de sensibilisation sur la dimension religieuse et sociale de cette opération devra être menée sur l’ensemble du territoire national.
  • Dans l’intérêt bien compris du pays, toutes les forces vives de la Nation, quelle que soit leur étiquette politique, devront conjuguer leurs efforts pour la concrétisation de cette initiative.

Dans cette optique, il serait souhaitable que les formations politiques aussi bien de la majorité que de l’opposition placent cette initiative en tête de leur programme pour les élections à venir.

De même, il serait souhaitable que cette initiative soit relayée par les médias de tous bords sur fond d’un débat national.

Car il faut se rendre à l’évidence : l’Etat, quel qu’il soit et quelles que soient ses ressources propres, ne pourra jamais venir à bout des fléaux de la pauvreté et de la précarité. L’exemple de la France, pays riche, cité plus haut, avec ses millions de chômeurs et de pauvres, est parlant. Pourtant, tout a été fait dans l’Hexagone pour essayer d’enrayer ce phénomène de la pauvreté. Mais rien n’y fait. Ni les lois, ni les plans, ni les changements de majorité n’en sont venus à bout. Loin s’en faut. La pauvreté est toujours en progression en France.

Si des pays riches et fortement industrialisés, avouent leur impuissance face à ce problème, que dire alors des pays pauvres et sous-développés ? C’est pourquoi, il serait illusoire de croire que l’Etat, avec ses moyens d’intervention conventionnels, législatifs, financiers et économiques, puisse venir à bout de la pauvreté et de la précarité.

Seule une législation d’inspiration divine qui transcende les égoïsmes inhérents à la nature humaine et qui vise, à terme, le nivellement de la société, pourrait constituer une solution fiable et pérenne à ces fléaux.

Que l’on ne s’y trompe point. Ce sont les inégalités sociales qui sont à l’origine de la pauvreté. On doit pouvoir prélever un peu sur les biens des nantis pour améliorer les conditions de vie des plus démunis. C’est là où les législations humaines ont failli. Et, c’est là, en revanche, où la zakat, avec beaucoup d’équité et de justice, a montré la voie à suivre. La seule qui vaille.

  • Sur le plan intérieur, il va sans dire que cette initiative emportera l’adhésion massive et spontanée de Mauritaniens. A l’étranger, notamment en Occident, on y verra, probablement, un moyen original, efficient et inédit pour lutter contre les inégalités sociales qui sont à l’origine de troubles récurrents de plus en plus graves, un peu partout dans le monde. Et, naturellement, on y verra aussi la négation du prisme déformant de l’idéologie dévastatrice des mouvements ‘’jihadistes’’ qui altère l’image de l’islam qui est une religion de paix, de tolérance, de partage et de solidarité.

 

Moussa Hormat-Allah

Professeur d’université

Lauréat du Prix Chinguitt

 

Notes

 

 

1- Sourate Le Repentir, Verset 103.

 

2. En location ou faisant l'objet d'une activité économique régulière.

 

3. Exceptés les bijoux à usage personnel possédés par les femmes.

 

4. Sourate le Repentir, Verset 60.

 

5. cf. L'ouvrage publié par le Conseil supérieur des Affaires islamiques d'Egypte, al Ahram   commercial presses, 1993.

 

6. Khums: c'est le cinquième du butin que le Prophète redistribuait aux pauvres et aux démunis. Le Messager d'Allah réservait aussi aux dhimmis une part de la zakat et du Khoums.

 

7. Ainsi que la réalisation des actions et projets d'utilité générale.

 

8. cf. Déclaration de François Fillon, ancien premier ministre, candidat à l'élection présidentielle 2017, le mardi 03/01/2017 sur Itélé; LCI et BFMTV.

 

9. Passages extraits du livre Les Gouvernants arabes et l’Islam de Moussa Hormat-Allah.