Les Trarza et la résistance anti-coloniale (1)

29 March, 2018 - 02:14

La résistance au colonialisme est devenue un sujet de choix, depuis que le président de la République en a fait un enjeu culturel. Quasiment toute la classe politique passe une bonne partie de son temps à polémiquer là-dessus. Les opportunistes profitent de la moindre occasion pour la valoriser, histoire de plaire aux hautes autorités. Tout cadre ou intellectuel en souci d’être bien noté par le pouvoir, écrit ou parle de la résistance, relatant ou imaginant d’épiques batailles où les siens avaient donné du fil à retordre aux colons. Toute action violente, tout  acte de pillage ou même conflit tribal du début du 20ème siècle sont ainsi systématiquement reconfigurés en actes de résistance… La plupart de ces nouveaux historiens « d’occasion » considèrent le Trarza comme la région qui résista le moins ; pire, affirment-ils, facilita l’entrée des colons au pays.

Et, certes, deux influents chefs spirituels – Babba ould Cheikh Sidiya et Cheikh Saad Bouh – s’y employèrent. Ils avaient leurs raisons, considérant l’arrivée de l’autorité coloniale comme facteur de stabilité, paix et justice, pour un meilleur développement… Mais cela ne signifie, évidemment pas, que ce grand émirat, un des rares, alors, à pouvoir présenter les critères d’un pays souverain, ne résista pas du tout. Nous allons, ici, édifier nos lecteurs, sur la résistance opposée, par les Terrouzis, aux puissances européennes qui s’employaient, aux 17ème, 18ème et 19ème siècles, à coloniser le territoire mauritanien et le Nord du Sénégal sous tutelle de l’émirat.

 Selon beaucoup de documents et manuscrits historiques, tant européens que nationaux, les armées des différents émirs du Trarza empêchèrent, à plusieurs reprises, les puissances européennes de pénétrer en Mauritanie et, même, au Waloo, au N’diambour  et au Cayor du Sénégal alors sous contrôle terrouzi. A la fin du 17ème siècle, le premier émir et célèbre vainqueur de Char Boubba (qui opposa au 17ème siècle les guerriers et les marabouts et s’acheva par la défaite de ces derniers), Heddy ould Ahmed ben Damane (qui régna de 1636 à 1684), connut plusieurs escarmouches avec les marins hollandais, portugais, anglais et français. Il finit par les obliger à signer des traités qui respectaient la souveraineté du Trarza. Ces marins avaient construit, à cette époque, le quai du port Heddi, aujourd’hui Portendik, au Sud de Nouadhibou, pour l’exportation des marchandises locales vers l’Europe, comme les peaux et la gomme arabique. Son fils, l’émir Siyid ould Heddi (règne : 1684-1687) poursuivit l’œuvre de son père et signa, lui aussi, quelques traités avec les Européens, malgré la brièveté de son gouvernement.   

 

Traité avec le Roi de Prusse

Durant la guerre de Char Boubba, les Européens avaient profité de l’affairement des guerriers terrouzis pour enlever et réduire en esclavage plusieurs membres des tribus voisines de la côte. Cette activité prit fin avec l’arrivée au pouvoir de l’émir Amar ould Heddi, dit Amar  Agjeyil (1687-1702) qui combattit les Portugais et les Hollandais, pendant quelques années. Il en fit même quelques prisonniers, selon plusieurs rapports de la marine portugaise. Plusieurs de ceux-ci, sinon tous, se convertirent par la suite à l’islam et s’insérèrent dans la société maure.  L’émir Amar Agjeyil finit par dénoncer tous les traités précédents, informant les Hollandais, Portugais et Français qu’ils étaient, désormais, « persona non grata », avant de les chasser définitivement de la zone. Il établit, alors, une alliance stratégique avec le roi de Prusse avec lequel il signa le fameux pacte d’amitié et de non- agression dont les textes, en arabe et traduits en allemand, sont  actuellement exposés dans un musée allemand. Du coup, Français et Anglais déplacèrent leurs comptoirs de commerce au Sénégal et en Gambie.

L’assassinat de l’émir Amar, au Ramadan de l’an 1702, au puits d’Aglil, à la frontière Nord de l’émirat, donna les rênes du pouvoir à son frère Ely Chandhora qui régna de 1702 à 1727, rétablissant la coopération avec les puissances que son frère avait évincées. Y gagnant la paix avec ses frères du Brakna, alors en guerre contre lui, le Trarza se voyait à renforcer une coopération avec les Français et les Anglais qui voulaient mettre la main sur la région. Quant aux Portugais et aux Hollandais, ils  avaient déjà commencé à se désintéresser de la zone.

À sa mort, son fils Amar ould Ely Chandhora (1727-1747) ne s’empressa pas de montrer patte blanche aux Français. Ses armées attaquèrent plusieurs bateaux accostés sur les côtes du Trarza. Les Français finirent par signer le fameux pacte « Abbakh » stipulant que tout bateau longeant nos côtes devait, obligatoirement, payer un gros montant, à l’émirat, appelé « amkouboul  et tout bateau  accostant, augmenter le pactole. Un bateau coulerait ou chavirerait-il ? L’émirat s’engageait à  sécuriser ses passagers survivants et leur assurer le transport vers Saint-Louis du Sénégal. Mais la cargaison reviendrait à l’émirat. Cela permit, aux Terrouzis, de mettre la main sur beaucoup de marchandises, armes et argent. La ferraille et le bois furent aussi exploités et vendus par les forgerons du Trarza.

 

Combats et dialogue

Entre 1747 et 1800, les émirs successifs : Moctar ould Amar, Ely El Kori ould Amar, Mohammed ould Moctar ould Amar, Aleït ould Moctar ould Amar et Amar ould Koumba ; ce dernier de mère négro- africaine ; alternèrent, diversement, combats et dialogues, pour préserver la souveraineté de l’émirat, face aux velléités coloniales. Mais, après l’émir Amar ould Koumba, le Trarza entre dans une période de guerre intestine, provoquée par le changement de dynastie et soutenue, par les renseignements français, afin d’affaiblir l’émirat, en vue de coloniser la zone.

Un nouvel émir, étranger à la dynastie Amar ould Ely, prit le pouvoir, soutenu par une partie conséquente du Trarza, alors que la partie opposée était elle-même puissante. La situation se stabilisa avec le pieux émir Amar ould El Moctar ould Cherghi ould Heddy  (1800-1829). Il entreprit de faire face aux Français qui commençaient à s’installer militairement au Sénégal. Dans une célèbre lettre, il avertit le gouverneur Faidherbe de ne poser la moindre patte à Dagana qui appartenait à une famille des Oulad Ahmed Ben Damane résolus à ne la donner ni vendre à quiconque. Le gouverneur qui voulait y installer un comptoir revint aussitôt sur sa décision. Puis les soldats français de Saint-Louis voulurent s’interposer entre les guerriers Trarza qui traversaient le fleuve pour encaisser les dîmes que les agriculteurs du Waloo versaient à l’émirat. Amar ould Moktar réagit sans tarder en occupant Saint-Louis. Selon l’historien français George Poulet, le gouverneur et ses hommes fuirent vers le Sud. L’émir et sa troupe restèrent un mois dans la ville. Après des négociations, un accord permit aux Français d’y revenir, au prix de beaucoup d’armes et d’argent. Les collecteurs d’impôts de l’émir ne furent, du vivant de celui-ci, plus jamais inquiétés…

Ensuite vint le fameux Mohamd Lehbib (1829-1860) qui mena la grande Guerre de la Gomme. Les Français voulaient imposer leurs conditions, sur la traite de la gomme arabique ; à l’époque, une matière première très prisée. Lui aussi très pieux, Mohamd Lehbib appliquait la Charia en tout lieu sous son pouvoir. Il décida d’envoyer ses troupes sur la rive gauche, pour stopper l’avancée des militaires français fraîchement débarquées à Dakar, avec évidente mission d’occuper les zones sous influence de l’émirat. Plusieurs batailles se déroulèrent, entre les guerriers terrouzis et français. On se souvient surtout de celle de Kebemer où les troupes émirales, dirigées par Oubby ould Ely Khamlech, petit-fils de l’émir Amar ould Moctar et neveu de Mohamd Lehbib, repoussèrent les Français. Battus mais pas défaits, ces derniers opérèrent un repli stratégique, en attendant des renforts. Une semaine plus tard, une unité armée d’un canon, arme inconnue des Trarza, mit ceux-ci en déroute. Décapités par les salves, Oubby et trente de ses meilleurs hommes en avant-garde tombèrent au champ d’honneur. On les enterra non loin de l’actuelle ville de Kébémer. Mohamd Lehbib fit alors alliance avec les dignitaires du Waloo, en épousant la reine Djombot M’bodj.

Après la bataille de Kébémer, l’armée émirale du  Trarza occupa de nouveau Saint-Louis, obligeant à la fuite le nouveau gouverneur qui avait remplacé Faidherbe. Toujours selon George Poulet, les Trarza restèrent plus de deux mois à N’dar. Un nouveau pacte fut enfin signé, l’émir et ses hommes acceptèrent d’évacuer la ville, emportant pas mal de marchandises, armes, munitions et gros montants d’argent. Sur ordre du gouverneur, les militaires français se repliaient vers le Sud… C’est au cours de cette même période que Cheikh Sidiya El Kebir organisa, très exactement en 1854, la conférence de Tindowja, pour faire face au colonialisme. Tous les émirs et chefs de la Mauritanie y furent conviés, une lettre adressée au sultan du Maroc, demandant son appui. Son fils Cheikh Sidi Mohamed composa un célèbre poème à ce sujet… (À suivre)

  

Salman ould Moctar