Autour d'un thé: Ecoles

1 February, 2018 - 00:58

Sur certaines choses, tout le monde est d’accord. Sur très peu, c’est vrai, mais, tout de même, il y en a. Par exemple qu’ici, nous sommes bien en Mauritanie, que c’est bien une république islamique, que tout le monde s’y réclame de l’islam. Mange et boit. Comme commenta cet ancien cuisinier, à sa patronne, une pédiatre autrichienne expatriée chez nous, qu’il venait de servir à boire : « Eywa, madame, tu abois ? » Ou cet ami, jouant sur les mots de mon affirmation comme quoi untel responsable était un « mangeur » de biens publics : « Ah non ! », me répondit-il promptement, « Celui-là ne mange pas, il boit ». De fait, l’islam interdit, formellement, de mentir, voler, tricher et autres vilenies. Sur cela au moins, tout le monde est d’accord. Tiens, à propos, tricher, ça rappelle l’école. Monsieur, madame,  il « trouche » sur moi ! (belle syncope au demeurant, entre tricher et loucher…) Monsieur, madame, j’ai un besoin ! Monsieur, madame, je vais uriner. Monsieur, madame, il a cassé mon stylo…Qui a le symbole ? Où est la cravache ? Rangez les livres et prenez les ardoises ! Tricher, c’était – c’est toujours… – le propre des élèves. Des mauvais, s’entend. Juste pour ne pas « fausser une opération » (autre savoureuse tournure scolaire), un accord, une conjugaison ou une analyse, logique ou grammaticale. La triche, c’était à l’école. Des enfants en quête d’épanouissement à manœuvrer en tous sens pour éviter la raclée de quelque maître consciencieux. Mais les écoles, les programmes, les horaires, les curricula, les encadreurs, les missions, tout était clair. Sans équivoque. Sans faux maitre, ni faux directeur, ni faux surveillant, ni faux calcul, ni faux inspecteur, ni faux ministre, ni faux diplôme, ni fausse note, ni  fausse prétention, ni fausse alerte. Pas plus de bonne que de mauvaise école, pas comme maintenant, avec les écoles d’« excellence », les écoles expérimentales, les écoles militaires, les écoles privées, les écoles de fils de patron, comme un remake des écoles des fils de chefs. Avec donc, en vis-à-vis, les écoles de fils de gardiens, les écoles Nessiba, écoles Bilal, écoles  Halima. Des écoles de fils de pauvres…Et nouveau grand classique, des écoles arabes, à distance, pas vraiment respectueuse, des écoles africaines. Comme ça, les nostalgiques des écoles 7, Marché et Justice n’auront plus que leurs yeux pour pleurer, sur les cendres pas encore refroidies de ces temples, ridiculisés en boutiques de viande sèche, sel, cordes, jouets, légumes, poisson, cigarettes, riz, huile, chocolat, pain de singe, gomme, thé vert, carreaux, plâtre, pièces détachées, salons de coiffure, hammam pour hommes et femmes,  salles de spectacles pour enfants, énergumènes et clowns de tout acabit.  L’excellence ne se décrète pas : elle se met en œuvre. Par un personnel performant et motivé. Par des infrastructures adéquates, en environnement pédagogique et didactique. L’excellence a un prix. Elle ne se confine pas dans les têtes de ceux qui la conçoivent et ne vit, surtout, que par la volonté de ceux qui y croient. Les uniformes confectionnés à la hâte ne suffisent pas, les mêmes causes produiront, infernalement, les mêmes effets. Il ne suffit pas de décréter une école, comme ça, au hasard, comme au loto, établissement d’excellence ou expérimental, malgré ses murs dépeints, ses tableaux noirs complètement creux, ses enseignants aux abois, ses livres et registres jaunis, son cruel manque de matériel didactique et expérimental, son environnement délétère et son personnel manutentionnaire fictif. Sans école, rien ne va. La preuve : si notre école marchait, il n’y aurait jamais eu de faux diplômes. Pas de caisse noire au ministère des Finances. Pas de vente d’écoles ni de dispensaires, ni de rien. Les militaires seraient restés dans leurs casernes. Les députés dans leur honorabilité. Les médecins n’auraient pas fait se retourner Hippocrate dans sa tombe ni les enseignants Jules Ferry. On n’aurait pas plus eu de ministres bouffons que de magistrats poltrons ou de journalistes peshmergas. Salut.  

Sneiba El Kory