Médias : Sahel TV au bord de la faillite

17 September, 2014 - 10:21

Maurivision S.A., renommée Sahel Medias S.A. le 30 juin 2013, au bord de la faillite ? Les rapports du commissaire aux comptes, sur l’exercice clos au 31 décembre 2013, signalaient qu’avec des pertes cumulées avoisinant les 181 millions d’UM, soit près de 361% du capital de la société, il était impératif qu’une assemblée générale extraordinaire des actionnaires se réunisse, dans les trois mois suivant l’approbation des comptes, pour « régulariser la situation, conformément à la loi N°2000-05, portant Code du Commerce ». La mesure de sauvetage, déjà envisagée en Assemblée Générale Extraordinaire du 30 juin 2013, consisterait à quintupler le capital de Sahel Medias S.A. ; de 50 à 250 millions d’UM, donc. Un acte à rendre effectif avant l’expiration du présent exercice. Mais qui va ouvrir le robinet ?

Isselmou Ould Tajedine, PDG de la BCI, juge qu’entre sa banque (92 millions), ses propres apports nominaux (6 millions), sa capitalisation (11,5 millions) et celle de son ami Hemine Ould Abdel Kader (un million), 110 millions, ça suffit et qu’il n’investira plus une ouguiyette dans l’affaire. On remarquera ici, incidemment, que cette décision a coïncidé avec le limogeage, le 05 septembre 2012, du fondateur de Maurivision S.A., Bah Ould Saleck, épisode sur lequel nous reviendrons, en détail, plus loin. On ne voit donc plus que Brahim Ould Ahmed Salem Ould Ghadda (qu’on n’appellera plus que Bahaye par souci d’économie), actionnaire majoritaire et réel patron de l’entreprise aujourd’hui, puisqu’il en détient, après son « coup d’Etat » du 30 juin 2013, 49,5% du capital, pour renflouer le navire en perdition. En admettant qu’il en ait les moyens – et il en a, en plus d’amis, (très) haut perchés et pourvus – en a-t-il l’intention ? Mettre définitivement la main sur un media jugé potentiellement « dangereux » ou l’enterrer, enfin, sous un tombereau de dettes dont Bahaye supporterait l’essentiel (314 millions, selon le rapport, auquel il conviendrait d’ajouter quelque 24,75 millions en actions) ? Croquant, au passage, plus de cent millions à la Télédiffusion de Mauritanie (TDM), dont le sieur a toujours refusé d’honorer les créances. Les amis haut perchés, c’est bien utile, en effet.

 

Historique d’un sabordage

Avant d’envisager une quelconque réponse à cette question, il faut se pencher sur l’histoire de Maurivision. Elle est indissociablement liée à Bah Ould Saleck, un des pionniers de la presse indépendante en Mauritanie. A la tête de l’hebdomadaire « Mauritanie-Nouvelles » dès 1991, il obtient, en 1996, le Prix de la Libre Expression, attribué, par l'Union internationale de la presse francophone (UPF), avec le concours de l'Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF), à un journaliste qui a « dans un environnement difficile, maintenu son indépendance, malgré les atteintes à sa personne ». C’est cette année-là qu’il fonde Maurivision, une SARL, avec Abdallahi Ould Mohamdi, le patron de Saharamédias

Bah voit loin : tôt ou tard, l’audiovisuel sera libéré, pressent-il. Une intuition dont il parvient – bien aidé, il est vrai, par le souffle de la Transition – à convaincre, en 2006, Isselmou Ould Tajedine qui en devient partenaire financier. Cinq années durant, Bah va s’employer alors à construire un projet technique détaillé qui lui permet d’attirer un certain nombre de nouveaux investisseurs dont les Ehel Ghadda, très liés au nouveau pouvoir. C’est, probablement, le déclic qui permet, à Maurivision dont le chiffre d’affaires atteint, maintenant, une vingtaine de millions d’UM, d’obtenir, fin 2011, une des cinq licences TV décernées par le tout nouvel office régulateur des media mauritaniens, la HAPA.

Mais, parmi les conditions posées par la loi libéralisant le secteur – Loi 2010/045 du 26 Juillet 2010, parue au JO du 15/09/2010 – figure celle astreignant l’entreprise candidate à « comporter obligatoirement, parmi ses actionnaires, au moins un opérateur qualifié, personne physique ou morale, ayant une expérience professionnelle probante, dans le secteur de la communication audiovisuelle, qui devra détenir, au minimum, 10% du capital social et des droits de vote de la société ». Expert dans le maniement de la farine – y compris celle d’y rouler les gens, on va bientôt s’en apercevoir – Bahaye Ould Ghadda, déjà actionnaire majeur de Maurivision avec 34,5% (contre 23% à Isselmou Ould Tajedine) ne peut se passer de Bah Ould Saleck.

Evaluation est faite de l’apport de celui-ci et de ses collaborateurs ; un pacte de stabilité d’actionnariat pour cinq ans est signé devant la HAPA ; Bah Ould Saleck, promu DG de la société, s’en voit reconnu 15% des parts et les activités démarrent. Rapidement, l’Audimat monte en flèche. Car Bah voit loin, encore : il s’agit de mettre en scène toute la Mauritanie, dans sa plus complète diversité raciale et ethnique. En quelques mois, l’audience du nouveau media dépasse celle de la chaîne publique, notamment à Nouakchott. Mais cela ne plaît pas à tout le monde. Notamment au DG adjoint, Abdallahi Ould Mohamedou, homme de paille des Ghadda, propulsé, via 3% d’actions glanées auprès de son maître, à la présidence du conseil d’administration de la société. « Trop de Noirs à l’antenne ! », résumera-t-on cet agacement partagé en (très) hauts lieux. Car, quand on s’avise de montrer la Mauritanie telle qu’elle est en vérité, ça dérange. Evidemment, pour un nationaliste arabe, baassiste notoire, ça fait un peu tache…

Bientôt, la requête des Ehel Ghadda se fait plus pressante, et, en dépit de la signature, par tous les actionnaires, lors de l’accord initial devant la HAPA, de l’engagement à s’interdire toute interférence dans la ligne éditoriale de la chaîne comme dans ses programmes, ceux-là interrompent, brutalement et tous ensemble, leurs contributions financières. C’est la crise de juin 2012. Les arriérés de salaire des employés – trente-et-un agents contractuels et vingt-neuf pigistes – s’accumulent. Sommé de modifier sa ligne éditoriale et ses programmes, via le désormais incontournable Ould Mohamedou, Bah entre en résistance, soutenu par l’ensemble du personnel qui se met en grève.

 

Transparence de la HAPA

Bah dénonce, publiquement, l’ingérence de certains actionnaires et divers manquements graves, notamment l’obligation faite d’employer des personnes sans contrat de travail. Bahaye, toujours masqué sous le président-potiche du conseil d’administration, fait intervenir un huissier pour saisir toutes les pièces comptables de la société, une péripétie tactique qui se révèlera bientôt fort « utile », puis limoge, carrément, Bah de son poste de DG. Une situation qui aurait dû alerter la HAPA, puisque celui-ci est le dépositaire officiel de l’agrément de la chaîne. Or, la Haute Autorité ne bouge pas plus d’une semelle que du moindre petit doigt.

Le pire reste à venir. Certes Bah, toujours membre du CA de Maurivision, demeure, officiellement, le dépositaire officiel de l’agrément et de 15% des actions de la société. Mais, le 14 juin 2013, une réunion, houleuse, du CA, laisse apparaître des manœuvres en cours, sans que l’ensemble des actionnaires n’en soient informés. Ainsi, si Ould Mohamedou déclare inopportun – « ce n’est pas à l’ordre du jour », argue-t-il – de discuter des modalités courantes de financement, des dettes contractées et des comptes exacts de la chaîne, il annonce, cependant, la tenue, quinze jours plus tard, d’une Assemblée Générale « pour examiner tous les problèmes et les propositions de nature à assainir la situation financière et administrative de Maurivision TV-Sahel ». Flairant le mauvais coup, Bah se retire, très fâché.

Et, de fait, le coup tordu est bien à l’ordre de cette AG du 30 Juin. Ould Ghadda y montre, enfin, le bout de son nez, Bah Ould Saleck a préféré se faire représenter par son conseil, maître Brahim Ould Ebetty. On y évoque la nécessité d’augmenter le capital de la société, et rappelle la nécessité préalable de libérer toutes les actions initialement partagées. Au cours de l’examen des actes posés en ce sens, on apprend, presqu’incidemment, que les 3% d’actions détenues par Ould Mohamedou lui ont été cédées, souscrites et entièrement libérées par Bahaye, tandis que maître Brahim Ould Ebetty rappelle que celles de Bah l’ont été « sous la forme d’un apport en nature », qui avait fait l’objet d’une évaluation par le commissaire aux apports, remise au président du CA, avec une lettre explicative.

Mais, au final de ces explications, l’AG décide d’annuler les actions de cinq actionnaires dont Bah, qui n’auraient « pas présenté une preuve de versement » de la libération de celles-là. Le « président » Ould Mohamedou précise que ces actions, soit 22% du total – « prétendument » payées sous forme d’apports en nature, n’ont pas fait l’objet de vérification « conséquente » du commissaire aux apports et que les vérifications présentées « avaient omis » de préciser le nature de ceux-ci et la base de leur évaluation… Pfuit ! Les années d’efforts de Bah, notamment dans l’élaboration de l’énorme étude de faisabilité du projet remise à la HAPA, sans compter divers autres réalisations et investissements accumulés depuis la fondation de Maurivision, dix-neuf années plus tôt, envolés, comme de la farine d’un silo éventré…

Dans la foulée, Bahaye Ould Ghadda propose, bon prince, d’acquérir les deux mille deux cents actions ainsi brutalement portées sur le marché et de les libérer, sur le champ, en compensation d’une partie des créances qu’il possède auprès de la société. Détail subsidiaire : l’expert en boulangerie déclare céder sept cents actions à Abdellahi Ould Mohamedou qui s’empresse, lui, « d’accepter » (sic !) cette cession, portant ainsi le nombre de ses actions à mille, entièrement libérées, soit… 10% du capital social de Maurivision SA, que dis-je, de Sahel Medias SA : car, enfin débarrassé de l’encombrant Bah, l’AG pouvait adopter – « à l’unanimité » prétend le PV mais Il serait fort étonnant que maître Ould Ebetty ait accepté de tremper dans un tel méfait ! – une modification des statuts de la société, en bannissant son nom initial…

10% d’actions à Ould Mohamedou, ça ne vous dit rien ? Rappelez-vous : l’article 18 précité de la loi 2010-045 n’exigeait-elle pas que l’opérateur qualifié indispensable à l’octroi de la licence possédât 10% des actions de la société ? Mais comment Ould Mohamedou se retrouverait-il, soudain, qualifié pour assumer ce rôle en lieu et place de Bah ? Mais, à défaut d’entendre l’un et l’autre, dans cette « passation » de mandat officiel, les membres de la HAPA auraient dû, à tout le moins, rappeler, ici et là, divers autres « détails » du Code du Travail – comme la nécessité que tous les employés d’une société déclarée soient eux-mêmes déclarés et sous contrat, ce qui n’est le cas de quasiment plus personne, aujourd’hui, à Sahel Medias – ou de la loi susdite, comme son article 19 : « Pour toute modification de la répartition de l’actionnariat […], une demande est déposée auprès de la HAPA qui l’instruit et la transmet, avec avis, au ministre chargé de la communication […] » ou en l’engagement des parties « à conserver un actionnariat stable, pour une durée fixée  dans le cahier des charges […] » (article 18, encore). Et où qu’il est le cahier des charges ? Le président de la HAPA doit sans doute dormir dessus. C’est déjà ça, me direz-vous, au moins ne sera-t-il pas perdu…

Bah Ould Saleck aura tout de même droit à une cerise sur le gâteau, qui en dit long sur l’art d’enfariner le peuple. Sahel Medias S.A. ne l’oublie pas tout-à-fait : d’après le bilan du 31 décembre 2013, il resterait en effet débiteur de la société de 32 millions d’UM, pour des « montants engagés non-justifiés ». Il aura beau répéter que les justifications existent bel et bien mais n’ont-elles pas été emportées, juste avant son limogeage, par l’huissier dépêché par Ould Ghadda ? On peut craindre que celui-ci ne dorme pas dessus, lui, et pencher, plutôt, pour un don, en nature, à ses chèvres ou ses chameaux. C’est que c’est regardant, un minotier : quand on peut économiser la farine, faut pas lésiner sur le papier…

Ben Abdallah

 

NOTE : Avis aux amateurs de vaines polémiques : toutes nos informations sont tirées d’articles de presse déjà parus, de textes de loi, de rapports authentifiés de commissaire aux comptes et autres PV de CA et d’AG de Maurivision SA. A bon entendeur…