Le Dhar : zone de non-droit

19 January, 2018 - 00:52

Dans les profondeurs du Hodh ech-Chargui, la région la plus vaste du pays, avec plus de deux cents mille kilomètres carrés, le Dhar, une sorte de chaîne montagneuse qui s’étend sur plusieurs autres wilayas (Assaba, Hodh El Gharbi, Tagant, Adrar) n’est pas encore totalement sécurisé, malgré la décision des autorités, en 2011, d’en faire une moughataa dotée de tous les services administratifs et de sécurité. Sa réputation de zone particulièrement dangereuse ne s’est pas estompée. De célèbres voleurs de bétail, venus de l’Est mauritanien et du Mali, y rôdent toujours, guettant la moindre occasion de conduire, à l’abattoir ou dans les marchés forains hebdomadaires, tout cheptel (camelins, ovins ou caprins) qui a la mauvaise « idée » d’être au mauvais moment au mauvais endroit. Nbeïket Lahwach, capitale de la nouvelle moughataa, est quasiment équidistante de Néma et de Bassiknou desquelles elle est respectivement située à 150 et à 140 kilomètres. Nbeïka, comme l’appelle affectueusement les « gens de là-bas » est dotée d’une brigade de gendarmerie, d’un commissariat de police, d’une inspection départementale de l’Education nationale, de deux écoles fondamentales, d’un centre de la SOMELEC, d’une boutique de la SONIMEX, d’un poste de gardes et de tous les autres services administratifs habituellement installés en toute capitale départementale. Politiquement, la moughataa ne déroge pas à la règle générale qui détermine le choix de ses représentants. Son député – le plus jeune du pays – Yarbe ould Elemine ould Hamad est le cousin du ministre des Affaires étrangères et de la coopération, Isselkou ould Ahmed Izid Bih, et son maire, Sid‘Ahmed ould Lemkhaïtir est chef traditionnel d’une des puissantes tribus de la zone. Malgré la présence de deux brigades de gendarmerie et d’une base militaire, non loin sur la frontière malienne, le Dhar reste un fief de grand banditisme, notamment de vol de bétail, comme on l’a dit tantôt, et de trafics en tout genre. Les infatigables Toyota Land Cruiser narguent les nombreuses patrouilles et escadrons de quadrillage pour aller déverser leurs contrebandes (cigarettes, couvertures, armes, sucre, farines, pâtes et autres…) dans les déserts algériens, maliens et, même, nigériens, très loin vers Tipasa ou Tamanrasset. Bassiknou en constitue un passage obligé, puisque tous les camions remorques en provenance de Nouakchott y débarquent, sur une vaste aire aménagée, au vu et au su des autorités, en plein centre-ville où les turbans soigneusement tirés des hommes Touaregs, les cheveux dévoilés de leurs femmes et l’omniprésence de leur langue fait croire, au visiteur, qu’il est à Gao, à Tombouctou ou à Kidal. Au Dhar, c'est-à-dire des confins de Bassiknou à quelques encablures des frontières entre Oualata et Nbeiket Lahwach, les autorités administratives et sécuritaires de ces terroirs imposent leur implacable loi. Selon Zadav ould Sidi Mohamed ould Mah : « Nous sommes loin de Nouakchott et, même, de Néma. Aussi les autorités se comportent-elles, ici, en véritables chefs de territoires conquis, usant et abusant de leur autorité. Sinon, comment un policier peut-il se permettre de promener, presque complètement nus, deux adolescents dans toute la ville, un jour de marché hebdomadaire ? Deux jeunes garçons qui ne faisaient que s’amuser, peut-être dangereusement, sur une dune ? Ou de laisser courir, impunément un homme qui a violé une jeune fille, pour satisfaire l’exigence de mise en liberté d’un notable, au détriment de la plainte d’une famille sans volonté ni force ? Les comportements de certaines autorités, en ces contrées très éloignées, rappellent ceux des colons dont nous parlaient souvent nos parents ».

 

 

Rapports ‘’apaisés’’

 

Dans cette région, les rapports, entre les autorités et les puissants notables, essentiellement des éleveurs et des trafiquants, sont « apaisés ». Avec des retombées juteuses : un séjour de deux ou trois ans suffit, en général, à l’enrichissement des « responsables ». Cheptels par-ci, voitures par-là, et toutes sortes de cadeaux, complaisamment offerts par des commerçants, parrains des trafics les plus illicites ou par des personnalités locales tout aussi mais très différemment « responsables » ou « couvreurs » des plus inhumaines violations des droits humains. Selon Mohamed Lemine, un chauffeur de Bassiknou, peut-être enclin à la surenchère : « sur cette terre éloignée, tout se passe : pratiques esclavagistes, viol de femmes, vente de produits illicites, trafic en tout genre… ». Et Mohamed Lemine va même plus loin, en prétendant pouvoir énumérer tous les avoirs indus – et leur provenance – d’untel commandant de brigade, untel magistrat, tel autre commissaire de police ou hakem. Ce n’est pas pour rien que le poste de Bassiknou, à plus de mille trois cents kilomètres de Nouakchott, est particulièrement convoité par les fonctionnaires, depuis le premier acte de la rébellion au Mali. C’est avec la fondation en 1990, des camps d’Agor et de Mberra, à, respectivement, 25 et 12 kilomètres de Bassiknou, que les appétits se sont aiguisés. Et, comme l’appétit vient en mangeant, les interventions de dizaines d’organisations internationales (HCR, ACF, PNUD, UNICEF, Concordis, Croix Rouge du Qatar, MSF, PAM…) au profit des centaines de milliers de réfugiés accourus du Nord-Mali, ont encouragé les autorités mauritaniennes à « faciliter », pour des raisons inavouables, l’enregistrement de vrais mauritaniens en réfugiés, histoire de profiter des fiches ouvrant droit aux de fameuses Distributions Gratuites de Vivres (DGV). Avant de rentrer au Mali, à la faveur d’intermittentes accalmies, les vrais réfugiés touaregs prennent souvent soin de revendre leurs fiches à d’autres Mauritaniens, engraissant ainsi le nombre de faux réfugiés (vieille histoire du faux et de l’usage du faux), avec le risque de perdre la nationalité et la capacité d’obtenir un état-civil national. Aujourd’hui, deux mille sept cents familles mauritaniennes sont inéligibles, à Basskinou, aux numéros nationaux du recensement biométrique, pour avoir mis leurs empreintes sur le système malien, en tant que réfugiés. Du coup, les données de ces personnes sont systématiquement rejetées par le système d’identification nationale. Face à ce gros et épineux problème, les autorités administratives déclarent, aux populations, qu’elles n’ont, tout simplement, aucune solution. En période électorale, notamment lors du dernier referendum du 5 Août dernier, les politiques ont pourtant promis de régler la question. Mais, comme partout, les promesses électorales n’engagent que ceux qui y croient. Peut-être, comme le pense Selekha, une activiste de la Société civile et présidente d’une dizaine d’associations féminines locales, que la solution viendra d’un des deux généraux ressortissants de Bassiknou. A quelques encablures du crépitement des armes, entre une armée malienne et les groupes islamistes et/ou séparatistes du Nord-Mali, la solution reste donc, encore et toujours, militaire. Comme quoi, « dégagez les militaires, ils reviennent au galop »…

 

                                                                                                              El Kory Sneiba

de retour de Bassiknou